Lettre ouverte de Florence de Changy* du 21/03/2020
A l’attention de Martin Hirsch, Directeur de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
Bonjour Monsieur,
Je suis journaliste à Hong Kong pour Le Monde, Radio France et RFI. Je vous envoie, à titre personnel, ce message qui était initialement destiné à mes amis (parmi lesquels plusieurs médecins mais aussi des gens susceptibles d’influencer les décideurs de notre pays) ainsi qu’à quelques consœurs et confrères. Après en avoir parlé avec certains d’entre eux, plusieurs m’ont suggéré de m’adresser directement à vous et m’ont transmis vos coordonnées.
Comme tout le monde, j’observe la gravité de la situation. Or, sur la base de l’expérience hongkongaise, une solution simple pour enrayer l’aggravation de la situation me saute aux yeux. Car prévenir nos proches n’a servi à rien. En dépit de notre expérience à Hongkong, plusieurs membres de ma famille et des amis proches ont déjà attrapé le covid-19, à des degrés divers de gravité. D’autres n’y échapperont pas.
Depuis une semaine, le gouvernement français a assigné à résidence la quasi totalité de la population pour empêcher les gens de se contaminer les uns les autres, en interdisant même les promenades au grand air et sur les plages. Ces mesures extrêmes « à la Chinoise » ne sont pas viables ou soutenables au delà de quelques jours. D’une part, les Français n’auront pas la docilité et la patience des Chinois face aux consignes gouvernementales. D’autre part, le terrible impact, social et économique, que va avoir ce confinement risque de s’avérer fortement disproportionné aux résultats obtenus sur la maitrise de l’épidémie.
Par contraste, l’exemple Hongkongais a montré que lorsqu’une population dans son entière totalité adopte le port du masque, comme forme de confinement individuel, la propagation du virus peut être quasiment arrêtée. Malgré une densité démographique parmi les plus fortes de la planète (7 millions et demi d’habitants qui cohabitent pour la plupart dans des espaces minuscules avec une très forte proximité dans la vie quotidienne), malgré des échanges intenses de personnes avec la Chine, et malgré la proximité géographique des premiers épicentres (jusqu’à la fermeture des frontières mi février), Hongkong doit déplorer à ce jour 4 morts du covid-19, oui quatre…
Je suis donc ahurie d’entendre les autorités sanitaires françaises continuer d’affirmer que le masque ne sert à rien ou à presque rien. Cela me semble grave et dangereux alors qu’il faudrait au contraire inciter tous les Français à en porter, pas seulement le corps médical et les forces de l’ordre.
Car tout le monde s’accorde à dire que le virus se propage essentiellement par les mini-gouttes de salive porteuses du virus que tout un chacun émet, en plus ou moins grande quantité, en toussant et éternuant, mais aussi en parlant, en mangeant etc.. Le masque, même de mauvaise qualité, est donc l’écran physique le plus évident qui soi pour faire obstacle à la propagation du virus. Il ne sert pas à se protéger du virus (et c’est vrai qu’il protège assez mal), mais il sert à protéger les autres de soi. Exemple: plusieurs chauffeurs de taxi qui portaient le masque à HongKong ont été contaminés car leurs passagers ne le portaient pas. À cet égard, quand un médecin ausculte un patient potentiellement porteur, il serait sans doute plus efficace pour protéger le médecin que ce soit le patient qui porte le masque et non l’inverse…
Il faut donc promouvoir le port du masque comme un acte citoyen d’intérêt collectif. Dans une épidémie, chacun devrait se considérer comme porteur potentiel, et protéger les autres de soi, pas l’inverse. C’est ce message qu’il me semble important de faire passer.
Dès lors qu’ils ont vu réapparaitre le spectre du Sras de 2003, fin janvier, les Hongkongais ont repris le port du masque comme un seul homme, du jour au lendemain, et en dépit de la grave pénurie qui avait lieu ici aussi. L’attitude des Hongkongais a été d’autant plus admirable qu’elle s’est faite en dépit des consignes gouvernementales lesquelles, comme en France, ne recommandaient le port du masque que pour les malades et les soignants.
Se laver les mains est l’étape no2: utile quand le virus est déjà sur les claviers d’ordinateur, les rampes d’escalator, les billets de banque, les pièces, les cartes de crédit, les poignées de porte, les écrans tactiles, les étales de fruits, les caddys de supermarchés… Mais le port du masque réduit considérablement, en amont, la dispersion du virus. Cela parait élémentaire comme raisonnement.
Alors que l’une de mes soeurs, médecin à Versailles (et mère de 5 enfants) a eu un mal fou à trouver ses 18 masques hebdomadaires (pharmacies en rupture de stocks), la Chine est actuellement en surproduction de masques. Je viens d’interviewer quelqu’un à Hangzhou qui m’a confirmé pouvoir livrer des millions de masques en France en quelques jours. Il est faux de dire qu’il n’y a pas de masques disponibles. Comme vous le savez sans doute, de nombreuses usines chinoises ont transformé leurs chaînes de production pour produire des masques (de différentes qualités, de ceux à usage unique jusqu’aux normes les plus elevées). Mais la France a imposé des restrictions (decrèt du premier ministre du 13 mars 2020 ci-joint) qui semblent compliquer et ralentir l’importation et la distribution des masques en France.
Innonder le marché français de masques et en imposer l’utilisation par tous permettrait de lever assez rapidement le confinement. Les masques pourraient être subventionnés ou distribués gratuitement, ce qui couterait beaucoup moins cher à l’économie que les conséquences d’un confinement drastique ‘à la chinoise’. Entre le confinement et le port du masque comme forme de confinement individuel et mobile, les Français ne devraient pas hésiter longtemps.
Je vous remercie de votre attention en espèrant sincèrement que ce rapport d’experience pourra vous être utile et incitera les autorités françaises à vite évoluer dans leur gestion de cette crise afin de privilégier des solutions humaines et efficaces, à commener par le port du masque comme mode de confinement mobile et individuel.
Bien sincèrement et en restant à votre disposition,
*Florence de Changy, journaliste à Hong Kong pour Le Monde, Radio France et RFI