Billet d’Humeur rédigé par Emmanuel Huyghes Despointes.
Cet article sera divisé en 4 grands chapitres :
– la vision qu’a la Chine de son espace maritime (I) ;
– ensuite, les relations de la Chine avec ses voisins sur le plan terrestre depuis 1949 (II) ;
– après les atouts & enjeux de la Mer de Chine Méridionale (III)
– enfin, guerre ou paix pour la mer au 21ème siècle, c’est-à-dire, la stratégie chinoise vis-à-vis des États-Unis (IV).
I – LA VISION QU’A LA CHINE DE SON ESPACE MARITIME
- Renonciation à la mer à partir du 15ème siècle
La Chine est un pays qui dispose d’une vaste façade maritime de plus de 18.000 KM et est un pays de vielle tradition navale : la boussole et le compas comme instruments de navigation sont inventés par les chinois entre le 11 et 12ème siècle.
Kubilaï Khan, petit-fils de Gengis Khan, au 13ème siècle, conquiert l’Indonésie ; au 15ème siècle, l’Amiral Zheng He effectue sept voyages de 1405 à 1433 avec une trentaine de navires à 4 et 6 mâts de 60 m de long. Le navire amiral de 55 m de long, dispose de 9 mâts, alors que les trois caravelles de Christophe Colomb, équipées de trois mâts, ne mesuraient que 25 mètres de long! Il va ainsi jusqu’au Kenya et remonte la Mer Rouge jusqu’au Golfe de Suez. Cependant, malgré une supériorité technologique importante sur le reste du monde, dès la fin du 15ème siècle, menacée au Nord, la Chine renonce à sa marine de haute-mer : l’Empereur ordonne le désarmement de la flotte pour consacrer les ressources du pays à la défense de sa frontière Nord. Plus grave, la Chine perd la mémoire de la construction des navires de haute-mer.
- Depuis le 16ème siècle, contacts maritimes avec l’Occident
Malheureusement pour la Chine, ce repli décidé par les empereurs Ming intervient au temps des Grandes Découvertes : les portugais passent le Cap de Bonne Espérance en 1488 et arrivent à Goa en 1498, ce qui va coûter cher aux chinois. En effet, au 16ème siècle, les Portugais s’installent à Macao, en face de Hong-Kong, et s’imposent à l’Empereur de Chine.
Macao devient le seul port chinois autorisé à commercer avec des étrangers : les Portugais y importent des cotonnades indiennes, des horloges des Flandres, du vin portugais et exporte de l’or, des porcelaines, de la soie et des bois aromatiques. La Grande-Bretagne suit au 19ème siècle et s’installe à Hong-Kong juste en face de Macao.
- 19ème siècle : les Guerres de l’Opium
Les Guerres de l’Opium sont des conflits motivés par des raisons commerciales qui opposèrent la Chine de la dynastie Qing, voulant interdire le commerce de l’opium sur son territoire, à plusieurs pays occidentaux, au XIXe siècle.
La première guerre de l’opium se déroula de 1839 à 1842 et opposa la Chine au Royaume-Uni : la Chine exportait vers le Royaume-Uni de la porcelaine, de la soie et du thé, devenu boisson nationale des britanniques, mais n’importait pas grand-chose d’Occident, ce qui générait un déficit commercial important au bénéfice de la Chine. Les britanniques exigent de pouvoir exporter librement de l’opium en Chine, au nom du libre-échange. Devant le refus Chinois, une guerre est déclarée et la Chine est vaincue.
Par le traité de Nankin (1842), 5 ports : Shanghai, Canton, Ning-Po, Fu Chow et Amoy sont mis à disposition des Occidentaux, et Hong-Kong, symbole de la puissance de l’Empire Britannique et de l’humiliation chinoise.
Au cours de cette guerre, Warren Delano Jr., marchand américain et grand-père du futur président Franklin Delano Roosevelt (1933 /45), fit fortune dans le commerce de l’opium, désormais légalisé : c’est grâce à cette fortune que son petit-fils put se consacrer à la politique… Ce traité est considéré par les Chinois comme le premier des traités inégaux qui allaient humilier la Chine jusqu’en 1949, date de la victoire de Mao Tsé-Toung.
La seconde guerre de l’opium se déroula de 1856 à 1860 et vit cette fois l’intervention de la France, des États-Unis et de la Russie aux côtés du Royaume-Uni. Le nom par lequel est désignée cette guerre s’explique dans la mesure où elle peut être considérée comme le prolongement de la première guerre de l’opium.
Au cours de ces deux guerres, la Chine affronte et est vaincue par toutes les grandes puissances européennes : 11 ports supplémentaires sont mis à disposition des Occidentaux, des ambassades occidentales permanentes sont installées à Pékin ; la main d’œuvre chinoise est requise pour émigrer dans l’Empire Britannique, ce qui sera à l’origine d’états multinationaux comme la Malaisie, l’Indonésie et Singapour.
