Article rédigé par François Martin, membre de Geopragma, et publié sur Smart Reading Press le 22 novembre 2021.
La question de la Nouvelle-Calédonie est compliquée. Cet écheveau est le résultat d’une incroyable suite de renoncements, de cafouillages, d’ambiguïtés et de faiblesses de la France. Pour cette raison, on peut tout craindre du scrutin attendu le 12 décembre prochain, pour ou contre l’indépendance du territoire.
La Nouvelle-Calédonie est une collectivité française composée d’un ensemble d’îles et d’archipels d’Océanie, situés en mer de Corail et dans l’océan Pacifique Sud. Elle s’étend sur un territoire de 18 500 km2, avec une réserve maritime (ZEE) de 1 422 000 km2, et 20 à 30 % des réserves mondiales de nickel. De plus, elle se situe à 1 500 km environ à l’ouest de l’Australie et à 2 000 km au nord de la Nouvelle Zélande, donc dans une position totalement stratégique, au beau milieu de « l’arc de crise » pacifique, celui de l’AUKUS et du conflit (pas encore militaire…), entre les USA et la Chine. Pourtant, personne ou presque ne semble s’intéresser en France à ce territoire, et cela est d’autant plus étonnant, au vu des multiples erreurs ou cafouillages du passé, et des conséquences potentiellement cataclysmiques du référendum sur l’indépendance du territoire prévu le 12 décembre prochain.
Pour comprendre le dossier, il faut se rappeler qu’un premier référendum national avait eu lieu à son sujet le 13 septembre 1987[1], mais que l’affaire démarre véritablement le 22 avril 1988, avec l’attaque, par une soixantaine d’indépendantistes kanaks et de membres du FLNKS, de la gendarmerie d’Ouvéa, l’une des îles de l’archipel. Quatre gendarmes sont tués sur place, et vingt-six pris en otage. Une partie est libérée peu après, mais les autres sont enfermés, avec leurs ravisseurs, dans une grotte, d’où ils seront délogés le 4 mai 1988 par les forces françaises, avec 17 morts du côté kanak et 2 du côté des forces françaises. Ceci se produisant au moment même des élections présidentielles, le nouveau gouvernement, dirigé par Michel Rocard, aura à cœur de négocier et signer très vite, dès le 26 juin 1988, les Accords de Matignon, qui seront suivis, 10 ans plus tard, le 5 mai 1998, par les Accords de Nouméa. Cette séquence sera le prélude à une invraisemblable série de consultations-référendum[2] qui n’est, aujourd’hui, toujours pas terminée.
Il est à remarquer, en particulier, que les accords de Nouméa de 1998, signés sous l’égide de Lionel Jospin (et sous la présidence de Jacques Chirac), sont vraiment très «spéciaux», dans la mesure où, «en même temps» que les principes de la République, qui imposent l’indifférenciation entre les citoyens devant la loi, ils instaurent, localement, avec «la reconnaissance des kanaks en tant que peuple autochtone», muni de sa «civilisation propre, ses traditions, ses langues, sa coutume, son imaginaire et son identité», parallèlement la «légitimité des nouvelles populations, convaincues d’apporter le progrès», la reconnaissance des «ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière», la «refondation d’un lien social durable basé sur la décolonisation», et finalement le «partage de la souveraineté» et la «recherche d’un destin commun», un véritable système « racialiste »[3]. Il est difficile, encore aujourd’hui, de comprendre comment a pu être monté un tel « tour de passe-passe », et une telle « double logique », aussi ambiguë et totalement contraire à l’esprit de la République, pétrie de « valeurs universelles intangibles » dont, par ailleurs, les dirigeants de l’époque ne cessaient de se prévaloir.
De plus, les accords de Nouméa prévoient non pas un seul, mais trois référendums d’autodétermination, en posant, qui plus est, uniquement la question oui/non, sans même proposer une architecture, mais en laissant les parties trouver ensuite «une solution négociée, de nature consensuelle», qui devra faire l’objet, plus tard, d’un énième référendum, un «référendum de projet» ! Sommes-nous encore en France, ou bien dans un asile ?
