Billet du lundi 07 octobre 2024 rédigé par Caroline Galacteros, Présidente de Geopragma.
Au sein de GEOPRAGMA, nous ne sommes pas toujours d’accord. Face aux évènements internationaux prêtant le plus à polémique, on essaie de faire taire nos a priori et nos émotions, de garder la tête froide et d’analyser l’actualité à partir des faits et de leur remise en perspective historique pour ne pas verser dans les imprécations politiques ou le café du commerce médiatique. En effet, hormis quelques très rares professionnels, les commentateurs de journaux ou de plateaux qui traitent de l’Ukraine ou de ce qui se passe au Moyen-Orient ont atteint un tel niveau de confusion -par ignorance, idéologie ou intérêt- entre l’opinion et le décryptage des situations, qu’ils en deviennent inaudibles. Et dangereux car inconscients. Ils produisent soit de l’abrutissement panurgique, soit du rejet chez leur auditoire. Un trop-plein de bêtise surtout. La vision du monde en noir et blanc, le « avec nous » et « contre nous » sont d’une telle indigence que l’on peut y voir la malédiction de l’Occident, celle qui le maintient hors sol et condamne nos élites en apesanteur à mentir et tromper nos peuples pour après s’étonner de ne leur inspirer que défiance et dégoût.
Quoi qu’il en soit, nos sensibilités comme nos expériences étant diverses et l’objectivité pure n’existant pas, l’on doit pouvoir exprimer nos nuances d’appréciation du réel en toute liberté. Ce petit préambule pour dire qu’il m’est difficile en tant que présidente de notre Think Tank, de prétendre ici parler au nom de l’ensemble de notre Conseil d’administration en ce triste anniversaire du 7 octobre 2023. C’est donc à titre personnel que je vais vous livrer mon diagnostic de la situation qui un an après, expose non seulement Israël mais aussi nos pays européens -et à vrai dire un « front occidental » de plus en plus discrédité et en panique- à un axe eurasiatique qui se consolide et conquiert des cœurs et des esprits toujours plus nombreux.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Depuis le massacre du 7 octobre, plus meurtrière attaque subie par Israël depuis sa création dont on commémore aujourd’hui le sinistre anniversaire, on assiste bouche bée à un déchainement de violence hors de toute proportion. Tsahal applique une tactique du choc et de l’effroi (« Shock and awe ») de plus en plus décorrélée de la notion de « légitime défense » ou des modes d’action d’une armée régulière d’un pays démocratique, une approche qui laisse d’ailleurs déjà de terribles blessures chez bien des conscrits de Tsahal. Rappelons que cette doctrine américaine de la fin des années 90, mise en œuvre lors de l’invasion de l’Irak en 2003, recherche la « domination rapide » par écrasement de l’adversaire via l’emploi d’une très grande puissance de feu, la domination du champ de bataille et des manœuvres, et des démonstrations de force spectaculaires pour paralyser la perception du champ de bataille par l’adversaire et annihiler sa volonté de combattre.
Mais pour quels résultats un an après ?
Quels que soient les succès tactiques de Tsahal ou du Mossad, ni le Hamas ni le Hezbollah ne sont morts. Se donner leur éradication définitive comme objectif est une utopie. Certains chefs militaires israéliens l’ont avoué. Ces organisations politico-militaires combattantes, qui pratiquent en effet le terrorisme mais sont aussi toujours perçues par beaucoup, au Liban et ailleurs, comme protectrices de populations sinon destinées à l’invisibilisation définitive, ne vont pas mourir parce qu’on élimine leurs têtes. Elles en produiront d’autres et d’autres encore, de même que les survivants de ce qui s’est passé à Gaza, en Cisjordanie depuis un an ou aujourd’hui au Liban, n’auront de cesse de se venger. Il n’y a pas d’efficacité militaire totale possible pour l’armée israélienne face à un mouvement dont la résistance se sublime dans la mort et dans la lutte contre l’occupation.
La « riposte » d’Israël au 7 octobre, et la masse de victimes civiles palestiniennes innocentes qui est son corollaire et va très au-delà de la notion de « dégâts collatéraux », n’ont produit qu’une réprobation politique et morale lourde pour l’image du judaïsme dans le monde. L’exportation assumée du conflit face aux proxys iraniens Hamas et Hezbollah par le gouvernement israélien, au prétexte d’un « affrontement civilisationnel » dans lequel il prétend entrainer tout l’Occident « pour son bien » et pour le « défendre », son importation consécutive instrumentalisée politiquement dans certains pays dont le nôtre, n’aboutissent qu’à une mise en danger insupportable des juifs du monde entier et à la poursuite d’un massacre intolérable et gratuit. Sans efficacité militaire et encore moins politique.
Mais ce dérapage assumé de Tel Aviv vers une guerre sans fin et un embrasement régional emporte aussi des conséquences globales effarantes. Vouloir mettre le feu aux poudres pour finir par entrainer les États-Unis dans une guerre frontale contre l’Iran acculé, guerre qui elle-même pourrait conduire la Chine et la Russie à devoir s’impliquer pour défendre leur allié des BRICS est une folie qui pourtant n’est plus du domaine de l’impossible.
On ne peut arrêter ce bain de sang sans imposer le passage à une phase politique. Pourquoi ne le fait-on pas ? Au-delà des mesures concrètes qui s’imposent, il faut avoir le courage de s’interroger sur ce qui fait que le discours occidental, dont Israël s’auto-proclame le héraut, est devenu proprement inaudible et allergisant. Pas seulement pour les Palestiniens. Pour une très grande partie de la planète. Il me semble que c’est avant tout le refus de traiter les problèmes sous l’angle d’une minimale cohérence et d’une recherche de justice et d’humanité ou du moins d’équité qui est en cause.