Victor Hugo protesta officiellement contre le pillage du Palais d’Été : il écrivit « Nous Européens, nous sommes les civilisés et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre ».
Cette citation de Victor Hugo est enseignée aux élèves dans les écoles de Chine.
4. 20ème siècle : Guerre avec le Japon
L’évangélisation de la Chine par des églises protestantes américaines avait développé une grande sinophilie aux États-Unis et une immigration chinoise avait commencé en Californie.
La guerre commence officiellement en septembre 1931, par l’incident de Mukden, popularisé par Hergé dans son album Le Lotus Bleu, qui consiste en un faux attentat organisé contre une voie ferrée en Mandchourie, sous contrôle japonais. Elle se terminera en 1945 par la défaite du Japon. En décembre 1937, le sac de Nankin par l’armée japonaise se solde par 300 000 victimes civiles ; la notoriété de ces crimes est largement diffusée aux États-Unis par le biais du cinéma, ce qui suscite une hostilité croissante de l’opinion contre le Japon en faveur de la Chine ; des volontaires américains créent alors, sous la direction du général Chennault et l’approbation secrète de Roosevelt, l’escadrille des Tigres Volants qui combat aux côtés des chinois.
À partir de 1941, la totalité de la côte océanique chinoise est occupée par l’armée japonaise, ce qui pose d’énormes problèmes logistiques pour le ravitaillement, qui devra passer par la route de Birmanie, ce qui implique l’accord des britanniques. Le Japon fait alors pression, avec succès, pour obtenir la fermeture de cette route en 1940.
Déterminé alors à rentrer en guerre, le président Roosevelt impose dès l’été 40, un embargo pétrolier et commercial au Japon et y interdit l’exportation d’acier, pour affaiblir la machine de guerre japonaise. La levée de cet embargo impliquait le retrait total de Chine, ce que l’armée japonaise, qui gouvernait en fait le Japon, refuserait toujours et Roosevelt le savait parfaitement.
L’attaque contre Pearl-Harbor, en décembre 1941, est la conclusion logique de cette crise : les États-Unis et le Japon étaient en rivalité depuis le début du 20ème siècle pour la domination du Pacifique ; le centre de cette confrontation était la Chine et le point focal de ce centre était la Mer de Chine Méridionale et l’île de Taïwan.
Par conséquent, il est facile de comprendre pourquoi la Chine considère cette zone géographique comme vitale pour son indépendance.
II – LA CHINE ET SES VOISINS DEPUIS 1949
Historiquement, la Chine se considère comme l’Empire du Milieu et donc le centre le plus important du monde : ainsi, quand Lord McCartney est venu en 1793, à la tête d’une délégation, rencontrer l’Empereur de Chine, le Fils du Ciel, pour établir des relations diplomatiques, les chinois ont bien ri.
En effet, nul souverain étranger n’était de taille à traiter avec le Fils du Ciel d’égal à égal ! Comme l’a écrit Alain Peyrefitte dans son livre L’Empire Immobile (FAYARD 1989), la civilisation chinoise est «lovée sur elle-même » et méprise tout ce qui n’est pas chinois. En conséquence, la Chine a rarement été intéressée par la conquête de ses voisins ; elle préférait les voir venir simplement reconnaître sa suzeraineté.
Néanmoins, elle a été amenée à faire la guerre au 20ème siècle, après la prise de pouvoir par Mao en 1949.
1. Guerre de Corée 1950
Arrivé au pouvoir en 1949, Mao est violemment contesté par les États-Unis et Staline se méfiait de lui. En effet, Mao avait privilégié la mobilisation de l’immense base paysanne chinoise pour sa prise de pouvoir, alors que Staline lui conseillait de se baser sur la classe ouvrière, embryonnaire en Chine à l’époque. De plus, Staline, en excellent géopolitologue, ne voulait pas d’une Chine puissante, deux fois et demie plus peuplée que l’Union Soviétique, sur son flanc Sud-Est. Aussi, Staline soutint-il Tchang-Kaï-Shek jusqu’à ce que sa défaite devienne inévitable.
Son pouvoir est à peine installé, Mao veut éviter les affrontements extérieurs et ne touche ni à Hong-Kong, ni à Macao. C’est pourquoi, Staline déclenche la Guerre de Corée en juin 1950 sans le prévenir, ce qui provoque l’intervention américaine ; quand l’armée Nord-Coréenne est écrasée par l’opération Inchon menée par MacArthur fin 1950, l’US ARMY arrive à la frontière chinoise. La Chine, se sentant menacée, lance l’Armée Populaire de Libération qui repousse l’US ARMY jusqu’au 38ème parallèle (1950/53).
