Au départ, une revendication précise et limitée de provinciaux, majoritairement issus de la « France des territoires » pour ne pas dire de « la France périphérique » chère à Christophe Guilluy. Des citoyens appauvris par la mondialisation qui les déracine sans leur consentement, et pour lesquels la voiture n’est ni un luxe, ni un sport, mais le sésame impératif de leur contribution laborieuse à la survie économique de leur famille et à ce qui reste de notre nation. « La mobilité » est LA condition sine qua non de l’emploi hors des villes. Refusée par une « jeunesse » trop gâtée en rupture de ban avec notre pays, cette frange de Français modestes et travailleurs l’accepte… tant qu’elle ne grève pas dramatiquement leur budget déjà trop serré.
Alors, à l’orée de l’hiver (désastreux timing gouvernemental), ils entendent coûte que coûte, pouvoir garder leur vieille « charrette » qui roule à vil prix, ainsi qu’on le leur avait promis, pour leur faire acheter des véhicules diesel coûteux mais jusque-là rapidement amortis. Ils refusent tout net de financer une hypothétique « transition écologique », par ailleurs peu « fléchée » budgétairement. Ils voudraient bien, comme les « bobos », manger bio et faire du bien à la planète. Mais leur souci principal reste d’améliorer leur ordinaire et désormais, de savoir où part leur maigre argent si péniblement gagné, qu’exigent des gouvernants hors sol « pour leur bien » et celui de la planète, en n’hésitant pas, en plus, à les culpabiliser.
Puis, la revendication se structure rapidement par le bas, cristallisant d’autres frustrations jusque-là diffuses mais bien réelles, longue exaspération fruit d’un creusement des disparités de plus en plus radical et sans issue. L’Etat y oppose une sous-estimation sidérante du potentiel de « convergence des luttes », c’est-à-dire du « mix » bouillonnant de revendications sociales et politiques variées. Un mélange lui-même noyauté par des membres des ultras gauche et droite et par des casseurs méthodiques, équipés, structurés, fourriers furieux d’un anarchisme primal et dangereux pour la stabilité même de nos institutions. Sans parler de l’engeance voyoute, sans foi ni loi, qui a juste la haine de la France au cœur. Une mauvaise graine en rupture croissante d’avec notre pays, d’accueil ou de naissance, auquel elle doit tant pourtant. Une engeance perdue, qui casse et détruit avec jubilation et bonne conscience, comme si sa rage était légitime et l’autorisait à bruler les voitures, éventrer les magasins, attaquer à la lâche les forces de l’ordre et à nous ridiculiser aux yeux du monde. A creuser aussi, sans une minute de réflexion ni le moindre scrupule, le déficit budgétaire (qui passe de 2, 8 à 3,2 % avec un pays toujours endetté à hauteur de 100% de notre PIB). Un affaiblissement que demain paieront les autres… et précisément d’ailleurs les « gilets jaunes » qui sont ici les « boucliers humains » d’un nouveau genre de ces voyous indéfendables. Violence narcissique, irresponsabilité et infantilisme aggravés. L’Etat doit être sans pitié pour ceux-là. Car si la France est le pays des droits de l’homme, c’est aussi celui des droits du citoyen. Sans parler de ses devoirs…
Face à ce maelström explosif donc, l’amateurisme initial du pouvoir, qui a confondu manifestation dure et « fan zone » et son incurie laissent pantois. Les dégâts symboliques mais aussi matériels sont là. Un contrôle des foules défaillant et une posture défensive du dispositif de sécurité ont laissé le 1er décembre l’’Arc de Triomphe défiguré, Marianne souillée, des images humiliantes de forces de l’ordre en débandade – non par incompétence mais par défaut d’ordres adéquats, de nombres suffisants, et d’un travail de filtrage préventif négligé aux portes de la capitale -. Sans parler des ravages à Bordeaux ou à Saint-Etienne comme dans nombre de villes de province, déjà fragilisées par la désindustrialisation galopante du pays.