Last but not least, ces consultations ne sont pas ouvertes à tous, mais elles excluent, par le jeu de l’ancienneté sur le territoire, environ 20 % de la population, des « caldoches » d’origine européenne, évidemment[4]. Comment peut-on accorder quelque valeur que ce soit à une telle consultation ?
Tout cela ne peut que monter les communautés les unes contre les autres. Avec de tels principes, on s’étonne que les choses n’aient pas encore dégénéré…
Pour couronner le tout, les accords de Matignon avaient prévu de renforcer le développement économique de l’île. Si l’argent public s’est déversé à flots, faisant des néo-calédoniens les plus riches de l’ensemble des Mélanésiens[5], par contre, l’industrie du nickel de l’île, pourtant stratégique pour toutes les économies modernes, et en particulier pour la Chine qui en est le principal acheteur, est virtuellement en faillite, ou en tout cas en piètre état, du fait des mauvais choix techniques et, sans doute, des réticences des investisseurs pour s’engager à long terme avec un horizon politique aussi peu visible… On le serait à moins… Le résultat est que personne ne profite véritablement de cette manne, alors que l’île possède 20 à 30 % des réserves de nickel, et du cobalt à foison. Le tourisme n’est pas vraiment développé non plus, ni l’industrie pétrolière et gazière, dont le territoire possède pourtant de grandes réserves dans les îles Chesterfield.
Tout cela, en soi, est déjà tragique d’incompétence et d’incurable faiblesse. Il faut pourtant y rajouter la situation internationale. En effet, la Chine voit, avec la possible chute de la «maison France» en Nouvelle-Calédonie, une occasion formidable pour briser le blocus de l’AUKUS. Si elle faisait main basse sur le territoire, indépendance aidant, elle ne manquerait pas, après avoir suffisamment «arrosé» quelques dirigeants, de mettre le pays en coupe réglée et d’en piller les ressources (nickel, réserves halieutiques, etc…). Elle n’hésiterait pas non plus, pourvue désormais de son meilleur «porte-avion», insubmersible qui plus est, de l’équiper en avions, sous-marins et missiles pour menacer directement l’Australie et sa capitale Sydney. Une perspective exceptionnelle d’un côté, et très inquiétante de l’autre. Comment penser que la Chine, dans ces conditions, ne fera pas tout ce qu’elle peut pour influencer le vote ? Comment penser, par ailleurs, que l’Australie, ou la Nouvelle-Zélande, pouvaient faire confiance, et faire affaire, avec un allié français aussi peu conséquent ? Si la Nouvelle-Calédonie «tombe», c’est l’issue de toute la nouvelle «guerre du Pacifique» qui risque d’en être affectée. Sans compter que selon la «théorie des dominos» bien connue, les mouvements indépendantistes de nos autres îles polynésiennes, dans ce cas, ne manqueront pas d’exiger le même traitement, jusqu’à ce que nous perdions toutes nos positions pacifiques, et plus tard antillaises et guyanaises. Une véritable catastrophe historique. La question est donc gravissime. Il en va de notre destin maritime, et de notre statut de puissance, ni plus ni moins.
Quelles leçons tirer, finalement, de cet incroyable échec, programmé de si longue date ?
- Il est certain que les choses ont été organisées, en 88 et plus encore en 98, pour donner l’indépendance au territoire. Les choses ont été préparées (statut local racialiste « anti-européen », consultations multiples, etc…) pour un résultat promis d’avance. N’ayant pas eu le courage ni de dire non aux revendications des ultras kanaks (qui sont pourtant divisés en de multiples ethnies, nullement unies), ni de leur dire oui de but en blanc, nos autorités ont construit cette invraisemblable « usine à gaz » pour que ça se fasse « naturellement », pourrait-on dire. C’est ça qui rend les dirigeants kanaks si sûrs d’eux, et certainement déçus, furieux et prêts à « tout casser » (ou à faire semblant) si ça ne « marche pas », si le « paquet » promis n’est pas livré.