2. Guerre avec l’Inde 1962
Ce conflit frontalier date de l’Empire des Indes et du Grand Jeu du 19ème siècle et concerne deux zones : l’une au nord du Cachemire, dite ligne Johnson, l’autre dite ligne McMahon qui concerne le nord de l’Assam à l’est de l’Inde. La dénomination de ces deux frontières montre que c’est plutôt la Grande-Bretagne qui les a fixées !
En 1962, Mao sort d’une crise interne grave ; à la suite de la conférence de Lushan, en 1959, il perd la présidence de la république à cause du double échec du Grand Bond en Avant (au moins 30 millions de morts de faim !) et des Cent Fleurs (retour à la liberté d’expression qui provoque une vague de protestations véhémentes contre le PC de la part de la population), mais reste à la tête du PC.
La rupture avec l’URSS semble consommée depuis 1960 ; l’Inde devient un allié privilégié de l’URSS et Mao y voit une tentative d’encerclement ; se sentant menacée, l’ALP intervient et repousse l’armée indienne hors d’un territoire situé au nord du Cachemire. Cependant, l’isolement géographique de ces deux régions, peu peuplées et difficilement habitables (jusqu’à 6 900 m d’altitude) poussent les deux parties au compromis.
Contrairement à la Guerre de Corée, Mao a pris l’initiative d’occuper militairement la zone contestée sans affrontement armé préalable avec l’Inde.
- Quasi-Guerre avec l’URSS 1969
En 1960, au moment de la rupture entre la Chine et l’URSS, Khrouchtchev décida le rappel de tous les experts soviétiques, nucléaires inclus. Conscient que l’URSS voulait maintenir la Chine dans un état de subordination, Mao décida de se lancer dans la course à l’arme nucléaire qui sera acquise en 1964. Il était soutenu dans ce combat par la direction du Parti Communiste et l’opinion publique chinoise qui ne voyait dans la suprématie soviétique qu’une domination européenne de plus, qui durait depuis un siècle et humiliait la Chine.
En 1964, dans une interview à un journal japonais, Mao soutint les revendications du Japon sur les îles Kouriles et réclama, pour la Chine, tous les territoires à l’est du Baïkal jusqu’au Pacifique : le conflit entre partis devenait un conflit entre états.
L’année 1969 représente l’apogée du conflit sino-soviétique. Comme l’a écrit Kissinger dans ses Mémoires, l’URSS a sérieusement envisagé une frappe nucléaire préventive sur les installations nucléaires chinoises en janvier 69, date d’arrivée de Nixon au pouvoir. Toujours très prudents, les soviétiques ont discrètement sondé les États-Unis sur ce projet et ont essuyé un refus ; mais les États-Unis ont prévenu les chinois… Or, au sortir de la Révolution Culturelle, Mao est très affaibli mais le Premier Ministre Chou-En Laï réussit à maintenir l’essentiel de l’appareil d’état. Mao en profite pour déclencher l’affrontement sur l’Oussouri (plusieurs centaines de morts).
4. Guerre avec le Vietnam 1979
Après la défaite américaine au Vietnam, en 1975, l’Indochine est en totalité sous contrôle communiste, mais le Cambodge reste dans l’orbite chinoise, ce qui déplaît au Vietnam, désormais réunifié sous régime socialiste, mais qui retrouve «les mêmes tentations géopolitiques des empereurs d’Annam » (Le Monde, décembre 1978).
Prétextant l’abolition de l’abominable régime Khmer Rouge, le Vietnam attaque le Cambodge et détruit son régime pro-chinois (déc.78 / janv.-79), le seul allié de la Chine dans le monde. La Chine vient de s’ouvrir à l’alliance américaine et au capitalisme, grâce à l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. Cela implique des changements politiques majeurs. Deng Xiaoping croit voir qu’un ex-vassal peut délibérément contester son pouvoir régional en s’appuyant sur l’URSS : il déclenche alors la guerre de 1979.
Cette guerre est perdue par la Chine parce que le Vietnam sortait de près de 30 ans de guerre contre les français et les américains et avait une armée efficace.
III – ATOUTS & ENJEUX DE LA MER DE CHINE MÉRIDIONALE
1. La façade maritime de la Chine depuis 1977
Deng Xiaoping crée des Zones Économiques Spéciales (ZES) qui sont des espaces bénéficiant d’un régime juridique particulier qui les rend plus attractives pour les investisseurs étrangers.
Ces zones proposant aux entreprises étrangères des conditions préférentielles (pas ou peu de droits de douane pour les équipements importés, liberté des investissements, libre rapatriement des bénéfices, pas d’impôts pendant plusieurs années puis impôts très bas, statut d’extra-territorialité pour les cadres qui viennent travailler).
