Billet du Lundi rédigé par Ghislain de Castelbajac, membre du Conseil d’administration et membre fondateur de Geopragma.
Les cinq années à venir marqueront un point de bascule stratégique pour la France dans le cadre d’un deuxième mandat du président Emmanuel Macron.
Si la période 2017-2022 fut celle du retour aux dures réalités géopolitiques pour l’Europe et en particulier pour la France, l’avenir de notre pays est un parcours semé d’embûches dans lequel aucune puissance, alliée ou non, ne nous fera de cadeaux.
Je vois trois chantiers sur lesquels le président français et sa majorité devront travailler : l’indépendance, l’interopérabilité des alliances, et la prévention.
L’heure n’est plus aux envolées lyriques des théories libre-échangistes et de fin de l’Histoire, ni même d’ailleurs à un retour fantasmé d’une France gaullienne.
Notre indépendance et notre souveraineté ont été trop mises à mal par de graves lacunes de notre manque de vision et de diversification de notre politique d’approvisionnement stratégique civile (masques, médicaments …) et énergétique (gaz, mise au ban de notre atout nucléaire).
Ces chantiers d’approvisionnement et de réindustrialisation de souveraineté sont sans doutes les plus urgents à mettre en place. Si le revirement, du président Emmanuel Macron, ces derniers mois sur l’importance d’un retour à une politique nucléaire de transition est bienvenue, nous avons perdu une décennie de sous-investissement en la matière, et avons failli être engloutis dans le piège tendu par l’alliance (pacte de corruption ?) mené entre certains partis verts allemands, un ancien chancelier, et la Russie, pour renforcer la dépendance au gaz russe de l’Allemagne tout en discréditant l’industrie nucléaire européenne.
Sur les théâtres internationaux, la France est une puissance moyenne à l’influence mondiale, qui doit trouver sa voie.
Mais, même ce statut de puissance moyenne risque fortement d’être remis en cause par la mise en place progressive d’une société « archipellisée » et sa mise sous influences extérieures, qui – à la marge – aboutissent à des actes terroristes sur notre sol ou contre nos intérêts à l’étranger, à des campagnes d’influences et de dénigrement de nos choix énergétiques et sur la nature même de notre société basée sur la laïcité.
Comment donc redonner au modèle français de laïcité et d’intégration ses lettres de noblesse également à l’international alors que notre pays est si souvent attaqué par les idéologies des campus américains et des islamo-frèristes décoloniaux qui s’allient pour mettre à mort notre culture, notre modèle et notre civilisation ?
Si la France veut continuer d’être l’un des moteurs dans la défense en Europe, une redéfinition de sa politique de réarmement et une réforme de ses armées sont fondamentales. La question d’un retour à un véritable service militaire obligatoire, comme creuset national et culturel d’une classe d’âge, est une question qu’il convient de se poser malgré les contraintes budgétaires.
La France doit aussi trouver des points d’équilibre avec l’Allemagne qui vient tout juste de se rendre compte de ses erreurs dans ses errements énergétiques et dans la faiblesse de ses contributions à l’OTAN.
La Pologne est un allié intéressant pour la France, à condition de la rassurer et de lui faire part de nos intérêts communs pour la sécurité et la stabilité à la fois en Europe et dans le monde. La Pologne, est bien entendu sous parapluie américain, mais cette position pourrait évoluer si la France pouvait proposer une voie médiane de défense et de sécurité de proximité, à l’image du Triangle de Weimar, alliance tripartite entre Paris, Berlin et Varsovie, qu’il conviendrait de redynamiser, en initiant par exemple une force franco-polonaise d’intervention hors cadre OTAN pour des crises limitées en temps et en théâtre.
Suite aux récentes tensions contre le président polonais, il est important que le président français batte sa coulpe et se rapproche de Varsovie qui a été à l’instigation du Triangle de Lublin en 2020, regroupant Varsovie, Vilnius et Kiev.
Cette nouvelle alliance régionale est une résurgence de la « république tripartite » qui regroupa la Pologne, la Lituanie et la Ruthénie du XVème au XVIIIème siècle.
Ce sera donc le rôle de Paris et de Berlin de rassurer Varsovie et de faire prendre conscience à Kiev que les amputations territoriales de l’Est et du Sud de l’Ukraine seront un mal nécessaire pour organiser le plus rapidement possible une conférence paneuropéenne de la paix, à l’image de l’« initiative Balladur de stabilité en Europe » de 1995 qui permit aux pays d’Europe centrale d’adhérer à l’Union Européenne, et même à l’OTAN.
Cela passera par une normalisation des relations avec Moscou, qui devra faire des concessions en échange d’un rattachement de territoires ukrainiens, à savoir des adhésions à l’OTAN de la Suède et de la Finlande ainsi que la perspective rapide d’une adhésion d’une nouvelle Ukraine à l’UE.
Dans les Balkans, les menaces de guerre et d’embrasement se font de plus en plus prégnantes : la Bosnie est sur le point d’exploser via les Accords de Dayton sous les coups de boutoir tant de la Turquie d’Erdogan que de l’influence de plus en plus appuyée de Moscou sur les populations serbes et leurs désirs séparatistes de la Bosnie pour un éventuel rattachement à la Serbie.
