Billet du lundi 09 avril 2024 rédigé par Emmanuel Gout, membre du Conseil d’orientation stratégique de Geopragma.
Il y a ceux nombreux, trop nombreux qui veulent en découdre, de leurs palais dorés ou de studios de télévision avides d’experts improvisés.
Ils sont désormais trop engagés sur la voie du non-retour, alimentés par un discours toujours plus belliqueux (le Président Macron est depuis toujours friand de ce vocabulaire guerrier contre les gilets jaunes, les incendies de forêts, le covid, la dénatalité et les russes…).
Ils sont enfin sinistrement contraints de trouver une solution au désastre économique qui se présente à nos portes bien plus qu’aux portes de la Russie – dettes publiques françaises ou italiennes supérieures à 130% du PIB, inférieures à 20% du PIB en Russie. Dans ce contexte, quoi de mieux que cette bonne vieille recette si chère à nos aïeux – faire tourner l’industrie des canons comme le démontre à titre d’exemple l’évolution du titre Leonardo (le Thales italien), multiplié par trois en deux ans…
Il y a ceux qui parlent de Paix, en fait celui qui parle de Paix, le Pape François (il convient ici d’y associer son “ambassadeur personnel” à Moscou, le président de l’association des vieux croyants) qui, dans son combat pour la paix, démontre une force spirituelle sans pareil, très loin de son homologue orthodoxe le Patriarche Kirill qui, évoquant “une guerre sainte”, court le risque de s’apparenter aux extrémistes religieux en tous genres : des islamistes de Daesh, des juifs (ultra)orthodoxes, de tous ceux qui, à tort, associent Dieu à leurs desseins belliqueux et/ou économiques, les “in God we trust” ou “Gott mit uns” etc…
Fort heureusement, au sein de nombreux pays se développe une volonté de ne pas supporter les partis de la guerre ; trop souvent cependant, ces pacifistes de très différentes natures, se retrouvent classés caricaturalement en “collabos” et réduits à des “copiés-collés” de tel ou tel épisode historique, non sans que la simple analyse de ces comparaisons réductrices n’en démente les bien-fondés.
Pourquoi l’histoire devrait-elle se répéter dans un périmètre aussi limité que celui du XXIème siècle, sans se rappeler par exemple de ce qu’Edmond Dziembowski décrit dans “la guerre de sept ans” comme les origines de l’authentique première guerre mondiale, au XVIIIème siècle : la scène du massacre de Jumonville et de ses hommes, que l’on pourrait facilement rapprocher du massacre par les ukrainiens de 42 russes, brûlés vifs à Odessa, le 2 mai 2014…
Offrons-nous par conséquent la possibilité de nous improviser, sur le fond, en héritiers de Mazarin, Choiseul, Briand…si bien redécouverts dans le recueil des “Grands diplomates” dirigé par Hubert Védrine – Un club des grands diplomates de l’histoire qui, sans grande surprise, ne consacre qu’un seul diplomate de son vivant, le russe Lavrov, sous la plume de la dernière grande ambassadrice de France en Russie Sylvie Bermann.
Quant à la forme, n’hésitons pas à poser le problème sous la forme de ceux qui caractérisaient notre enseignement élémentaire : un train quitte Lille à 09h05, il va à 120km/h, combien…
Prenons notre crayon et tentons de dessiner la paix.
Autour de la table il y a donc ceux qui s’offrent le paradoxe de jongler avec le présent et le passé qui leur convient et il y a ceux qui déroulent l’histoire de ces 30 dernières années, tous deux affichant une incontournable mais supposée bonne foi.
Pour les premiers, le présent, ce sont les horreurs – exclusivement russes – de la guerre, une guerre provoquée par la Russie, de directe filiation soviétique, une invasion et une violation d’une Ukraine souveraine qu’ils datent à 1991 dans le cadre de leurs revendications. C’est le combat contre un monstre du KGB qui ne cesserait de vanter et promouvoir la reconstruction d’un Empire soviétique (en contradiction totale avec les affirmations dudit monstre), dont la population russe serait nostalgique. C’est la volonté de mettre fin à ce “dictateur” Poutine, donné dès le printemps 2022, presque mourant, autant que son pays économiquement, par le concert des médias mainstream. (Aucun remord exprimé depuis sur l’accumulation des “fake news”).
C’est la condamnation d’un Poutine qui s’improvise défenseur d’une civilisation occidentale – beau paradoxe – face à un occident se faisant toujours plus étroit dans le concert du monde.
Poutine serait un nouvel Hitler faisant des promoteurs de la paix d’horribles munichois, cédant à un rapprochement aussi ridicule qu’insensé. Poutine enfin tuerait ses opposants et est celui qui met au ban de la société des ONGs comme celle du mouvement LGBT+, confirmant une apparente chasse aux homosexuels…
Ceux qui vivent en Russie, vivent quotidiennement aux côtés d’homosexuels dans toutes les strates de la société russe, sans que ceux-ci ne doivent se poser, bien entendu, le moindre problème existentiel.
Pour Poutine, la sexualité comme la religion tiennent du domaine privé. N’en déplaise aux wokistes toutes catégories confondues. A noter aussi que plus de 22 millions de musulmans vivent en Russie, sans le moindre problème, une cohabitation de fait inspirée par le modèle concordataire de Napoléon. Poutine s’est d’ailleurs empressé de ne pas diaboliser des communautés nationales au lendemain de l’attentat du Crocus, le 23 mars dernier.
