Le 9 août, Alexandre Loukachenko a été officiellement réélu avec 80,08 % des suffrages contre 10,09% pour la représentante de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa qui a remplacé son époux et candidat, le blogueur Sergueï Tikhanovski, emprisonné depuis le mois de mai.
Arrivé au pouvoir en juillet 1994, en promettant la stabilité économique et sociale, il aura réussi en vingt-six ans de pouvoir à garantir une certaine croissance économique et l’indépendance de son pays en navigant habilement entre promesses d’intégration avec la Russie et ouverture envers les pays Occidentaux.
Cependant, ce contrat social entre Loukachenko et son peuple, stabilité contre régime politique autoritaire, déjà fissuré par ses attaques contre les chômeurs (considérés comme des parasites sociaux et passibles d’une amende de 230 euros, depuis 2015) et sa totale indifférence vis-à-vis de la crise du Coronavirus, est arrivé à sa fin en ce 9 août 2020.
Dès l’annonce des résultats de l’élection présidentielle, des milliers de Biélorusses sont sortis dans les rues de Minsk, et en province, pour montrer leur désaccord.
Le pouvoir a réagi en réprimant les manifestations, la police utilisant des balles de caoutchouc et du gaz lacrymogène. Plus de trois mille manifestants ont été arrêtés dans l’ensemble du pays, des dizaines ont été blessés, et une personne est morte. Le 10 août, Svetlana Tikhanovskaïa a exigé le respect du vote du peuple et un transfert du pouvoir à l’opposition, avant son départ pour Vilnius, capitale de la Lituanie, le lendemain. Les présidents russe, Vladimir Poutine, et chinois, Xi Jinping, ont été les premiers à féliciter Loukachenko pour sa victoire, l’Union européenne et les Etats-Unis exprimant des réserves quant aux résultats.
Depuis lors, les manifestations de masse pacifiques continuent de se dérouler dans tout le pays et les ouvriers des principales entreprises d’Etat se sont mis en grève, dont la célèbre usine de tracteurs de Minsk (MTZ). Contrairement à la Russie, qui dès 1993, a mis en place un plan de privatisation des entreprises, le système économique biélorusse demeure largement soviétique, les grandes entreprises héritées de l’URSS sont toujours sous contrôle étatique, soit 70% de la production du pays. L’appel de l’opposition à continuer la grève dans les entreprises et la poursuite de grandes manifestations, notamment le dimanche (plus de 100.000 manifestants à Minsk, le 23 août) a pour objectif de conduire à la démission d’Alexandre Loukachenko de la présidence. Cet appel a été renforcé par la décision de l’Union européenne réunie en sommet par visioconférence, le 19 août, de ne pas reconnaitre les résultats de l’élection présidentielle.
De son coté, Loukachenko reste accroché au pouvoir, et on ne constate pas pour l’instant de défection dans l’administration, ou dans la hiérarchie militaire. Il a ordonné à son Conseil de sécurité de mettre fin aux troubles à Minsk et de renforcer les frontières extérieures afin d’empêcher toute intrusion étrangère de personnes, d’armements ou d’argent qui viendraient soutenir l’opposition.
Cependant, l’avenir du « dernier dictateur d’Europe » à la tête du pays demeure fortement dépendant des décisions qui seront prises au Kremlin. Depuis l’élection présidentielle, Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko se sont entretenus à quatre reprises au téléphone. Pour le moment, le soutien russe semble total, faute d’alternative. En effet, il est de notoriété publique, que le président russe n’éprouve aucune sympathie pour son homologue à Minsk. Depuis vingt-six ans de pouvoir, Loukachenko aura toujours réussi à monnayer son soutien à Moscou en jouant sur la situation géographique de son pays, tampon entre la Russie et l’OTAN. Ainsi, jusqu’en 2019, la Russie exportait du pétrole brut en Biélorussie à un prix inférieur au cours mondial, puis, cette dernière réalisait le raffinage et exportait les produits pétroliers sur le marché international, engrangeant alors de substantiels bénéfices. Fin 2019, en réformant sa fiscalité sur l’énergie, la Russie a mis fin à ce système qui équivalait à une subvention directe de son voisin d’environ 8 milliards de dollars par an. L’objectif russe était aussi de pousser Loukachenko à s’engager davantage dans le projet d’intégration voire d’union fédérale russo-biélorusse, mais sans succès…une fois de plus !
Or, depuis l’élection présidentielle, le président Loukachenko a perdu sa légitimité à l’intérieur et sa capacité de marchandage vis-à-vis de son grand voisin de l’Est. Pour la première fois depuis 1994, Moscou est en position de dicter les conditions de son soutien à Minsk. En cette période post-électorale en Biélorussie, deux options réalistes s’offrent au Kremlin.
La première est de continuer de soutenir Loukachenko. Pour l’instant, le président Poutine a prévu d’envoyer un soutien policier (un corps de police a déjà été formé à cet effet), uniquement dans le cas où la situation dégénérerait. Mais, dans un deuxième temps, en échange de cette assistance, le Kremlin pourrait exiger, par exemple, une accélération forcée de l’intégration entre les deux pays et/ou l’installation d’une grande base militaire russe sur le sol biélorusse.
La seconde, si le calme ne revient pas dans les rues ni dans les usines dans les prochains mois, est de consulter les différents leaders de l’opposition biélorusse afin de chercher un successeur et d’organiser une nouvelle élection présidentielle ouverte. Le nouveau président élu (ou nouvelle présidente) aurait alors la légitimité du peuple pour négocier les modalités d’approfondissement de l’intégration économique, voire politique avec la Russie. Par ailleurs, Vladimir Poutine inviterait Alexandre Loukachenko à s’exiler à Moscou, qui retrouverait alors son ancien homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch. Toute autre option, notamment une intervention militaire russe directe, serait désastreuse pour les deux pays et pour les deux peuples frères.