Billet du lundi 11 novembre 2024 rédigé par Gérard Chesnel membre Fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.
Il y a exactement cent six ans se terminait la Première Guerre Mondiale (« celle que je préfère », comme le chantait Brassens). Elle n’avait fait, en quatre ans, qu’à peine vingt Millions de morts (presque à égalité militaires, 10 Millions, et civils 9 Millions). C’est modeste, si l’on compare aux victimes de la Seconde Guerre (quelque 60 Millions de morts), mais cela relève quand même de l’abominable. Rien, absolument rien ne peut justifier ces grandes hécatombes dont les résultats, cent six ans plus tard, paraissent au mieux vains et inutiles. Les anciens ennemis cherchent à se réconcilier, non par amour mais par raison, les anciens alliés s’opposent et se déchirent. » On pourrait presque dire : « tout ça pour ça ». Certes les plaies sont restées profondes mais elles ne semblent pas pouvoir empêcher que certains n’excluent pas la possibilité de recommencer. En mieux, bien entendu. Les prémices des grandes catastrophes sont bien là. On rejoue les scénarios mortifères qui n’ont pu être enrayés il y a un siècle.
Il y a à peine plus de cent dix ans, le 31 juillet 1914, Jean Jaurès était assassiné par un « nationaliste », Raoul Villain, pour s’être opposé à la prolongation du service militaire. Raoul Villain était sans doute quelqu’un de bien. Il a d’ailleurs été acquitté (et même félicité) après la guerre (qu’il avait passée bien au chaud en prison). Il n’en est pas moins responsable du chaos qui a suivi. Il n’est certes pas le seul mais après la mort de Jaurès, il n’y eut plus de garde-fous et les bellicismes se sont déchaînés avec le résultat qu’on a vu.
Aujourd’hui aucune leçon n’a été tirée de l’histoire. On tue un militaire par ci, un dirigeant politique par là, on bombarde une ville ici, on rase un village là, comme si cela ne devait pas avoir de conséquences graves pour l’avenir. Au lieu de chercher les coupables, ne devrions-nous pas nous poser la question de savoir qui est profondément responsable d’une situation où le sens de l’humanité, et avec lui la race humaine toute entière risque de disparaître.
Oui, les vrais coupables ce sont ceux qui, pour des raisons politiques, économiques et aussi religieuses, ont laissé se développer ce genre de situation. Le mal est profond, ses racines s’enfoncent dans les siècles, et il faudra des décennies pour s’en débarrasser. Mais si on ne fait rien, l’humanité ne survivra pas.
Les institutions « pacifiques » actuelles, comme les Nations-Unies (« le machin », comme disait à juste titre le Général de Gaulle) sont impuissantes et très largement inadaptées à la gravité de la situation. De même pour les démocraties qui, à force de parler (librement, certes) sans rien faire perdent leur crédibilité et laissent dangereusement la place aux régimes autoritaires. Et malheureusement, on ne voit pas non plus émerger de guide spirituel ou religieux qui ait une autorité morale convaincante. Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela sont morts sans être remplacés.
Au quotidien, il nous revient, plutôt que de sombrer dans de ridicules combats d’arrière-garde comme les tenants du wokisme, de répandre autour de nous, chaque fois que l’occasion s’en présente, auprès des jeunes mais aussi, bien entendu, des adultes, l’esprit de tolérance et de dialogue. Essayons d’exprimer des opinions divergentes sans nous battre. Ce serait déjà un début. Et, bien que rares, les exemples ne manquent pas dans l’histoire.
Ainsi, au XIIème siècle, le royaume normand de Sicile est une parfaite illustration de la capacité de cultures différentes, voire opposées, à vivre ensemble. Après avoir conquis l’Italie du Sud, et la Sicile, le Grand Comte Roger de Hauteville et son frère le roi Roger II réussirent à unifier un pays où cohabitaient quatre civilisations différentes, catholiques, grecs-byzantins, musulmans et juifs. De quatre peuples, de quatre langues, de quatre religions ils firent un pays où chacun pouvait s’épanouir sans nuire aux autres.
D’ailleurs, à la même époque, la Chine vécut la même expérience. Sous la dynastie Song on comptait quatre religions principales, la religion traditionnelle (semblable aux religions agraires de l’Occident), le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme. Et même s’il y avait parfois des tensions et des rivalités, il n’y eut pas de guerres de religion.
Pourquoi donc ce qui fut possible dans une grande partie du monde au XIIème siècle ne le serait-il plus maintenant ? Il est clair que ceci n’est réalisable que si une faction ne cherche pas à s’imposer aux autres. Est-ce trop demander à l’être humain ? Ou faut-il que nous subissions la loi d’un mâle dominant ? De toute façon, les courbes démographiques déclinantes annoncent une extinction de l’humanité dans seulement quelques siècles. Il ne restera plus alors sur terre que des êtres intelligents et responsables : nos amies les bêtes.
Bernard CORNUT X, expert M-Orient
Emmanuel Huyghues Despointes