En 1979, quatre zones économiques spéciales (ZES) chinoises ont été créées dans les provinces du Guangdong et du Fujian dans le sud de la Chine pour attirer les investisseurs étrangers. Ces ZES ont pris un décollage remarquable surtout celle près de Hong Kong, surnommée « le Miracle de Shenzhen ». Shenzhen occupe une place mythique dans l’histoire de la réforme chinoise moderne. Première zone économique spéciale créée, en vertu de la libéralisation économique en 1980, la ville est passée d’une petite communauté de pêcheurs de 15.000 habitants à une métropole de 10 millions de personnes en seulement 35 ans.
2. Atouts géopolitiques de la Mer de Chine Méridionale
– Superficie de 3,5 millions de km2 (soit à peu près la Méditerranée ou la Mer des Caraïbes) ; 18.000 km de côte chinoise ;
– Près d’un tiers du trafic maritime commercial du monde y passe, dont 90% de celui de la Chine.
– 7 des 10 premiers ports mondiaux sont chinois ;
– La Corée du Sud, le Japon et Taïwan y font transiter plus de la moitié de leurs ressources énergétiques.
– 60 000 navires la traversent annuellement. Cela représente approximativement trois fois le trafic du canal de Suez, six fois celui de Panama.
– En termes de fret, celui-ci équivaut au quart du commerce mondial, à la moitié des volumes commerciaux de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, à 50% des transports mondiaux hydrocarbures, à 85% des pétroliers en provenance du Moyen Orient ; à 80% des approvisionnements chinois en hydrocarbures.
– La mer de Chine du Sud constitue donc pour Pékin une énorme fenêtre de vulnérabilité.
– La zone pourrait comporter 13% des réserves mondiales de gaz, selon le rapport du ministère de la Défense. Le ministre chinois des ressources géologiques et minières a estimé leur potentiel à 17,7 milliards de tonnes de pétrole lourd (le Koweït en possédant 13 milliards).
3. Conquête de la Mer de Chine Méridionale
3.1 Les revendications des états limitrophes
– La Mer de Chine Méridionale est parsemée d’îlots, découverts uniquement à marée basse, donc inhabitables, les Paracels (revendiqués par la Chine et le Vietnam) et les Spartleys (revendiqués par tous les états riverains de la MCM) ainsi que le récif de Scarborough (revendiqué par la Chine et les Philippines).
– La Chine a occupé progressivement depuis 1973 ces îlots et les a transformés en îles artificielles pour recevoir des garnisons permanentes et en faire de véritables porte-avions immobiles. À partir de ces transformations, la Chine revendique une ZEE de 200 000 marins en prenant ces îlots comme bases, ce qui lui donnerait l’exploitation exclusive de toutes les richesses halieutiques et minérales (pétrole, gaz et nodules polymétalliques).
– le récif de Scarborough (revendiqué par la Chine et les Philippines) est occupé militairement par la Chine depuis 2012 ; les Philippines ont saisi la Cour Internationale d’Arbitrage de La Haye qui a rendu en 2016 une décision favorable aux Philippines et la Chine a refusé la compétence de cette cour.
3.2 Que dit le Droit International ?
– La Convention de Montego Bay (1982), qui définit le Droit de la Mer, reconnaît une mer territoriale de 12 milles marins (19km) , où l’état limitrophe est souverain, une zone contigüe de 24 milles marins (39km), où l’état limitrophe exerce un pouvoir de police et une Zone Economique Exclusive (ZEE) de 200 milles marins (370km) où l’état limitrophe exploite à son profit exclusif les richesses minérales et halieutiques.
– Ladite convention ne reconnaît pas de ZEE à partir d’îlots seulement découverts à marée basse, en conformité avec le Droit International depuis Grotius, juriste hollandais du 17ème siècle.
– Cependant, la Chine ne reconnaît pas ce droit qu’elle considère comme « occidental » ;
– la France, quand elle était puissance souveraine au Vietnam, avait proposé à Tchang-Kai-Shek un arbitrage international qu’il a refusé, pour les mêmes raisons.
4. Le contentieux avec le Japon en Mer de Chine Orientale
Pour faire bonne mesure, la Chine est en conflit territorial avec le Japon pour les îles Senkaku, situées à l’extrême sud de l’archipel nippon et au nord de Taïwan, toujours émergées mais inhabitées ; là aussi, des richesses gazières et pétrolières sont en jeu, mais c’est surtout pour conforter sa revendication de la Mer De Chine Méridionale et entretenir un ressentiment anti-japonais que la Chine maintient ce conflit.
