Article rédigé par Renaud Girard membre du Conseil d’orientation stratégique de Geopragma et publié pour le 24 juin 2024 sur le site du Figaro.

La situation le long de la frontière internationalement reconnue entre Israël et le Liban s’est considérablement détériorée depuis le 7 octobre 2023. Ce jour-là, l’attaque meurtrière du Hamas se porta contre le front sud d’Israël, qui avait imprudemment été laissé sans soldats pour le défendre. Mais le front nord a été déstabilisé quelques semaines plus tard, par contrecoup, lorsque le mouvement chiite libanais islamiste Hezbollah s’est senti obligé d’agir contre Israël, par solidarité avec le mouvement sunnite palestinien islamiste Hamas. Tsahal avait en effet, à partir du 27 octobre 2024, envahi la bande de Gaza, dans le but de la démilitariser et d’éradiquer le Hamas, provoquant une grande émotion dans le monde arabo-musulman, en raison du nombre toujours croissant des victimes civiles « collatérales » du feu israélien.

Le Hamas et le Hezbollah font partie du même « axe de résistance » contre Israël. Cet axe a été patiemment construit par l’Iran au cours du dernier quart de siècle. Il englobe également la Syrie, l’Irak et les houthistes du nord du Yémen. Les religieux chiites qui dirigent l’Iran estiment que prendre la tête de la « résistance » contre Israël et du combat pour la récupération de Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam, leur assurera un leadership sur l’ensemble des musulmans de la planète. Cette prétention peut sembler folle, dans la mesure où de nombreux sunnites considèrent les chiites comme d’abominables hérétiques, mais elle continue à structurer la pensée du guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei.

Au début de la guerre à Gaza, le Hezbollah s’est contenté d’un « service minimum » contre le front nord d’Israël, juste assez pour montrer sa solidarité avec la cause palestinienne, mais pas au point de provoquer des représailles massives contre le territoire libanais par Tsahal. Ce service minimum résultait du fait que le leadership iranien avait peu apprécié de ne pas avoir été consulté par le Hamas avant son attaque du 7 octobre.

Les choses ont changé depuis qu’un raid aérien israélien a tué, à l’intérieur du consulat iranien à Damas, le 1er avril 2024, le général Mohammad Reza Zahedi, chef pour le Levant de la Force al-Qods, le bras armé des pasdarans iraniens pour les opérations extérieures. L’Iran et le Hezbollah libanais ont jugé qu’Israël ne comprenait que la force et qu’il était temps de montrer la leur.

Le gouvernement israélien veut simplement chasser le Hezbollah des zones frontalières, pour le ramener au nord du fleuve Litani

Les drones incendiaires du Hezbollah ont provoqué de gigantesques incendies sur les cultures israéliennes du nord de la Galilée. Les roquettes de la milice islamiste sont tombées également à l’improviste sur les habitations israéliennes. Les villes israéliennes de Métulla, Kyriat Shmona ou Rosh Pina ont été, par précaution, vidées de leur population. 120.000 Israéliens ont officiellement quitté leurs foyers de Galilée et sont rémunérés sur le budget de l’État hébreu. On rencontre actuellement ces familles de réfugiés dans de très nombreux hôtels de Tel-Aviv.

Cette situation ne saurait durer aux yeux du premier ministre israélien, qui l’a répété lors de l’interview exclusive qu’il a accordée au Figaro . « Aucune démocratie au monde n’accepterait d’être bombardée depuis le territoire d’un État voisin », nous a-t-il déclaré dans son bureau du Kyria, le complexe de l’état-major de Tsahal à Tel-Aviv.

Le dessein de Benyamin Netanyahou n’est pas d’éradiquer le Hezbollah, car il sait que c’est impossible. Le mouvement est trop bien armé, trop bien implanté, trop influent dans la politique libanaise. Le gouvernement israélien veut simplement chasser le Hezbollah des zones frontalières, pour le ramener au nord du fleuve Litani. Il exige l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, laquelle prévoit spécifiquement qu’aucune force paramilitaire ne doit se trouver au sud du Litani, et que seules peuvent y patrouiller l’armée libanaise et la Finul, la Force intérimaire des Nations unies au Liban, qui n’a d’intérimaire que le nom, car créée en 1978.

Grave manque de munitions

La résolution 1701 est celle qui mit fin à la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël. Commencée le 12 juillet 2006 par une intrusion meurtrière du Hezbollah en territoire israélien (huit soldats israéliens tués), elle se poursuivit par des bombardements aériens massifs de Tsahal contre le territoire libanais, puis par une invasion terrestre israélienne du sud du Liban (que les Israéliens avaient quitté volontairement six ans plus tôt). Elle dura 33 jours, provoqua la mort de plus de 120 soldats de Tsahal et la destruction d’une grande partie des infrastructures et des villages du sud du Liban. L’objectif principal du premier ministre israélien de l’époque était l’éradication définitive du Hezbollah. La réalité est que la guerre israélienne de représailles eut pour résultat de renforcer considérablement le mouvement chiite au Liban, lequel jouit désormais d’un droit de veto sur toutes les décisions du cabinet libanais (voir mon ouvrage La Guerre ratée d’Israël contre le Hezbollah, Éditions Perrin).

Pourquoi Netanyahou n’a-t-il pas encore lancé Tsahal à l’assaut du sud du Liban ? Israël souffre actuellement d’un manque grave de munitions. Elles tardent à venir d’Amérique. Un sénateur républicain a même publiquement accusé l’Administration Biden de ralentir les livraisons américaines sous des prétextes bureaucratiques. Il est vraisemblable que les munitions américaines vont très bientôt arriver en Israël, dans la mesure où le Congrès lui est en grande partie acquis. Benyamin Netanyahou est d’ailleurs attendu à la fin du mois de juillet à Washington pour prononcer un grand discours devant les deux chambres réunies.

Dans la gestion de son problème sécuritaire au nord, Israël souhaite montrer sa force, sans obligatoirement la déployer entièrement. L’idée est plutôt de convaincre ses ennemis, le Hezbollah et l’Iran, de recourir à la diplomatie, pour éviter que le conflit ne détruise le Liban une seconde fois.

La France a donc, immédiatement, un rôle crucial à jouer d’intermédiaire sincère entre le Hezbollah et le gouvernement israélien, car aucune puissance occidentale ne connaît mieux qu’elle le Levant. Hélas pour les Libanais comme pour les Israéliens, les autorités françaises sont actuellement paralysées par une joute électorale interne qu’aucun acteur du Moyen-Orient n’aurait pu anticiper.

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