Article d’Alain Juillet publié le 29 avril 2020 dans l’ASAF
Contrairement aux affirmations sur l’unité des pays européens la crise sanitaire que nous vivons a montré en vraie grandeur, pour ceux qui l’ignoraient, que tous les Etats pratiquent le chacun pour soi y compris dans l’achat des matériels et des produits. Nous n’avons pas d’amis, nous n’avons que des alliés ou des ennemis disait Churchill. C’est le plus fort, le plus riche ou le plus agressif qui emporte la mise. Ceux qui ont anticipé ont un avantage réel car ils ont pu se préparer et agir tandis que les autres essaient de réagir au jour le jour et la sanction économique et sociale est brutale. Comme le savent bien les militaires, la solidarité n’existe que dans les troupes entrainées qui partagent des valeurs et des objectifs. L’Europe s’est révélée incapable de répondre à la crise par des actions communes. L’OTAN non plus d’ailleurs. La fourmi nordique a géré au mieux quand la cigale méditerranéenne a sombré dans le chaos. En réalité chacun s’est débrouillé comme il a pu, en fonction de ses moyens, entre ceux qui ont considéré qu’il fallait laisser faire la nature quoi qu’il en coûte et ceux qui ont cherché à éviter la contamination par des mesures allant de l’identification des malades au confinement général.
Au plan des entreprises la crise a fait découvrir pour beaucoup et confirmer pour certains les limites de la mondialisation, l’importance du patriotisme économique, et les conséquences du principe de précaution. L’économie libérale basée sur les échanges à l’échelle planétaire et la création de valeur pour l’actionnaire a montré ses limites. Les ruptures d’approvisionnement en amont ou en aval ont montré que les délocalisations pour raisons financières étaient dramatiques en cas de crise et qu’il fallait disposer de sources proches pour répondre aux imprévus. Tout en développant son niveau d’exportation, le président Trump, adepte de la doctrine de Monroe, y trouvera une raison de plus pour l’appliquer et privilégier son marché intérieur. Le président Xi Jinping fera de même pour continuer le recentrage économique de la Chine sur son propre territoire. Espérons que la France et ses industriels sauront en tirer les enseignements.
Tout le monde a intérêt à faire un retour d’expérience sur ce qui vient de se passer pour en tirer un bilan et de nouvelles approches car rien ne pourra plus être comme avant. Pendant le confinement nos concitoyens ont eu la liberté de penser et de juger leur vie dans leur environnement en sortant du quotidien. Une partie de la société a montré son sens des responsabilités au service de la communauté quand d’autres se complaisaient dans un égoïsme et une lâcheté qui rappelle de noires périodes de notre histoire. Ce courage collectif de beaucoup de ceux qu’on avait vu sur les rond points deux ans plus tôt a montré à la jeunesse qu’il ne fallait ni rêver ni se laisser manipuler par des objectifs sans avenir réel. Le progrès sans limite, la finance sans contrôle ont montré leur incapacité à agir face à un petit virus. Il en sera bientôt de même avec les collapsologues et autres apôtres de la décroissance quand nos concitoyens vont se retrouver dans une crise économique et sociale avec un pouvoir d’achat réel ayant baissé de 10%.
Pour éviter les problèmes et rebondir positivement, l’entreprise va devoir être repensée pour exploiter au mieux les possibilités du numérique en donnant plus de libertés et de responsabilités aux salariés afin qu’ils se mobilisent sur des objectifs à atteindre. Le télétravail a ouvert la porte du management horizontal reposant sur des plateformes collaboratives et de la possibilité de réduire les déplacements et les temps de transports au niveau local, national et planétaire. Nous allons devoir également recentrer les sources d’approvisionnement pour qu’une part suffisante soit proche de la zone d’activité afin d’éviter les ruptures et les dépendances.
Enfin il est temps de pratiquer réellement l’intelligence économique au niveau territorial pour éviter de se faire surprendre ce qui implique d’analyser et de se projeter dans le moyen et long terme. Visiblement les pays du sud de l’Europe n’ont pas su l’utiliser dans cette crise sanitaire. Savoir anticiper sur son marché repose sur une parfaite connaissance dans la durée de la situation des et de son environnement territorial et planétaire. Dans une pandémie, l’avantage concurrentiel n’appartient pas à celui qui sait, parce qu’il est en haut de la chaîne bureaucratique et technique et bloque toute initiative pour préserver le système. Il appartient à celui qui a prévu d’avoir un masque des gants du gel et un test au moment voulu. Ainsi l’humain reprend tout son sens et les vertus de solidarité deviennent le ciment d’un futur s’éloignant des illusions perdues.
*Alain Juillet, Ancien Directeur du renseignement à la DGSE de 2002 à 2003, il a ensuite occupé jusqu’en 2009 les fonctions de Haut responsable à l’intelligence économique, rattaché au Premier Ministre. Conseiller au Cabinet Orrick Rambaud Martel, il est également Président de l’Académie d’Intelligence Economique. Il est également membre du comité d’orentation stratégique chez Geopragma.