Article rédigé par Renaud Girard, membre du Comité d’orientation stratégique de Geopragma.
Le samedi 26 mars 2022, dans la cour du château royal de Varsovie, Joe Biden a fait un discours destiné à rester dans les annales. Requinqué par une résistance ukrainienne à l’exact opposé de l’effondrement militaire afghan d’août 2021, le président américain affichait une forme olympienne. Comme si l’agression russe contre l’Ukraine du 24 février 2022 avait offert une seconde vie au chef de l’Alliance atlantique.
Non seulement l’Otan avait connu une résurrection par rapport à son « état de mort cérébrale », diagnostiqué en novembre 2019 par Emmanuel Macron, mais elle avait un chef à sa tête, bien décidé à appliquer son article 5 (la défense commune de tout Etat membre agressé militairement). Comme Donald Trump avait fait planer un doute sur l’application automatique par les Etats-Unis de cet article 5, Joe Biden sut saisir l’occasion de se démarquer de son prédécesseur. De manière subliminale, le président démocrate put engranger les fruits de la très sérieuse préparation militaire des armées ukrainiennes par le Pentagone depuis 2015.
En Afghanistan, les Américains ont beaucoup investi dans une armée sans motivation : elle s’est rendue sans se battre. En Ukraine, ils ont formé et équipé des soldats motivés : le résultat est magnifique.
Pour encadrer la tribune présidentielle, les Polonais avaient déployé, sur la façade du Château royal, deux immenses drapeaux américain et polonais. Le drapeau européen était absent. À Varsovie, l’Union européenne est perçue comme une marâtre, qui donne des leçons de morale et de démocratie (dont on ne veut pas), mais beaucoup d’argent de poche (qu’on ne refuse jamais). En revanche, l’Amérique y est vue comme la seule marraine solide capable, par sa puissance militaire, de garantir à la Pologne qu’elle ne sera pas partagée une cinquième fois.
Une histoire contemporaine tragique a appris le réalisme aux Polonais. Ils ont compris depuis longtemps qu’il était inutile de prendre au sérieux le concept de défense européenne. Ils se souviennent qu’en septembre 1939, lors de l’invasion germanique de leur pays, leurs alliées, la France et l’Angleterre avaient déclaré la guerre à Hitler, sans pour autant leur apporter d’aide militaire concrète.
Après la victoire sur le nazisme de 1945, les Polonais ont subi 45 ans d’assujettissement à Moscou. Ils n’ont pas envie de renouveler l’expérience ; ils se méfient des Russes et n’accordent qu’une confiance limitée à leurs alliés européens. Mais quand Biden leur dit que l’Otan ne laissera pas la Russie prendre un seul mètre carré de leur territoire, ils se sentent rassurés. Et quand le président américain cite le « N’ayez pas peur ! », l’apostrophe culte de leur plus grand homme, le pape Jean-Paul II, fossoyeur du communisme, ils jubilent.
Biden est allé visiter les camps de réfugiés ukrainiens en Pologne et a rendu hommage à la générosité des Polonais, lesquels avaient été dénigrés par l’UE lors de la crise migratoire moyenne-orientale de 2015, pour avoir privilégié l’accueil chez eux des réfugiés chrétiens.
Bref, Biden a fait un sans-faute en Pologne… jusqu’à la chute de son discours de Varsovie, où il déclare que Poutine – qu’il avait déjà traité de « boucher » – ne pouvait pas « rester au pouvoir ».
Voilà que revient soudain la doctrine néo-conservatrice du « regime change ». Celle qui a présidé au remplacement si « réussi » de trois autocrates dans le monde arabo-musulman, le mollah Omar en Afghanistan, Saddam Hussein en Irak, Mouammar Kadhafi en Libye. Trois pays dans lesquels les bombes américaines ont laissé davantage de chaos que de progrès. Si Biden avait voulu aider les contempteurs actuels de l’« impérialisme américain », il ne s’y serait pas pris autrement. Car ce n’est pas aux Américains, mais aux Russes, de décider qui doit gouverner en Russie.
On a assisté à un retour du refoulé néo-conservateur chez Biden. Pourtant, dans l’élite démocrate, comme républicaine, plus grand monde ne croit encore aux bienfaits du regime change.
De nombreuses nations blâment Poutine d’avoir agressé l’Ukraine, pour la dépouiller de la province sécessionniste du Donbass. Mais elles se souviennent aussi que l’Otan a attaqué la Serbie en 1999, sans autorisation de l’Onu, afin de la dépouiller de sa province sécessionniste du Kosovo.
Ce retour du néo-conservatisme à la Maison Blanche a deux conséquences funestes : priver l’Amérique de rôle diplomatique dans la crise russo-ukrainienne et renforcer la paranoïa des dirigeants chinois comme russes.
Tout repose donc désormais sur les frêles épaules des Ukrainiens : la résistance armée mais aussi la fabrication d’un cessez-le-feu. Aux yeux des derniers néoconservateurs, en Europe comme en Amérique, la guerre du « bien » contre le « mal » est supérieure à tout, même à la paix. Une guerre qu’ils veulent faire jusqu’au dernier Ukrainien.
Realistes
yvette sitbon
Roland Paingaud
Roland Paingaud