Billet du lundi rédigé par Emmanuel Goût, membre du Comité d’Orientation Stratégique de Geopragma.

      Cette dernière guerre en Europe revêt une dimension particulière, non pas parce qu’elle apparaît en Europe – ce serait trop vite oublier celles qui suivirent, à la fin du siècle dernier, l’éclatement de la Yougoslavie – mais parce que la communication y est devenue une composante exponentielle, cyniquement capable de hiérarchiser l’importance des conflits tout comme l’attention portée aux réfugiés de différentes origines…

      En soi, la communication d’un conflit, de sa vision du déroulé, n’a rien de neuf, quoiqu’en pensent les experts improvisés, qui fleurissent comme les immunologistes en période de Covid…

      Jules César et Napoléon[1] avaient fort bien compris le rôle de la communication au temps de leurs conquêtes. Plus que le principe même de la communication, c’est dans son rapport à l’action d’une part et à son mode de diffusion d’autre part, que la vocation de la communication a réellement changé, a été bouleversée. Le conflit en cours, au-delà des tragédies qu’il engendre, place la communication comme une dimension complémentaire aux enjeux traditionnels, une troisième dimension.

      Pour cela, il convient de mesurer les bouleversements subvenus dans le champ de la communication, de sa vocation initiale au rôle de « chef d’orchestre » qu’elle affiche désormais.

    L’inversion du rapport « communication – action » peut se situer dans les années 90 ; on assistera à la métamorphose d’un modèle, d’un software – la communication s’imposera à la définition de l’action -, suivie par une révolution hardware, les modalités de diffusion, tant dans la rapidité que dans la couverture.

L’inversion software

      De tout temps, la communication fut au service de l’action ; elle en expliquait, précisait, la nature, les objectifs, en faisait la promotion pour servir l’image de l’institution ou de la personne. Un produit dérivé de la communication fut le lobbying tant décrié de nos jours alors que sa vocation originale n’était autre qu’un travail d’explication auprès des décideurs. La communication, le lobby assumèrent la dimension d’un service. Comment ne pas comprendre que nos populations, nos politiques puissent avoir une vision globale de la « cité » dans laquelle ils veulent vivre ou qu’ils pensent, mais que la connaissance puisse faire défaut sur des questions spécifiques la concernant : c’est là qu’intervenait la communication, le lobbying en présentant, expliquant le bien-fondé de telle ou telle stratégie, action, de tel ou tel produit.

      Mais, à titre d’exemple, c’est quand le lobbying s’accompagne de « promotions » qu’il peut perdre son « âme », c’est quand la communication supplante le projet et l’action qu’elle affaiblit cette dernière. Il deviendrait légitime de se poser la question sur les conséquences d’un séminaire organisé pour médecins sur une île des Caraïbes pour discuter de l’évolution d’une maladie par un laboratoire pharmaceutique, développeur d’un médicament, d’un vaccin sur ladite maladie ou sur le conditionnement d’investissements publicitaires sur des revues spécialisées aux thèses développées par ladite revue… Éléments de dérapage.

      On a ainsi, dans de nombreux domaines, pu observer un vrai « glissement de terrain », le curseur entre communication et action se déplaçant inexorablement de plus en plus vers la centralité de la communication. Aujourd’hui, le bon sens suffit à constater que le politique, le décideur, s’interroge toujours prioritairement sur l’impact communication quand ce n’est pas la résultante communication qui vient conditionner, guider sa décision.

      Pour revenir à lui, quand Napoléon déclare « nous avons besoin d’une loi européenne, d’un système monétaire unique, de mêmes lois pour toute l’Europe », il ne pense nullement à la perception de son dessein par les populations, mais à sa vision de l’Europe. Les temps changent…

La révolution hardware

      Parallèlement le mode de diffusion de la communication, des images, a connu depuis le développement d’Internet une explosion radicale tant dans la rapidité de diffusion que dans la distribution immédiatement planétaire, offrant à tout évènement, en temps réel, où que ce soit dans le monde, une capacité de perception immédiate avec tout ce que cela comporte d’implications de l’émotionnel et de l’irrationnel, dimensions aussi légitimes que compromettantes car obstacles évidents à la capacité de prendre du recul, d’analyser et d’interpréter. Nous pensons désormais, sur la base de cette quantité tsunamique d’informations, pouvoir nous improviser en temps réel juges, géopolitologues, médecins spécialistes, censeurs, entraîneurs des équipes de foot-ball ! … On comprend les risques, à de rares exceptions, de telles dynamiques : des réseaux sociaux aux tweets, les réactions sont immédiates, limitées dans le temps et dans les caractères, instinctives, souvent excessives. Nous devenons tous des tiktokistes en herbe !

      Dans le conflit en cours, plus que jamais, les dimensions de la communication, médias et institutions confondus, ont fait voler en éclats tous les précédents, ringardisant depuis les « Illusions perdues » de Balzac jusqu’aux photos satellites du Général Powell à l’ONU, en passant par le théoricien de la propagande Edward Bernays ou les dessinateurs provocateurs Konk ou Vincino[2].

      Le malheur et la tragédie ne méritent pas cela. « Protéger la vérité par des remparts de mensonges, en temps de guerre » rappelait Churchill…

      L’institutionnalisation de ces remparts confère à la guerre cette troisième dimension, mais cette guerre de dimension 3, cette dimension virtuelle, n’est-elle pas encore tristement porteuse de nouveaux désenchantements ? 

Revenir à la capacité de décider sans le conditionnement de l’immédiat ou de l’émotionnel éviterait sûrement de nouveaux désastres. L’Histoire, analysée au regard de ce qui précède, nous dira tristement si nous avions pu éviter cette nouvelle guerre et toutes les tragédies qu’elle engendre. 


[1] Napoléon, le stratège de la communication de Roberto Race

[2] Vincino « Il Male »

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4 comments

  1. Emmanuel Huyghues Despointes

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    Expliquez moi la différence entre Télérama et Télé 7 Jours en terme de Géopolitique !

  2. roland paingaud

    Répondre

    Geopragma c’est quoi exactement, un déversoir pour les auteurs refusés par Télé 7 Jours et Télérama ?

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