Billet du lundi 15 novembre 2021 par Jean-Philippe Duranthon, membre fondateur de Geopragma. 

 

      Chacun sait dans notre bon pays que l’Esprit y souffle plus que partout ailleurs sur le globe. Aussi la COP de Glasgow ne pouvait-elle pas connaître le même succès que celle que Paris a accueillie en 2015. Les frustrations et larmes de quelques participants ne sont donc pas surprenantes, mais chacun pourra faire valoir qu’en allant à Glasgow il n’a pas brûlé du kérosène pour rien. Les représentants des gouvernements se sont mis d’accord sur un texte final commun, ont signé des déclarations dont certaines traitent de sujets jusqu’alors peu débattus dans cette enceinte (le méthane, la déforestation) et ont prolongé d’une journée la conférence, montrant ainsi leur acharnement à se dévouer pour la planète. Les établissements financiers ont créé une structure de concertation dotée d’un joli nom, facile à retenir et à prononcer (GFANZ – Glasgow financial alliance for net zero), afin de montrer qu’ils veulent contribuer à la décarbonation de l’économie. Les ONG sont nécessairement déçues mais fières d’avoir donné mauvaise conscience aux grands de ce monde, par exemple en entreposant un bloc de banquise devant le bâtiment des débats. Chacun a donc fait et dit ce qu’on attendait de lui, alterné sourires et menaces et inventé quelques formules-choc susceptibles d’être reprises par les journalistes. Le Premier ministre des Fidji a résumé le sentiment général en évoquant « Glasgow malmenée et meurtrie, mais vivante » : on croirait entendre De Gaulle saluant en août 1944 « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ».

Un bilan mitigé

      Mais sur quels résultats ce jeu de rôles débouchera-t-il concrètement ? Les textes adoptés ne sont que des « déclarations » d’intention non contraignantes, affichent des principes et des ambitions mais ne sont pas des traités liant leurs signataires et assortis de sanctions en cas de non-respect. On exhorte, appelle, demande, enjoint, réclame… on reste dans le domaine de l’incantation. Ce sont les mesures prises par les États qui déterminent la politique climatique effective. Or, à l’ouverture de la COP, 25 % des pays signataires de l’Accord de Paris de 2015 n’avaient toujours pas remis leur rapport (les NDC – nationally determined contributions) indiquant comment ils comptaient le mettre en œuvre, et peu l’avaient mis à jour sérieusement, si bien qu’on a dû leur donner un an de plus pour faire ce pensum.

      On peut s’étonner que les participants, après avoir constaté que l’évolution actuelle conduit à un réchauffement de 2,7 degrés au lieu des 2 degrés prévus par l’Accord de Paris et du 1,5 degré espéré, aient consacré une bonne partie de leur temps à discuter pour savoir laquelle de ces deux cibles il convient désormais d’afficher, alors même que l’une et l’autre sont de plus en plus difficiles à atteindre au fur et à mesure que le temps passe ; il faudrait désormais réduire avant 2030 les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 45 % ou 50 % selon les « experts », ce qui serait plus qu’héroïque. On aurait pu penser que les participants se seraient surtout demandé pourquoi les politiques mises en œuvre ces dernières années ne parviennent pas au résultat escompté et auraient débattu des moyens d’avoir une action plus efficace. On a certes parlé des marchés du carbone mais pas d’une taxe carbone ; le soutien aux innovations technologiques n’est pas jugé digne de grand intérêt ; la place du nucléaire et la croissance démographique sont des sujets tabous. Les conséquences économiques et sociales (hausse des biens et services, suppressions d’emplois…) des évolutions souhaitées sont soigneusement passées sous silence au profit d’un discours angélique.

Quelques débats géopolitiques

      A la recherche du consensus planétaire se mêle la défense des intérêts propres à chaque pays ou groupe de pays. Dans son discours d’ouverture, Joe Biden s’est attaché à replacer, de manière quelque peu artificielle, les débats de la COP dans le cadre de sa rivalité avec la Chine (et la Russie). Comme dans le théâtre classique une réconciliation générale est intervenue lors du dernier acte de la COP, les deux pays publiant un communiqué commun général et généreux par lequel ils s’engagent à coopérer pour le bien de la planète et créent pour ce faire un « Working Group on Enhancing Climate Action in the 2020s ». On sait l’efficacité de telles instances.

Surtout, le débat géopolitique s’est concentré sur la controverse opposant les « pays développés » aux « pays en développement », ceux-ci réclamant à ceux-là une aide, à la fois parce qu’ils disposent de davantage de moyens financiers et parce que l’accumulation de GES est le résultat de leur développement économique passé. A l’heure de la repentance généralisée il n’a même pas été possible de trouver un accord et de mettre en œuvre l’engagement pris en 2009 et portant sur la bagatelle de 100 Md$ par an. On peut cependant s’étonner encore qu’on ait beaucoup parlé des 20 Md$ « manquants » mais guère de l’usage qui est fait des 80 Md$ versés.

