Billet du lundi 15 juillet 2024 rédigé par Jean-Philippe Duranthon, Membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.

Bien sûr on a parlé d’Europe : difficile de ne pas le faire quand on élit le Parlement européen.

Mais on n’est guère allé au-delà de l’opposition facile entre une Europe-paradis et une Europe prison. On n’a guère discuté de la façon dont l’Europe peut stopper son affaiblissement économique et stratégique ; du rôle qu’une région dont le poids démographique diminue peut à l’avenir jouer dans le monde ; de ce que signifient pour les peuples extra-européens des « valeurs » que l’Europe revendique fièrement et voudrait universelles. Bref, on n’a guère débattu de ce que l’Europe veut faire d’une souveraineté qu’elle réclame sans relâche sans lui donner grand contenu.

Bien sûr on a échangé des invectives à propos du caractère terroriste du Hamas, de la reconnaissance d’un Etat palestinien ou de la tragédie à Gaza. Mais on n’a guère discuté sérieusement des cheminements susceptibles de déboucher, sinon sur une paix durable au Moyen-Orient, du moins sur un apaisement salvateur en Palestine, et l’on ne s’est pas demandé ce que la France, au-delà de déclarations souvent grandiloquentes, pourrait faire concrètement pour y contribuer.

La guerre en Ukraine n’a pas non plus suscité beaucoup de débats. On aurait pu s’attendre à ce que l’annonce par le Président Macron, fin février, de l’envoi officiel d’instructeurs français sur le sol ukrainien puis, plus récemment, l’autorisation donnée aux Ukrainiens d’utiliser des armes fournies par la France pour frapper le territoire russe, donnent lieu à des échanges nourris ; les frémissements de dialogue (ou d’esquisse de l’acceptation de l’éventualité d’un dialogue) constatés de la part des protagonistes et des pays qui leur sont proches et, à l’inverse, le souhait de certains membres de l’OTAN de faire en sorte que l’Ukraine soit traitée de facto comme un membre de l’organisation avant de l’être de jure, auraient aussi pu faire réfléchir à la façon dont la France doit se positionner.

De même, n’aurait-il pas fallu, à quelques jours du 75ème anniversaire de la création de l’OTAN et à l’occasion du remplacement du secrétaire général de l’organisation, s’interroger sur l’avenir des relations transatlantiques ? N’aurait-il pas fallu débattre des évolutions possibles ou souhaitables compte tenu des déclarations du candidat Donald Trump ? Faut-il accepter que l’OTAN coordonne l’envoi des armes occidentales à l’Ukraine ? La France doit-elle continuer à se replier sur un Occident dominé par les Etats-Unis tout en voyant se renforcer un bloc de réprouvés (Chine, Russie, Iran…) dont le récent sommet du groupe de Shangaï et le déplacement du président Modi à Moscou montrent le pouvoir d’attraction sur le reste de la planète ?

Les nombreuses questions que pose la montée des tensions en Asie n’ont, elles non plus, pas été débattues. Comment faire face à l’influence grandissante et aux revendications croissantes d’une Chine dont il est, du point de vue économique, difficile de négliger le marché ? La France doit-elle se contenter d’être un simple observateur entre, d’une part une Chine renforçant ses liens avec la Russie ou l’Inde et grignotant îlots ou archipels, et, d’autre part, une alliance des pays anglo-saxons associés au Japon ? Le fait que l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie ait été « oublié » pendant la campagne électorale signifie-t-il que la France se désintéresse du

Pacifique, ou n’a plus les moyens de s’y intéresser ?

Enfin, n’aurait-il pas été logique de se demander comment la France, après avoir tant investi, financièrement et militairement, pour aider les pays africains, doit agir aujourd’hui face à la déliquescence ou l’autoritarisme de certains régimes et face à la prise de contrôle, militaire ou financière, du continent par la Russie et la Chine ? Les déboires qu’Orano rencontre au Niger sont-ils un cas isolé ?

Les interrogations, les inquiétudes et les décisions à prendre, on le voit, sont nombreuses. Pourtant, la géopolitique a été quasiment absente des débats électoraux de ces dernières semaines. Comment l’expliquer ?

Ecartons bien sûr l’hypothèse selon laquelle la politique étrangère ferait l’objet, comme cela a parfois pu être le cas dans le passé, d’un consensus national : il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas.