5. Nouvelle Route de la Soie
Depuis 2013, la Chine a lancé son initiative de Nouvelle Route de la Soie (NRS), pour créer un bloc eurasiatique qui représenterait les 2/3 du PIB mondial. Cette NRS repose sur deux axes, un axe terrestre et un axe maritime :
– LE PREMIER AXE passe par l’Asie centrale, la Russie et l’Europe ; il faut un mois pour un porte-conteneur pour aller de Shanghai à Rotterdam, il faut 20 jours pour faire le même trajet en train et des coûts bien moindres, depuis le triplement du prix du fret en bateau (2018/21) ; la Chine étudie actuellement des super-TGV pour faire le trajet en deux jours ! Cependant, le volume de fret transporté par un porte-conteneurs reste très supérieur à celui transporté par train.
– LE SECOND AXE repose sur deux points stratégiques :
– la Mer de Chine Méridionale, comme le montre la carte avec évidence, indispensable, malgré ses faiblesses, dont le détroit de Macassar ;
– le port de Gwadar, au Pakistan, qui est relié à une route, voie de chemin de fer et pipe-line, qui traverse le Pakistan dans un axe nord-sud pour atteindre la Chine Occidentale. Cette route permet d’éviter le Détroit de Macassar et la Mer De Chine Méridionale ;
– le canal de Kra, dans le sud de la Thaïlande, qui joindrait la Mer de Chine Méridionale et le Golfe du Bengale, « serpent de mer » qui date du 18ème siècle et implique de fortes pressions chinoises ;
– le budget chinois pour les deux axes de la NRS est de 1,3 Trillions de dollars, soit 12 Plans Marshall, en dollars constants.
POUR RÉSUMER : ce n’est pas la peine d’être diplômé de géopolitique pour comprendre pourquoi la Mer De Chine Méridionale constitue une pièce maîtresse dans la stratégie chinoise concernant les États-Unis et l’Europe.
IV – GUERRE OU PAIX POUR LA MER AU 21ème SIÈCLE
1. Vulnérabilité actuelle de la dissuasion nucléaire chinoise
1.1 La marine chinoise entretient deux bases pour les 6 exemplaires de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) dont dispose sa marine
– Ile de Hainan au sud (Mer de Chine Méridionale) ;
– Qualing, mer de Bahaï, au nord (Mer de Chine Orientale)
La Mer de Chine Méridionale est peu profonde le long des côtes chinoises (≈ 100 / 200 m), idem pour la Mer de Chine Orientale, ce qui rend les SNLE chinois facilement repérables, donc, très vulnérables. Les SNLE chinois de dernière génération sont de 11 000 tonnes ; d’autre part, ces SNLE sont relativement bruyants et produisent 115 décibels, alors que le bruit de fond de l’océan n’est que de 90 décibels. Enfin, les fosses océaniques de la Mer de Chine Méridionale (3.000 / 4.000 m) ne sont situées qu’au centre de cette mer.
1.2 Les contraintes géographiques imposent la concentration des SNLE chinois à proximité des côtes chinoises : en effet, pour quitter la Mer de Chine Méridionale, ceux-ci doivent franchir plusieurs détroits : celui des îles Senkaku entre le Japon et Taïwan, celui de Luçon entre Taïwan et les Philippines, celui de Macassar séparant Bornéo et Célèbes, et celui de Malacca, entre la Malaisie et Sumatra. Tous sont sous contrôle de l’US NAVY, qui les ferait immédiatement repérer et donc détruire en cas de guerre. C’est pourquoi, pour l’instant la force nucléaire sous-marine chinoise ne peut menacer que le nord-ouest des États-Unis, loin de ses centres vitaux.
Enfin, il semble que la géographie sous-marine de cette mer soit incomplète : en septembre 2021, le SNA (sous-marin nucléaire d’attaque) USS Connecticut a heurté une montagne sous-marine non répertoriée sur une carte, ce qui prouve une grande difficulté de navigation.
D’où la présence permanente de l’US NAVY pour surveiller les SNLE chinois …
- Taïwan : objectif N°1 du président Xi : 3 conséquences
La conquête de Taïwan, bouclerait la Mer de Chine Méridionale et en chasserait l’US NAVY :
– les SNLE chinois ne seraient plus repérés et pourraient être basés sur la côte est de Taïwan, port de Hualien qui est en eau profonde et accéder aux océans Pacifique et Indien et menacer les États-Unis dans leurs centres vitaux du Nord-Est, l’Inde et l’Europe !
– cette conquête permettrait de menacer directement les îles Senkaku qui ferment également la Mer de Chine Orientale au Nord-Est.
TSMC est le N°1 mondial semi-conducteurs, indispensables à toute industrie du 21ème siècle, notamment pour la défense. Cette entreprise est installée à Taïwan et donnerait un avantage technologique décisif à l’armée chinoise après une invasion réussie. C’est pourquoi Donald Trump a obtenu qu’une partie de la construction des semi-conducteurs soit délocalisée aux États-Unis.