Tout ce premier côté de la table pense à une guerre qui pourrait cesser une fois la souveraineté territoriale datée à 1991 retrouvée. On s’interroge légitimement sur ce qu’il adviendrait alors de la Russie dans le contexte mondial : rapports bilatéraux, économiques et humains, sanctions…difficile à imaginer sans compter l’explication auprès du peuple russe du sacrifice inutile de ses soldats.
On sait d’avance que cette hypothèse est – sauf désastre militaire russe sur le champ de bataille et par conséquent probablement mondial, tenant compte de l’existence de puissances nucléaires (*) – inenvisageable.
Les seconds – l’autre côté de la table – se limitent à construire leurs motivations sur les 30 dernières années, à commencer, au début des années 90, par ladite promesse de l’OTAN de ne pas s’élargir au lendemain de la dislocation de l’URSS. Les versions diffèrent mais l’observation des cartes démontrent de toute façon une extension de l’OTAN difficilement acceptable par la Russie – n’oublions pas la réaction américaine aux missiles soviétiques à Cuba ou à ce que pourrait être la réaction américaine, si demain, une base russe devait s’installer à la frontière mexicaine -.
Ils rappellent toutes les mains tendues de la Russie au cours de la première décennie du nouveau millénaire, le développement des coopérations internationales et énergétiques – fiables – en particulier (nucléaire et gaz) jusqu’aux premières mises en garde de Poutine à Munich, relatives aux conditions de sécurité internationale.
Enfin, et comble de l’histoire diplomatique, ils évoquent les accords de Minsk, régulièrement évoqués par le Président russe avant le début de l’invasion. A venir confirmer les soupçons de Poutine, deux signataires de ces accords, Merkel et Hollande, affirmèrent tous deux, publiquement, que ces accords avaient vocation principale à faire gagner du temps à l’Ukraine et, de fait, à ses alliés belliqueux américains qui, comme le révéla récemment le New York Times, en profitaient pour installer à la frontière russe des bases de la CIA et poursuivre l’entraînement d’une armée ukrainienne déjà engagée sur le front est depuis 2014…
Ces deux camps n’ont guère échangé au cours des deux dernières années, à l’exception de rares échanges de prisonniers ou de la récente conversation téléphonique Shoigu – Lecornu, mais des passages sont plus que significatifs pour mieux envisager un possible dessin de la Paix.
Il y eut le courrier de la Russie aux USA fin 2021, il y eut, décembre 2021, la lettre ouverte de Geopragma aux dirigeants européens, américains et russes qui illustrait les conditions, bien à l’avance, d’un accord possible qui aurait pu faire éviter ce conflit, il y eut le sommet du 7 février 2022 entre les présidents Macron et Poutine, et la dérobade du président de l’Union Européenne, il eut enfin, aussi cyniquement que tragiquement, les accords d’Istanbul, censurés principalement par les britanniques et les américains.
A chaque fois on retrouvait les mêmes conditions de négociation : la sécurité en général et énergétique en particulier, les territoires de culture russe, les frontières de l’OTAN, le futur de l’Ukraine, la redéfinition des partenariats…
La réalité a depuis changé, surtout depuis le possible accord d’Istanbul – printemps 2022 -.
L’Ukraine et l’Europe ont besoin de garanties pour leur sécurité. L’Ukraine doit pouvoir envisager sa reconstruction. La Russie a besoin elle aussi de garanties significatives pour sa sécurité. Les sanctions ayant failli dans leur vocation destructrice, pourtant vantée par le Ministre français des finances Bruno Lemaire – la Russie n’est pas en quête de garantie pour sa reconstruction, elle aspire seulement à un nouvel équilibre mondial respectueux des différences, qui passe par une vision multipolaire de notre planète, perspective qui trouve dans l’affirmation du BRICS+ une constituante privilégiée, comme le confirmera le prochain sommet de Kazan en octobre 2024.
Le prix de la trahison des accords de Minsk (voir Merkel/Hollande) est par conséquent la reconnaissance des territoires aujourd’hui sous contrôle russe, de leur appartenance comme partie intégrante de la Russie. La question d’Odessa reste ouverte tant pour des motivations culturelles que sécuritaires en mer noire, tout comme le devenir de la Transnistrie, de l’Ossétie du nord ou de la reconnaissance de l’Abkhazie.
Les fournitures énergétiques devraient elles aussi être reconsidérées et reprises pour assurer une économie significative aux populations européennes : c’est l’Europe qui a coupé l’approvisionnement du gaz russe et pas le contraire, ne l’oublions pas. Ce sont les américains qui ont piloté la destruction de Nord Stream 2 et largement profité des ventes de leur gaz aux européens.
Décidément, il y a de quoi se mettre autour d’une table à condition de se réconcilier avec un langage diplomatique, loin des pratiques de l’invective et de la menace qui résonnent en écho entre les Borell, Medvedev, Biden, Tolstoï par exemple.
Il est plus que jamais temps de reprendre la plume pour dessiner la paix plutôt que des cimetières !
Emmanuel Goût
(*) il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la première nation à avoir rappelé officiellement l’existence de l’armement nucléaire et de son rôle dans ce conflit fut la France par la voix de son gouvernement fin février 2022…
Patrick André MUNIESA
Bourgignon
Robert Jordan
Chevrotin
Vladimir Tchernine
Doran