Il faut dire que la reductio ad hitlerum permanente de toute critique de la politique de l’actuel gouvernement d’Israël, qui impose au nom du « droit d’Israël à se défendre » une folie vengeresse de plus en plus manifeste, nous plonge collectivement dans la paralysie et l’impuissance. Et je ne parle ici pas uniquement de la France, qui ne parvient pas à imprimer une quelconque empreinte diplomatique sur une situation qui dérape et nous met tous en danger. Le déni du réel dans le conflit Russo-otanien avec l’Ukraine comme proxy expiatoire a déjà joué un rôle d’accélérateur tragique de la bascule du monde. A notre détriment. Le cours actuel des choses au Moyen-Orient est un second coup de semonce.
Aussi peut-on considérer que derrière cette fuite en avant israélienne se montre la crispation désespérée d’un État qui sent que l’ordre ancien qui le protégeait jusque-là est en train de sombrer, et qu’à moins de changer d’état d’esprit, son avenir est compromis. L’Amérique ne peut plus protéger Israël comme avant, à n’importe quel prix politique et géopolitique…et énergétique ! Les menaces iraniennes dans ce dernier domaine ne sont pas à prendre à la légère… Washington n’en a plus les moyens et ne le souhaite pas. Israël va devoir faire des concessions et imaginer un compromis sur le fond de la question palestinienne qui restera sinon toujours une plaie ouverte justifiant l’hostilité générale contre lui. Les pays membres des Accords d’Abraham ne pourront développer leurs relations avec l‘État hébreu si celui-ci s’en prend à Téhéran, car l’Iran et l’Arabie saoudite sont désormais liés par de puissantes convergences au sein du groupe des BRICS et car ils ont compris (comme l’avait montré leur rapprochement public de mars 2023 sous auspices chinois), que pour se développer, ils doivent cesser de se laisser entrainer dans des conflits stériles voulus par Washington qui ne visent que la déstabilisation régionale, donc leur affaiblissement ultime. Les pays arabes, et Ryad tout particulièrement, qui a mis comme condition à sa participation aux Accords d’Abraham la constitution d’un État palestinien, devront passer des paroles aux actes, s’ils veulent que leurs populations horrifiées par le sort fait aux populations civiles de gaza ne se révoltent pas.
Aux Etats-Unis même, certains, dont Donald Trump, ont compris que la chappe des sanctions unilatérales ne produisait que du discrédit et de la défiance envers l’Amérique et hâtait la dédollarisation de l’économie mondiale au profit de leurs rivaux géopolitiques. Protéger Israël passe probablement de plus en plus à leurs yeux par la mise en place d’un vaste marchandage régional auquel l’Iran ne pourra être que partie prenante et importante.
Alors oui, Benjamin Netanyahu peut encore « profiter » de quelques semaines qui restent avant la fin du vote présidentiel américain pour bombarder le Liban, faire régner la terreur et éliminer encore des combattants et chefs du Hezbollah, car il sait que les démocrates ne peuvent apparaitre comme « lâchant » Israël d’une quelconque façon avant le 5 novembre. En Ukraine d’ailleurs, Washington essaie de la même façon, sans prendre de risques directs, de jouer encore la mascarade sanglante pour faire avaler aux peuples européens ruinés (par notre bêtise arrogante et non par Vladimir Poutine) que l’Ukraine peut encore gagner en continuant à faire tuer des dizaines de milliers d’hommes par mois… tandis que Moscou abat au sol les premiers F16 qui n’auront rien d’un « Game changer ». Il nous faut sauver la face, masquer le fiasco militaire et perpétuer le grand mensonge le plus longtemps possible. Pas plus Netanyahu que Zelensky ne se soucient de la sécurité de leurs peuples. Ils espèrent juste sauver leur tête et leur peau en endossant le masque du chef de guerre derrière lequel la population n’a d’autre choix que de se rassembler pour faire front.
Mais on ne va plus pouvoir longtemps nier que si l’on veut véritablement aider Israël à trouver enfin sa place dans la région et à vivre en sécurité, il va falloir trouver un équilibre entre populations juives et palestiniennes au sein d’un ou de deux États et sans doute au prix de compromis déchirants de part et d’autre. Ce n’est pas, comme l’a fait Netanyahu à l’ONU devant un hémicycle quasi vide, en brandissant ridiculement deux « cartes » opposant « la malédiction » (soit la masse Iran, Irak, Syrie, Yémen et Liban) à la « bénédiction » incarnée par l’alliance entre Israël et ses alliés arabes putatifs unis contre l’Iran, que l’on va ramener la paix. Prend-il les États de la planète pour des enfants de deux ans ? C’est la recette du désastre, celle qui a déjà semé la mort et la désolation en Irak, en Libye, en Syrie, au Yémen et n’a jamais apporté le moindre développement hormis celui du terrorisme, de la corruption et des trafics en tous genres.
Il faut traiter les problèmes au fond et ne pas s’imaginer que l’on va pouvoir impunément passer en force et perpétuer l’hégémonisme occidental par les bombes. Ce sont ses convulsions auxquelles nous assistons impuissants et sidérés.
La guerre sans fin ne protègera pas Israël de ses ennemis.
Il faut arrêter de jouer avec le feu et aller vers LA PAIX, vite.
DAGOBERT
DAGOBERT
Amalbert Jean-Guy
Jean
M RICARD
Patrick Establet
François Brault