Tribune d’Alain Juillet, membre du Comité d’orientation stratégique de Geopragma, publiée par le Cercle K2 le 16 mars 2021
La gravité des problèmes que nous traversons devrait nous faire réfléchir à l’avenir de notre pays avec pour corollaire une évaluation objective de notre capacité de remise en cause. Si l’on analyse les trois vagues successives de la crise sanitaire, nous retrouvons les mêmes éléments à chaque étape : une impréparation totale, du pilotage à vue, une organisation dépassée, et une gestion erratique des moyens. Il ne s’agit nullement d’une critique, car la tâche est difficile et l’équipe en place paie pour tous ceux qui l’ont précédé. Le problème c’est qu’à travers cette situation sanitaire, nous ne voyons que la partie émergée de l’iceberg. En réalité, le bateau France prend l’eau de toutes parts : l’Europe de la défense, notre balance commerciale, notre situation en Afrique ou les tensions judiciaires n’en sont que des exemples parmi d’autres.
L’impréparation conduit toujours à des situations que l’on ne maîtrise pas et entraîne de la surréaction dont les conséquences se payent toujours sur le long terme. Le montant colossal de la dette, qu’il faudra rembourser quoi qu’on en dise après la prochaine élection présidentielle, est là pour l’attester. Pour camoufler ces évidences, nos élites pratiquent la magie du verbe en substituant le faire croire à la réalité. Ceci nous évite de reconnaître que la France a été classé 73e mondiale dans la gestion de la crise par un institut australien. Il est vrai que, contrairement à d’autres, l’Allemagne ou la Corée par exemple, nous n’avions rien envisagé en dépit des rapports et livres blancs qui donnaient l’alerte.
Tous les pilotes savent que le pilotage à vue est une nécessité quand les instruments ne fonctionnent pas et la situation trop complexe. Tous les militaires savent que le rôle du chef est essentiel car, comme disait Kipling, quand le chef s’assoit, les hommes se couchent. Le pacha prend la barre car c’est lui qui, ayant le plus d’expérience et de connaissance de la situation, assume dans l’instant. Que penser d’un système dans lequel on remplace la responsabilité décisionnelle par l’avis de comités d’experts ou de citoyens tandis qu’on court-circuite les élus de terrain ? Que penser d’un système dans lequel, hanté par la condamnation de Laurent Fabius dans l’affaire du sang contaminé, les décideurs utilisent un Conseil de défense, couvert par le secret, pour éliminer tout risque de poursuite judiciaire ?
De l’Institut Pasteur à l’organisation de nos hôpitaux, la France a été longtemps considérée comme un modèle. Une suite de décisions désastreuses favorisant la vision administrative au détriment du corps médical, dont la dernière fut la priorité donnée à la gestion financière sur le traitement des malades et la recherche, a fait sombrer notre fleuron. En opposant hôpital public et clinique privée, en laissant dériver les fraudes en tous genres, en refusant de financer des projets de recherche, comme celui de la récente prix Nobel Emmanuelle Charpentier au nom du retour sur investissement, nous avons construit méthodiquement les bases de notre faillite. Les évènements récents ont montré que notre système était incapable de se remettre en cause contrairement aux affirmations volontaristes du politique. Où sont les nouveaux lits médicalisés promis lors du premier confinement ?
Mélangeant volontarisme et idéologie, nous nous sommes appuyés sur la Commission européenne et les Américains pour les vaccins, comme si la santé n’était pas un problème universel. Il est vrai que les intérêts financiers des grands laboratoires n’étaient jamais très loin. Après l’étape du confinement total, puis celle des masques et des gestes barrières, la troisième a vu, entre autres choses, l’engagement du Cabinet Mac Kinsey pour organiser les vaccinations. C’est malheureusement la démonstration de l’incapacité de l’administration sanitaire à être directement efficace, s’étant progressivement coupée des réalités. Les Israéliens et d’autres ont utilisé avec succès l’armée. Les grands logisticiens français étaient prêts à se mobiliser avec l’efficacité qu’on leur connaît. Le système n’a pas été capable de faire confiance à nos forces vives ou de déléguer à d’autres administrations. Cela en dit long sur la coupure existant aujourd’hui entre les élites administratives qui gouvernent et la France qui travaille.
Même si, pour des raisons électorales, certains en minimisent les effets, ce long chemin de croix sanitaire a révélé à beaucoup que la France est en crise. Elle va devoir affronter des moments difficiles dans de nombreux domaines et se remettre fondamentalement en cause si elle veut rebondir. Pour anticiper de tels événements, il faut avoir le courage et la volonté d’identifier à l’avance les menaces et les opportunités qui pèsent sur notre environnement. Mieux savoir pour mieux anticiper repose sur la recherche, la collecte et le traitement d’informations pour détecter les tendances lourdes, les attentes et les nouveaux besoins des citoyens, les actions et l’état de la situation économique, sans oublier l’évolution de l’environnement social et sociétal. Ceci permet de faire le moins d’erreurs possible dans les choix et les actions à entreprendre.
Les militaires savent bien que l’efficacité de toute stratégie implique, au préalable, une parfaite connaissance de ses propres capacités. Avant d’envisager une action, il faut d’abord se connaître soi-même de façon objective en dressant un bilan de l’existant, puis, en s’appuyant sur des retours d’expériences et des échanges en réseau aux niveaux national et international, faire une analyse contradictoire pour identifier nos défauts et les pistes d’amélioration. Le risque permanent est de se laisser piéger par nos biais cognitifs, c’est-à-dire de nier la réalité que nous ne voulons pas voir pour des raisons idéologiques, morales, politiques, ou d’égo personnel. C’est ensuite aux décideurs de les croiser avec leur capacité intuitive et leur expérience pour trouver l’équation gagnante, en s’appuyant sur la synthèse des informations transmises par les experts. Le Big data et les moyens numériques facilitent ces changements organisationnels qui supposent adaptation et agilité autour d’un objectif parfaitement défini.
Ce n’est pas parce que le monde change rapidement que nous ne pouvons pas avoir de vision à long terme. Alors que nous vivons dans le monde de l’éternel présent, c’est par une vision claire de l’avenir que l’on doit évoluer. Sa transmission par un message cohérent dans la durée, avec des objectifs successifs adaptables, permet d’obtenir l’adhésion et motiver les citoyens autour d’une idée, d’un concept, d’un objectif partagé. Mais dans notre monde médiatique, où les réseaux sociaux et les groupes minoritaires ont plus de poids apparent que la majorité silencieuse, il faut au décideur du courage, de la persévérance et surtout une volonté sans faille pour aller jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte.
bajeux
Ronan CHIQUET
Charles