La conquête de Taïwan, prouverait la supériorité du système politique chinois (mélange de communisme, de moins en moins, et de confucianisme, de plus en plus) sur le système occidental de démocratie, pratiquée à Taïwan, qui constitue une concurrence dangereuse pour le régime chinois ;
3. Risque de conflit armé ?
3.1 Très mauvais exemple de Hong-Kong
Quand Hong-Kong est redevenue chinoise, en juin 1997, Deng Xiaoping avait promis auparavant à Margaret Thatcher que la Chine respecterait les libertés acquises par la population chinoise de cette ville depuis un siècle, notamment celle de la presse et son système judiciaire, basé sur la Common Law. De plus, avant de partir, les britanniques avaient mis en place une assemblée librement élue. Cet état de fait était appelé par Deng Xiaoping « un pays, deux systèmes ».
Le but pour les chinois était double : le maintien d’un minimum de libertés permettait de préserver l’efficacité de la place financière de Hong-Kong, une des plus importantes d’Asie et de servir d’exemple pour la population de Taïwan.
Or, la ferme reprise en main du régime politique par Pékin en septembre 2018 a aboli, en fait, le principe « un pays, deux systèmes » en supprimant les libertés acquises pour la presse et le système judiciaire.
Cette abolition du pluralisme ne semble pas, pour l’instant, avoir trop nui à la réputation de la place financière ; par contre, l’exemple donné pour les habitants de Taïwan a été détestable et a particulièrement tendu les relations entre Pékin et Taipei.
La conséquence logique en est le très important renforcement de l’armée de Taïwan avec un fort soutien de son opinion publique, ce qui compliquerait une invasion chinoise.
3.2 Guerre des mots : Déclarations martiales de J. Biden et de Xi Jinping
Nous assistons actuellement à de très fortes concentrations de moyens militaires États-Unis / Chine et à de constantes incursions de l’armée de l’air chinoise à l’extrême limite des eaux territoriales taïwanaises ainsi qu’à des passages fréquents de navires de l’US NAVY dans le détroit de Taïwan.
La politique du président Xi Jinping peut se résumer par un message au monde entier : « retenez-moi ou je fais un malheur ! ». Certes, nous pouvons constater que Xi Jinping hausse le ton mais ne commet aucune provocation grave vis-à-vis des États-Unis.
Quant au président Biden, il répète à l’envie que les États-Unis protègeront Taïwan en cas « d’attaque injustifiée. » Nous constatons là un savant mélange de fermeté et de flou artistique, qui laisse quand même une marge de manœuvre au gouvernement chinois… à condition de ne pas aller trop loin !
3.3 Montée en puissance de la marine chinoise
La Marine chinoise, est devenue la première marine du monde, devant l’US Navy. Certes, l’US NAVY, même inférieure en nombre, reste la plus puissante, pour l’instant, notamment grâce aux SNA qui ont montré leur redoutable efficacité lors de la Guerre des Malouines (1982).
Cependant, entre 2014 et 2018, la Marine chinoise a augmenté de la somme des marines Française et italienne en 4 ans ; en 2022, la Marine chinoise a augmenté de l’ensemble de la Marine Française!
Si ce rythme continue, très rapidement, la Marine chinoise sera la première mondiale, en nombre et efficacité.
3.4 FAIBLESSES DE LA CHINE
En plus des contingences géographiques analysées supra, la faiblesse de la Chine est double :
Le système politique chinois repose sur le Parti Communiste qui trouve sa légitimité par la formidable expansion économique (toujours plus de 5% par an depuis 40 ans) qui a fait sortir de l’extrême pauvreté la moitié de la population, soit 700 millions d’habitants. Mais, cette expansion dépend principalement des exportations de produits industriels par la mer et de la possibilité d’importer librement la quasi-totalité de son pétrole, également par la mer.
Une guerre avec les États-Unis pour Taïwan impliquerait un blocus maritime américain assez facile à mettre en place, en fermant tous les détroits de la Mer de Chine Méridionale. Les conséquences seraient la faillite de beaucoup d’entreprises chinoises, l’effondrement de l’économie de la Chine et donc la perte de légitimité du pouvoir communiste, avec un risque de guerre civile.
En plus, un paramètre important qui s’impose au régime chinois est la présence permanente de 300.000 étudiants chinois aux États-Unis, et plus de 10 millions qui sont retournés en Chine après la fin de leurs études. Ces étudiants, futurs et actuels managers des entreprises chinoises ont été envoyés dans les universités américaines pour acquérir les meilleures techniques de gestion et d’innovations mais sont sous influence occidentale (libre confrontation des idées, liberté d’entreprendre et de recherche, autonomie de décision dans les entreprises). Ils constituent désormais une technostructure très efficace pour placer la Chine comme N°1 mondial, devant les États-Unis alors que Xi Jinping veut :
– prouver la supériorité de la Chine sur l’Occident ;
– la désintoxiquer de la pensée occidentale.