On peut aussi penser que les Français aimeraient pouvoir influer sur les choix mondiaux mais éprouvent un sentiment d’impuissance à l’égard des évolutions du monde et des décisions des pays proches ou lointains : il est malheureusement vrai que la France, à force d’additionner maladresses et erreurs stratégiques, joue un rôle de plus en plus limité dans le dialogue international.

Reste l’hypothèse selon laquelle les Français ne sont pas conscients de ce que leur vie dépend étroitement de décisions prises, soit dans le cadre interétatique, soit à un niveau supranational. L’irréalisme des programmes économiques que les partis ont élaborés pour séduire les électeurs est une autre expression de cette erreur d’analyse ou de cette inconscience.

A moins qu’il ne s’agisse d’un étrange sentiment de supériorité : la France, à qui l’on doit les Lumières et l’Idéal Révolutionnaire, personnifie la Raison, le Droit et le Bien, il lui suffit d’exprimer une opinion pour que la terre entière s’y rallie.

Les désillusions succèdent toujours aux illusions ; reste à savoir si elles seront bénignes ou douloureuses.

Tout cela, bien sûr, va changer dans quelques jours : la France va montrer à la planète entière sa capacité à organiser des JO « modernes, solidaires, engagés, responsables, inclusifs… » (mais pas très planet friendly). Reconnaissons toutefois que le message universel véhiculé par des compétitions sportives est un peu maigrichon par rapport à celui que portaient jadis les Lumières. Reconnaissons aussi qu’il serait plus enthousiasmant de former de futurs médaillés Fields que de fabriquer les médailles destinées à quelques athlètes méritants.

Jean-Philippe Duranthon, Membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma – 15 juillet 2024

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5 comments

  1. M RICARD

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    Il me semble assez logique que les questions géopolitiques ne figuraient pas dans les programmes et les discours politiques des deux dernières élections nationales. Ces questions n’intéressent qu’une petite partie de la classe politique française et ce n’est pas nouveau. C’est vu comme une affaire de spécialistes et il est possible que bon nombre de politiciens en herbe ou même confirmés hésitent à s’exprimer sur des sujets où leurs connaissances sont vagues et imprécises car puisées dans la presse ordinaire. Cette tendance est renforcée par le principe de faire une politique à la petite semaine afin d’obtenir des résultats rapides et faciles en lieu et place d’une Politique du « temps long ». Le changement de génération en cours montre aussi que la géopolitique est apparemment absente des formations des « élites » ( INSP et Sciences Po notamment). On pourrait aussi s’attarder sur les connaissances souvent médiocres desdites « élites » en Histoire et Géographie…Bref, nous avons des artistes de variété mais plus de grands virtuoses…

  2. Pierre ESCLAFIT

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    Mais d’où nous vient donc cette idée d’Union Européenne ?
    Walter Hallstein y est il pour quelque chose ?

  3. Pierre ESCLAFIT

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    L’Union Européenne et notre président en premier sont à la pointe du combat contre la Russie, sous l’impulsion de leur maître américain. Nous en sommes au point ou toute l’illégalité de participer aux combats avec notre armée est occultée. Les soldats décédés sous les bombardements russes sont renvoyés au pays comme des fantômes et les familles obligées de se taire sous menaces de sanctions. Quand arrêterons nous ces dirigeants qui se permettent tout ce qui est contraire à une position neutre de la France. Les récentes prises de position de l’OTAN à Washington ne nous laissent que peu d’espoirs de paix, les faiseurs de guerre ne sont pas encore morts.
    La Russie jusqu’à aujourd’hui a fait une guerre minimum au peuple Ukrainien, évitant autant que faire se peut de faire des victimes civiles. Il se pourrait désormais que les provocations intolérables leur permettent d’entrer dans une phase beaucoup plus meurtrière pour les civils si les armes aériennes de l’OTAN ont des bases en Pologne ou dans les Pays Baltes.
    Nos dirigeants sont des malades ou des assassins et peut être les deux.

  4. pucciarelli

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    L’UE est une fiction. Inutile donc d’en parler comme d’une puissance qui se chercherait. L’UE est restée un concept technocratique qui de toute évidence n’a aucun avenir concret.

    • Geopragma

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      Message de Jean-Philippe Duranthon : Je parlais de l’Europe, qui est une réalité géographique, culturelle, civilisationnelle. Vous parlez de l’UE, qui est réalité institutionnelle, politique et, effectivement, (très) bureaucratique. A mes yeux ce sont deux concepts différents.
      Cordialement.
      JPD

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