A l’étranger, l’image de cette gabegie impunie et de la déliquescence de l’autorité de l’Etat est ravageuse pour notre prétention au leadership, ne serait-ce qu’européen… Car si les « actes » II, III, IV, V Et VI ont vu s’essouffler quelque peu le mouvement, le pouvoir croyant acheter la paix sociale à un prix exorbitant pour le budget de l’Etat, la Boite de Pandore a été ouverte. La hargne et la détermination demeurent entières et la rentrée pourrait sonner le glas de l’amorce des réformes indispensables entamée en 2017. Ce serait dramatique pour l’économie mais aussi pour le statut de la France dans le monde déjà écorné par une incompréhension globale de l’évolution des équilibres de puissance et des conditions impératives de la sauvegarde de nos intérêts nationaux
Et puis le risque de contagion est là. Après « les Printemps arabes », les « Printemps européens » menacent de faire tache d’huile, et le « jaunissement » des contestations sociétales qui couvent ici ou là est un inespéré vecteur d’infiltration et d’influence pour les courants islamistes radicaux et, plus insidieux mais non moins dangereux, pour ceux qui, tels les Frères musulmans, visent la conquête du pouvoir politique « par le bas » dans nombre de démocraties européennes comme en Orient. En France comme au Levant, le défi lancé à l’Etat et à son autorité est sans équivoque. En Egypte, on ne s’y est pas longtemps trompé. Les gilets jaunes qui commençaient à être distribués dans la population ont été rapidement confisqués et le mouvement interdit. Ses « boutures » en Belgique, aux Pays-Bas, en Croatie ou en Israël témoignent d’un « décrochage » généralisé dans les pays développés, de ces couches de populations trop « pauvres » pour s’exiler et échapper à la nasse fiscale, trop « riches » pour bénéficier de la charité collective du système. Ce qui gronde est un « dégagisme » à la française, nourri par une classe dirigeante qui n’ose plus dire la dure réalité du monde à ses mandants et pratique depuis des décennies la « politique du chien crevé au fil de l’eau » et celle du « Après moi le déluge ». Or la démagogie, et l’impunité ne produisent ni apaisement ni satisfaction. Elles incitent juste à tester chaque fois d’avantage les limites de l’autorité de l’Etat.
Par-delà des revendications poujadistes que le pouvoir ferait bien de cesser de satisfaire, et d’une dévalorisation radicale du travail et de l’effort par la frange « casseuse » agglomérée au mouvement, il semble que cette gauloise jacquerie traduise, chez nous comme en Europe, un besoin populaire profond de protection, et une forme de sursaut patriotique aussi qu’il ne faudrait pas mépriser. Cet appel, souvent inconscient de lui-même, à la renationalisation des politiques publiques et à la souveraineté, tourne autour d’une revendication en revanche explicite : que l’Etat s’occupe de ses citoyens, non toujours des plus pauvres ou des étrangers, mais des classes moyennes, « inférieures » comme « supérieures », désormais prises dans la spirale accélérée d’un déclassement vertigineux, qui travaillent et paient l’impôt, mais n’ont droit qu’à une part minime de la manne sociale française de plus en plus réservée à des « ayants droits » lointains.
Mais, en dépit des cadeaux insensés du pouvoir, traites futures à tirer sur le dos des Français, cette guerre des classes va-t-elle aider ces soldats perdus ? Ou les enfoncer un peu plus dans leur précarité virulente et pathétique ? Car le monde sans eux accélère, les équilibres de force qui nous marginalisent se consolident et notre village gaulois expose ici de bien indécentes et anachroniques querelles, quand on sait la prodigalité de notre modèle social qui, même en état de mort clinique, demeure le plus généreux au monde. Chacun voit malheureusement midi à sa porte. Nos concitoyens sont devenus si brutaux, si narcissiques, si égoïstes, qu’ils ne comprennent plus qu’au-delà d’eux, c’est la France qui se meurt de travailler trop peu, de vivre à crédit et de persister à prétendre devoir et pouvoir accueillir toute la misère du monde. A leur décharge, on ne les écoute plus depuis trop longtemps. On méprise et réinterprète leur vote, on les traite de populistes ou même de fascistes quand ils expriment leur insécurité culturelle et économique. On leur dit en fait : « travaille (pas trop), mais tais-toi. Tu ne comprends rien aux canons de la modernité, de la mondialisation et de la solidarité. L’Europe sait ce qui est bon pour toi et tu dois t’en satisfaire. »
Pourtant, la vraie guerre se joue ailleurs. Elle n’oppose pas des enfants gâtés qui refusent de regarder hors de leur cage dorée. Elle se déroule au cœur même de notre société, quand les soldats d’Allah, sous l’empire d’un appel politico-céleste, utilisent l’incurie sécuritaire et la gabegie tolérée du peuple en colère pour semer la mort comme à Strasbourg. Voilà une « convergence des luttes » dont les gilets jaunes comme leurs avatars futurs feraient bien de se distinguer et qui fait paraitre leur entêtement irresponsable. La guerre véritable est aussi à l’extérieur, dans la brutalité d’un monde dont les puissants s’écharpent pour savoir qui dominera le futur des autres. Pas pour obtenir du beurre dans leurs épinards, pour déterminer si on pourra ne serait-ce qu’en planter.
Il est en conséquence plus que temps d’en finir avec nos enfantillages domestiques, de faire la paix entre Français de toutes classes sociales, d’oublier notre revanchisme social diviseur et stérile, et de nous mettre enfin au travail, afin de nous préparer collectivement au véritable affrontement planétaire. Car c’est sur ce champ de forces-là que se décidera la survie de la France et de notre peuple, dans un marigot dont les crocodiles nous observent goguenards, mais ne nous attendent plus depuis longtemps déjà. Joyeux Noël !