La direction du PC chinois peut difficilement mener à bien cette politique sans confrontation avec cette nouvelle élite intellectuelle ; bien évidemment, un conflit armé avec les États-Unis pourrait provoquer une rupture définitive avec celle-ci : la mise en place d’une économie de guerre pourrait se révéler impossible dans ces conditions.
POUR RÉSUMER :
Nous constatons la volonté évidente de la Chine de prendre sa revanche après 150 ans d’humiliation occidentale.
Nous sommes en présence du Piège de Thucydide, dans sa définition chimiquement pure, tel que décrit par Graham Allison dans son livre : montée en puissance de la Chine qui conteste les États-Unis, première puissance déjà en place.
Si nous pouvons comprendre facilement pourquoi la Mer de Chine Méridionale constitue une zone d’affrontement privilégiée entre la Chine et les États-Unis, nous pouvons également prévoir que le risque de conflit armé est relativement faible.
CONCLUSION
1. Deux notions du temps
1.1 VU DES ÉTATS-UNIS
– Quand les États-Unis rencontrent un problème, il faut le résoudre, ET VITE ! C’est comme cela qu’ils sont devenus entre 1865 et 1945, soit en 80 ans, la première puissance mondiale, alors qu’ils étaient à peine une puissance régionale.
En effet, en 1861, le Premier ministre Palmerston adressa un ultimatum au président Lincoln pour exiger la libération des deux diplomates envoyés par la Confédération du Sud à Londres et capturés sur un navire britannique (incident du Trent). Lincoln dut céder.
Mais, en 1867, le président Andrew Johnson acheta l’Alaska à la Russie, sans en référer à la Grande-Bretagne, qui l’aurait volontiers acquise pour elle-même. En effet, la Russie et la Grande-Bretagne étaient en compétition en Asie Centrale. Lord Derby, Premier ministre aurait ainsi pu bénéficier d’un moyen de pression sur le tsar Alexandre II.
Après, les États-Unis ont vaincu successivement :
– l’Espagne, et lui a arraché Cuba, Porto-Rico, le Philippines (1898), ce qui les a transformés en puissance du Pacifique, à quasi parité avec la Grande-Bretagne et la France, et en rivalité naissante avec le Japon ;
– l’Allemagne (1918 / 1945)
– et le Japon (1945),
– et après, ils feront accepter par la Grande-Bretagne d’être dépassée, avant d’imposer la reconstruction de l’Europe, selon leurs exigences pour permettre la suprématie des entreprises américaines, la décolonisation et leur hégémonie partout ailleurs, sauf le bloc communiste.
Dès les années 50, Charles Wilson, ancien PDG de la General Motors et Secrétaire à la Défense du président Eisenhower (1953/61) se permit cette déclaration célèbre : « ce qui est bon pour la General Motors est bon pour les États-Unis et ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour le monde ».
Compte tenu de cette montée en puissance, à une vitesse quasi météorique, les États-Unis ont la volonté de contrer la nouvelle hégémonie chinoise en Mer de Chine Méridionale, ET VITE !
Pour cela, avec les autres puissances anglo-saxonnes, les États-Unis montent l’alliance ANKUS qui écarte la France, pour faire rentrer définitivement l’Australie dans leur giron, avec l’accord de la Grande-Bretagne, qui croit ainsi jouer dans la cour des Grands. Les États-Unis veulent donc monter cette alliance, ET VITE !
1.2 VU DE LA CHINE
– La Chine est une civilisation trimillénaire, « cet état, plus vieux que l’Histoire… » (Charles de Gaulle en 1964, quand il reconnut la Chine Populaire) qui se considère comme le plus civilisé des pays au monde, entouré par des barbares ; Confucius disait, à propos de la Chine : « connais ta place dans le monde », en la mettant en premier, dans une hiérarchie très stricte, où elle place tous les autres après elle, ce qui est la source de l’Harmonie Suprême, vers laquelle toute vie doit se diriger ; aussi, aux yeux des chinois, les États-Unis troublent cette Harmonie Suprême par leur présence en Mer de Chine Méridionale ;
– or, les États-Unis n’existaient pas quand la Chine était la première puissance mondiale en terme de PIB (milieu du 18ème siècle) ;
– un proverbe très souvent entendu en Orient nous dit : « les Occidentaux ont l’heure, nous avons le temps… »
– Le journaliste Raymond Cartier a écrit que la domination britannique en Asie était considérée comme « aussi normale que la mousson » au 19ème siècle et au 20ème siècle jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Or, selon Lee Kuan Yew, Premier Ministre de Singapour (1959/90), la chute de Singapour en février 1942, a constitué l’élément déterminant de la fin de l’hégémonie occidentale en Asie, quand 36.000 petits hommes jaunes, japonais, comme les appelaient avec mépris les britanniques, dirigés par le général Yamashita, ont pris Singapour, et ses 85.000 soldats, un des piliers de l’Empire Britannique.
