Le Billet du lundi du 14 octobre 2019, par Patricia Lalonde*

 

 

Quels sont les obstacles à la fin de la guerre en Syrie ? 

L’Etat Islamique ayant été quasiment vaincu, la seule justification du maintien des troupes américaines sur le sol syrien est l’appui apporté aux forces kurdes des PYD dans le combat, pour l’autonomie que le pouvoir syrien leur refuse.

Il ne serait donc pas impossible que l’Iran et la Russie, acteurs, avec la Turquie, du Groupe d’Astana, aient fermé les yeux devant le plan d’Erdogan d’affronter les Kurdes pour récupérer une zone de 30 km de profondeur en territoire syrien ; et il ne serait pas impossible non plus que ce plan ait été discrètement avalisé par la Maison Blanche.

S’il est incontestable que les Kurdes ont été le fer de lance de la défaite de Daesh et en première ligne dans la bataille de Kobané, la réalité sur le terrain aurait dû les pousser à négocier avec un Bachar el Assad désormais vainqueur de cette guerre. Les Russes, qui ont largement contribué à cette victoire, les y ont d’ailleurs encouragés ces dernières années.

Donald Trump, dont l’une des promesses de campagne était de cesser les guerres «  qu’on ne peut gagner » et qui ne «  rapportent rien aux US », verrait sans doute d’un bon œil que les troupes américaines se retirent du Moyen-Orient. 

Le coup de téléphone entre le président américain et son homologue turc juste avant l’intervention confirme qu’un feu orange a été donné par la Maison Blanche… à condition de ne pas dépasser la ligne rouge…

Cela explique les contradictions des tweets de D. Trump et le tollé que la brusque offensive turque provoque à Washington comme en Europe. Les Russes quant à eux, ont alerté sur le danger d’une déstabilisation de la région et contre le risque d’éparpillement des militants de Daesh. Les Iraniens ont demandé aux troupes turques de se retirer du Nord-Est syrien.

Mais toutes ces déclarations ne seraient-elles pas trompeuses?

D. Trump et V. Poutine ne se seraient-ils pas mis d’accord pour forcer les Kurdes à négocier avec Bachar el Assad afin que la Syrie puisse trouver une solution politique et retrouve son intégrité territoriale ? L’armée syrienne propose déjà son aide aux Kurdes…   

Cela expliquerait peut-être pourquoi l’offensive turque, si elle ne dépasse pas la ligne rouge, pourrait arranger le régime syrien, les Russes, les Iraniens et évidemment Donald Trump.

Quant à Erdogan, cette offensive devrait lui permettre à la fois de faire oublier son incapacité à défendre les djihadistes encerclés à Idlib, alors que l’armée syrienne épaulée par les Russes progresse et surtout de redorer son blason sur la scène politique intérieure turque après sa dernière défaite électorale à Istanbul… 

Les Occidentaux ont une fois encore été pris par surprise et leur réaction affolée en dit long sur leur perte d’influence dans la région. Ils ont joué la carte kurde qui est devenue leur meilleur atout  dans leur combat contre Daesh et qui justifiait une présence militaire sans mandat onusien dans la région, prolongeant ainsi la guerre et freinant une solution politique et le retour de l’intégrité de la Syrie. 

Il n’est pas anodin que Trump ait récemment demandé aux Européens, une semaine avant l’intervention militaire turque de reprendre leurs djihadistes enfermés dans les prisons kurdes, sachant pertinemment le risque d’évasion de ces prisonniers en cas d’attaque turque…  Cela permet également à R. Erdogan de faire chanter l’Europe  : si vous condamnez cette offensive et si vous mettez des sanctions contre nous, nous vous enverrons 3,6 millions de réfugiés et vos djihadistes. 

 

Il est donc fort probable que les trois acteurs des accords d’Astana aient décidé de se répartir les rôles et de pousser ainsi les Kurdes à négocier avec Damas pour mettre fin à cette interminable guerre que les Occidentaux tentent de prolonger.

L’Europe sera la grande perdante de ce jeu de rôle.

 

*Patricia Lalonde, Vice-présidente de Geopragma

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