- Heureusement, et c’est peut-être cela qui nous sauve, les Mélanésiens, au bout du compte, semblent bien faire la part des choses entre ce que la France leur apporte, et leur apportera demain, en tout cas si elle s’y décide, et d’autre part les coûts et avantages de l’aventurisme politique pro-chinois[6], d’autant qu’ils ont l’exemple d’autres expériences bien ratées près de chez eux (le Vanuatu, qui se retrouve avec une dette abyssale). Ils sont moins «intéressés» par le pouvoir et les prébendes que leurs dirigeants traditionnels, et aussi plus déterminés et moins bêtes que ceux de la métropole.
- La solution n’est pas nécessairement oui ou non. Plusieurs solutions intermédiaires existent (partition, fédération), dont ma connaissance imparfaite du dossier ne peut évaluer la pertinence. Qu’il me soit pourtant permis de penser que, si on l’avait voulu, et connaissant les dissensions qui ne manquent certainement pas d’exister entre les chefs kanaks, et dont on aurait pu se servir, il aurait été possible, avec un bon plan de développement économique à la clef, d’obtenir un large consensus des populations de toutes origines pour les entraîner vers un futur ambitieux et partagé. Si on ne l’a pas fait, c’est surtout parce qu’on ne l’a pas voulu.
- En filigrane de tout cela, il faut remarquer aussi l’incroyable confusion et la faiblesse de caractère de tous nos dirigeants, pendant toute cette période[7]). Il est certain qu’avec un peu plus de fermeté et de vision, cette désastreuse affaire aurait été réglée depuis longtemps.
- Enfin, pour finir avec une note optimiste, remarquons que si la France reste sur place, tous les ingrédients existent (ressources, situation géopolitique) pour tirer de la situation le meilleur parti possible. Il suffit de vouloir les mettre en œuvre.
Aux dernières nouvelles, il n’est pas certain que le scrutin se fasse. En effet, si le gouvernement vient de confirmer, il y a quelques jours seulement, qu’il se tiendrait le 12 décembre, les kanaks ont annoncé qu’ils boycotteraient le scrutin, et ont demandé le report, prétextant des conséquences du Covid. Qui aura gain de cause ? Le « flou artistique » n’est visiblement pas terminé. Et quoi qu’il arrive, scrutin ou pas, victoire du oui ou bien du non, on peut être certain que les mécontents seront légion, avec possibles violences à la clef. Si c’est le cas, nous l’aurons bien cherché…
La Nouvelle-Calédonie est un baril de poudre avec toutes les mèches allumées… par nous-mêmes. Là comme ailleurs, la France aura-t-elle un jour une vision, et une volonté ?
[1] 98,3 % des votants s’étaient prononcés pour le maintien avec la France.
[2] Après un premier référendum (national) le 13 septembre 1987, il y aura celui (national) du 6 novembre 1998, puis ceux (locaux) du 8 novembre 1998, du 4 novembre 2018, du 4 octobre 2020, du 12 décembre prochain (s’il n’est pas repoussé…), plus celui ou ceux qui seront ratifiés pour confirmer le futur statut du territoire, que le résultat soit oui ou non.. Donc en tout 7 ou 8 scrutins étalés sur 35 ans, sans qu’aucune solution d’avenir véritable n’ait été mise en œuvre ou même esquissée pendant toute cette période…
[3] Donc raciste, anti-blanc.
[4] De plus, les «caldoches» sont tenus de s’inscrire sur les listes électorales, alors que les kanaks le sont automatiquement de droit…
[5] Avec priorité aux autochtones pour les postes de travail…
[6] Avec un résultat de 56,4 % pour la France au scrutin de 2018, et 53,26 % pour la France à celui de 2020.
[7] Cf. article du Pr JC Martinez paru dans le n° 5 de la revue Le Nouveau Conservateur.
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