Le Billet du Lundi, le 22 avril 2019 , par Gérard Chesnel*
Ne croyez pas ceux qui disent – officiels ou médias – que la situation est normalisée en Irak et que le pays va maintenant pouvoir reprendre le cours de son développement. Rien n’est moins vrai. Il subsiste, tant sur le plan politique que dans le domaine sécuritaire, de nombreux facteurs d’instabilité et de nombreuses interrogations.
Sur le plan politique tout d’abord, la question de l’équilibre entre le nord, kurde et sunnite, et le sud, arabe et majoritairement chiite, ne peut être considérée comme définitivement résolue. Le blocus imposé par Bagdad à la suite du vote kurde en faveur de l’indépendance le 25 septembre 2017 (92,7% de oui) a laissé des traces. Pendant six mois les principaux aéroports du Kurdistan et les terminaux frontaliers avec l’Iran et la Turquie ont été fermés, occasionnant des pertes économiques considérables. Un accord a pu, certes, être conclu, sur intervention des Etats-Unis, et Bagdad verse de nouveau à Erbil sa part du budget fédéral soit 1 milliard de dollars par mois mais cela reste insuffisant et le Kurdistan continue de s’endetter. L’Irak, au surplus, a profité de l’affaiblissement du Kurdistan pour reprendre le contrôle des « territoires disputés » comme Kirkouk.
Le Kurdistan est, de plus, divisé comme jamais entre les deux principaux partis, le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) dirigé par la famille Barzani, et l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan). Comme de coutume c’est le candidat de l’UPK, Barham Saleh, qui a été élu Président de la république d’Irak mais le PDK a essayé jusqu’au bout d’imposer son candidat. Actuellement un équilibre fragile a été trouvé entre Bagdad et Erbil : à côté du Président de la république (kurde), le nouveau Président du Parlement est le sunnite Mohammed al-Halbussi et c’est un chiite, Adel Abdel-Mahdi, qui a été nommé Premier ministre.
Les puissants voisins du pays, notamment la Turquie et l’Iran, ne manquent pas d’intervenir dans ce micmac politique, en soutenant tel ou tel candidat, qui leur sera naturellement redevable. Il est donc difficile de dire si l’équilibre ainsi atteint sera durable. En attendant, la rivalité Bagdad-Erbil oblige à des tractations multiples et complique encore la tâche des responsables locaux (qui craignent de voir leurs requêtes se perdre dans le dédale de l’administration centrale) comme des ONG qui, pour pouvoir intervenir, par exemple, au Kurdistan, ont besoin d’une double accréditation.
Pneu signalant une mine dans un village d’Irak
Pour compliquer encore cette situation, rôde sur le pays une menace diffuse, invisible mais bien réelle : celle que représentent les milliers (on parle de 6 à 7 000) de combattants de Daech qui ont pu quitter leurs dernières places fortes de Mossoul, Rakka ou encore Baghuz, en emportant armes et bagages. Il s’agit, selon les dires de certains de nos agents, des plus expérimentés et des mieux armés des troupes de l’Etat Islamique, qui ont eu largement le temps de s’exfiltrer et se sont disséminés on ne sait où. Ils ont pris le temps de laisser derrière eux des dizaines ou peut-être des centaines de milliers de mines et surtout d’engins explosifs improvisés (IED) qui retardent considérablement le retour des réfugiés chez eux. Les IED, en particulier, posent un terrible défi à nos démineurs puisqu’ils peuvent prendre des formes multiples et sont particulièrement difficiles à détecter. Or cette situation est porteuse de nouveaux dangers. Les responsables irakiens n’ont de cesse de souligner l’urgence qu’il y a à remettre leurs maisons ou leurs terres à la disposition des réfugiés car dans les camps la propagande de Daech peut faire des ravages, notamment auprès des jeunes, qui sont tous sans emploi. L’Etat Islamique a, en effet, beau jeu de dire que la Coalition est incapable de les aider et que c’était quand même mieux de son temps. Le déminage constitue ainsi un enjeu majeur et prioritaire puisqu’il se trouve en amont et qu’il est la condition préalable et indispensable à tout retour des réfugiés et donc à tout redémarrage économique dans les zones affectées.
Face à ces défis multiples, la communauté internationale doit se mobiliser. La France, quant à elle, participe activement à la lutte armée contre Daech : l’opération Chammal (vent du nord, en arabe) apporte un appui aérien souvent crucial aux forces de sécurité irakiennes. Il est clair que, tant que persistera cette menace fantôme, cet effort devra être poursuivi, même si les Américains décidaient vraiment de se retirer.
Dans le domaine du déminage, l’effort de la France (quelque 5 millions d’euros en 2018) est loin d’être suffisant, surtout si on le compare à celui d’autres pays européens comme le Royaume Uni, l’Allemagne ou la Norvège. Il est cependant bien ciblé : les démineurs irakiens ont déjà acquis une compétence certaine pour l’élimination des IED mais nous pouvons leur apporter une aide précieuse en ce qui concerne le déminage sub-aquatique, par exemple. Il est prévu que notre contribution au déminage augmente en 2019 et que nos livraisons de matériels spécialisées s’accroissent. Malgré tout, la tâche reste immense et il est à souhaiter que de nouveaux combats ne viennent pas recontaminer les terres déjà dépolluées et prêtes à être rendues à leurs propriétaires.
Soutien militaire, déminage, aide aux victimes, toutes ces actions sont liées et participent au sauvetage d’un pays clé pour la sécurité du Moyen-Orient et pour la nôtre.
*Gérard Chesnel, membre fondateur et trésorier de Geopragma
Bernard