Un déséquilibre qu’il faut corriger

      Mais l’important est peut-être ailleurs : les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre sont en Asie et ne font pas grand-chose pour réduire leurs émissions :

– l’Asie est responsable de 47,8 % des émissions mondiales de CO2 et ses émissions ont cru, entre 1990 et 2018, de 247 % (la Chine représente à elle seule 29,7 % des émissions mondiales et ses émissions ont augmenté de 370 % ; pour l’Inde les chiffres sont respectivement de 6,9 % et 341 %) ; en comparaison, l’Europe hors Russie est à l’origine de 11,9 % des émissions mondiales et ses émissions ont baissé de 26 % pendant la même période (l’évolution est identique en Russie – voir en annexe des données plus complètes, tirées d’une publication officielle) ;

–  40 % des émissions mondiales de CO2 proviennent du charbon, dont la consommation a augmenté de 60 % depuis le début du siècle. Or, la Chine et l’Inde brûlent à elles seules 64 % du charbon utilisé sur la planète (respectivement 52 % et 12 %), le pourcentage passant à 75 % si l’on ajoute l’Asie du Sud-Est (Viêt-Nam, Indonésie…). Le changement n’est pas pour demain puisqu’en Chine le charbon alimente 60 % des centrales électriques, 35 GW de centrales à charbon ont été mises en service en 2020, le gouvernement vient de rouvrir certaines mines de charbon pour faire face à la demande, etc ;

– la Chine et l’Inde sont les deux plus importants émetteurs de méthane : près de 2500 Mt d’équivalent CO2 à eux deux.

      Or la Chine et l’Inde n’ont pas signé l’engagement de réduction des émissions de méthane dont la COP est si fière et ont bataillé conjointement pour obtenir un assouplissement des dispositions du document final relatives à l’usage du charbon, vidant ce dernier de tout contenu effectif sur ce sujet.

      En 1983, lors de la crise des Pershing, le Président Mitterrand avait déclaré que « le pacifisme…, il est à l’Ouest et les euromissiles, ils sont à l’Est ; et je pense qu’il s’agit là d’un rapport inégal ». Pourquoi n’entendons-nous pas ses successeurs affirmer qu’aujourd’hui les émetteurs de gaz à effet de serre (GES) sont en Asie et au Moyen-Orient mais les politiques environnementales en Europe et que cette situation n’est pas très équilibrée ?

      Au contraire, l’Union Européenne est à la pointe du combat environnemental et a porté de 40 à 55 % son objectif de réduction des GES en 2030. Cette ambition est parfaitement sympathique mais est-il logique que l’Europe s’impose des efforts plus importants que la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite et d’autres qui, davantage qu’elle, sont à l’origine des émissions de GES et, à en juger par l’évolution récente de ces dernières, ne font pas grand-chose pour les réduire ? Ne risque-t-il pas d’en résulter une perte de compétitivité des entreprises européennes dont les concurrents asiatiques n’ont pas les mêmes contraintes, cette perte de compétitivité signifiant destruction d’emplois et difficultés sociales ? La problématique vaut notamment pour la France, dont les efforts répondent à une logique de solidarité mais pas à un critère d’efficacité : ne représentant que 0,9 % des émissions mondiales de CO2, l’influence de ses actions internes sur le réchauffement climatique est totalement marginale. En outre, les émissions de CO2 par habitant sont plus faibles en France que dans les pays voisins : 4,6 tonnes contre 5,4 au Royaume-Uni et 8,7 en Allemagne – et 8,2 en moyenne dans les pays du G20.

       Il ne s’agit pas ici de contester le principe de la réduction des émissions de CO2 en France mais de s’interroger sur son rythme et sur le déséquilibre entre les efforts demandés à notre pays et ceux auxquels ses compétiteurs asiatiques et moyen-orientaux consentent. Arrêtons de faire du zèle, cela ne sert nullement à ralentir le réchauffement climatique et n’aboutit qu’à accroître nos difficultés économiques et sociales. Contentons-nous d’accompagner une évolution vis-à-vis de laquelle nous devons être plus modestes et prenons mieux en compte les intérêts de la population et des entreprises. Et demandons aux pays pollueurs d’amplifier leurs efforts.

 

ANNEXE :

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES ÉMISSIONS DE CO2 DANS LE MONDE
En Mt CO2 –

Source : Ministère de la Transition écologique, « chiffres clés du climat : France, Europe et monde » ;

édition 2021 ; p. 32

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