Contrairement aux guerres yougoslaves des années 1990, la France du quinquennat Macron II ne s’opposera pas aux visées pangermaniques qui engendrèrent une opposition parfois ouverte entre Mitterrand et Kohl sur les irrédentismes serbes, croates et bosniaques.
En cas de retour annoncé à un conflit chaud en Bosnie fédérale, Belgrade ne pourra se tourner que vers Moscou, trop heureuse d’attiser à son tour les braises de la discorde au cœur de l’Europe du Sud.
Une Serbie isolée et ostracisée par les Européens se jetant dans les bras de la Russie serait le pire des scénarios, alors que les élections en Serbie le 3 avril 2022 ont permis la réélection du président Vučić qui doit jouer aux équilibristes entre une opposition pro-russe renforcée par le volet législatif du scrutin, et par la volonté de Belgrade de poursuivre son processus d’adhésion à l’Union européenne.
Le rôle de la France dans les Balkans doit donc être apaisant et moteur dans l’éviction des forces de discordes que pourraient être Ankara, Moscou et Washington.
C’est aussi en prenant appui sur un groupe d’États pivots européens (Bulgarie, Allemagne, Italie) que Paris pourra tenter de désamorcer cette crise à venir en Bosnie.
Au sud, les défis internationaux de la France n’ont pas trouvé pour le moment d’allié fidèle dans la conduite de ses intérêts. On le voit par exemple au Sahel où la France a été bien seule dans ses opérations.
Le Maroc pourrait renforcer son rôle d’allié pérenne de la France dans la région, notamment grâce à l’annonce par Madrid de la reconnaissance des droits de Rabat sur le Sahara occidental, ce qui a engendré l’ire du président algérien Tebboune.
Il serait donc intéressant pour la France de travailler avec le Maroc et l’Espagne pour trouver une force de frappe commune dans le cadre de la lutte contre le mouvement djihadiste et les diverses déstabilisations régionales.
Un « Triangle de Tanger » pourrait voir le jour et concrétiser sur le plan opérationnel ces avancées stratégiques.
La paix des braves entre le Maroc et l’Algérie n’est pas une voie facile, mais elle reste indispensable : une relation apaisée avec l’Algérie nous permettra d’éviter qu’elle s’enfonce dans une alliance trop profonde avec la Russie. L’Algérie est un fournisseur de matières premières important, et un pivot dans la sécurité de la région. Ici aussi, la France et l’Espagne auront un rôle à jouer dans l’apaisement.
Dans les pays bordants l’océan Pacifique, les humiliations subies par Paris dans notre éviction brutale du contrat de vente de sous-marins français à l’Australie, puis l’annonce de l’alliance AUKUS (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis) sans la France, ont eu pour conséquence directe la très récente annonce de signature d’un accord stratégique entre la Chine et les îles Salomon.
Situées en face du littoral australien et de la Nouvelle-Calédonie, cet accord permet l’implantation durable de bases militaires chinoises sur cet archipel indépendant.
Les annonces du premier ministre australien Scott Morrison indiquant qu’une telle perspective serait une « red line », place Canberra directement devant ses contradictions : humiliation d’un allié et d’un voisin stratégique qu’est la France dans le Pacifique, et reconnaissance « en miroir » des craintes de Moscou de subir l’implantation de bases militaires d’une alliance à ses frontières.
Mao Zedong disait que « les États-Unis sont à respecter tactiquement et à mépriser stratégiquement ». Pour la France, si présente et pourtant si lointaine des rivages du Pacifique, il conviendrait de réfléchir à ce précepte maoïste en expliquant clairement à l’Australie et aux autres membres de l’AUKUS que Paris n’est pas une carpette optionnelle dans la conduite de la sécurité dans la région.
Affaiblie, mais libre de ses mouvements dans la région Pacifique, la France pourra jouer un véritable pragmatisme stratégique et choisir ses alliances au gré de ses intérêts.
Cette revue non-exhaustive des nombreux défis stratégiques auxquels la France est et sera confrontée contient d’importants risques, y compris celui d’un embrasement généralisé d’une guerre totale en Europe, ou même les effets collatéraux d’un conflit s’inscrivant sur le long terme avec un théâtre militaire demeurant interne à l’Ukraine, mais avec une recrudescence d’attaques cyber et de conséquences monétaires graves du fait des embargos menés contre la Russie et de sa contre-offensive sur l’exigence de paiements en Rouble ou en Or.
Si notre Histoire démontre que c’est dans les moments les plus difficiles que notre pays sait se montrer fort, il conviendra que la France se démarque de ses positions basées uniquement sur la moraline, et reprend la voie d’un pragmatisme géopolitique pour retrouver la « France hors limites » qui fit sa puissance, inspirée pourquoi pas de la « guerre hors limites » des théoriciens chinois.
Alain-Perken DAVID
Castelbajac
Rouby