– La crise financière de 2008 a renforcé la Chine dans ce sentiment avec la faillite de Lehmann Brothers, un des piliers du système financier américain ;
– la Chine tente alors d’imposer son hégémonie par intimidation, vis-à-vis du Vietnam en Mer de Chine Méridionale ou du Japon, en Mer de Chine Orientale, ou par séduction, vis- à-vis des Philippines, en leur proposant une alliance de substitution à celle des États-Unis, mais dans une soumission hiérarchique.
– Enfin, comme je l’ai dit en introduction, depuis 1949, la Chine n’a déclenché de guerres que parce qu’elle se sentait affaiblie et qu’un voisin voulait profiter de cet affaiblissement ; or, depuis 2014, son PIB est quasiment à parité avec celui des États-Unis ;
– la stratégie chinoise est basée sur celle définie par Sun Zu, dans son livre l’Art de la Guerre, écrit au temps des Royaumes Combattants du 6ème siècle av. JC. La victoire s’obtient par l’affaiblissement de la volonté de l’ennemi, sans avoir à combattre autrement que par des gestes et des mots.
– EN BREF : la Chine mise sur la lassitude États-Unis.
2. Quelle conséquence si les États-Unis s’en vont ?
– Les États-Unis maintiennent une structure hégémonique sur tout le Pacifique depuis les Batailles de Midway, en 1942 et du Golfe de Leyte, en 1944 ; la principale conséquence d’un retrait américain serait la course à une hégémonie de substitution entre la Chine et les Etats voisins ;
– La Chine, Singapour, l’Indonésie, et le Japon seront en compétition pour cette hégémonie ; dans ce but, on peut envisager une alliance entre la Chine et Singapour, très proches culturellement et suffisamment éloignés géographiquement, pour ne pas être rivaux.
– Le Japon est au seuil du nucléaire militaire depuis le milieu des années 60 et peut mettre en place une force nucléaire opérationnelle en moins de 2 ans, ce qui terrorise par avance toute la région à cause des souvenirs de la Seconde Guerre Mondiale…
– Le budget et la balance commerciale des États-Unis est en déficit depuis la Guerre du Viêt-Nam, mais le dollar reste LA PRINCIPALE DEVISE du monde, à cause de la puissance militaire des États-Unis depuis 1945. Cette puissance militaire leur permet de drainer la majeure partie de l’épargne mondiale, exactement comme l’hégémonie militaire et navale de la Grande-Bretagne et celle de la Livre Sterling allaient de pair avant 1914.
– Le retrait des États-Unis de la Mer de Chine Méridionale marquerait probablement la fin de l’hégémonie du dollar et des États-Unis, donc la FIN DE LEUR HÉGÉMONIE TOUT COURT. En effet, les États-Unis ne pourraient plus financer leur puissance militaire colossale avec « la planche à billets », ce qu’ils font depuis la guerre du Vietnam.
Les États-Unis deviendraient alors un « super-Canada », sans plus !
3. Lassitude Américaine ?
– La Chine considère la présence des États-Unis en Mer de Chine Méridionale aussi incongrue qu’une présence chinoise dans le Golfe du Mexique ;
– La Chine ne croit pas au déplacement du centre de gravité de la puissance américaine du Proche-Orient et de l’Atlantique vers le Pacifique, malgré les efforts du président Obama pour le prouver.
– D’une part, parce que le conflit du Proche-Orient, chaudron en perpétuelle ébullition, n’est pas prêt d’être résolu ; les liens culturels, militaires et économiques entre les États-Unis et Israël demeurent très forts et Israël restent le seul état de cette région à ne pas être un volcan géopolitique ;
– d’autre part, la nouvelle Guerre Froide avec la Russie, qui maintient une tension forte en Europe, finira par refixer ce centre de gravité comme avant, c’est-à-dire en Europe et en Méditerranée ; le conflit ukrainien aggrave cette tendance ; dans ce but, la Chine déploie beaucoup d’efforts pour garder la Russie dans son orbite géopolitique… Comme au temps de Kubilaï Khan, au 12ème siècle…
Et le temps est une arme que les chinois manient parfaitement…
POUR RÉSUMER : ce n’est pas la peine d’être prophète pour penser qu’un départ des États-Unis serait plus générateur de conflits armés que la situation actuelle.
Oliéric