Billet d’actualité par Emmanuel Huyghues Despointes, membre de Geopragma.

 

Dans cette crise, les deux principaux protagonistes, l’Iran et Israël, se sont lancés dans une série d’invectives avec un niveau d’intensité rarement atteint dans les relations internationales ; cette crise laisse croire à la possibilité d’une guerre entre les deux puissances qui reste toutefois peu probable parce qu’elle dissimule leurs véritables objectifs.

A) Quel est l’objet de l’arme nucléaire pour l’Iran ? Cet objet est triple : 

1) « Parler doucement avec un gros bâton »

Le président Teddy Roosevelt (1901/09) résumait ainsi la politique étrangère des USA quand ils sont devenus une puissance mondiale au début du 20ème siècle : « parler doucement avec un gros bâton » ; comme toute arme nucléaire à la disposition d’un gouvernement depuis 1945, ce sera pour l’Iran une arme de non-emploi dont le but ultime est de « couvrir une politique étrangère », comme le disait le général de Gaulle. 

L’Iran a la grande culture historique d’un Etat près de trois fois millénaire ; l’Iran et l’Empire Ottoman, en 1914, étaient tous les deux dans un état de décrépitude complète, et l’Iran, coincé entre les empires russe et britannique, aurait pu connaitre le même sort que l’Empire Ottoman. D’autre part, tous les dirigeants iraniens depuis 1941, quel que soit le régime, savent que l’Iran n’aurait jamais été envahi par les Alliés en 1941 ni le Premier ministre nationaliste Mossadegh renversé par la CIA et le MI-6 en 1953, si les gouvernements iraniens en place avaient disposé de ce système d’armes. 

Enfin, les Iraniens ont tous compris que tous les Etats qui ont acquis l’arme nucléaire depuis 1945, ont changé de statut aux yeux du reste du monde du jour où ils en ont disposé, même si le développement économique du pays reste faible : la Corée du Nord et le Pakistan en sont la preuve ; tel est le premier objectif de l’Iran.

2) Assurer la pérennité du régime islamique contre l’Occident 

Depuis la crise des otages américains de 1979/81, qui heurta toutes les traditions diplomatiques unanimement respectées dans le monde depuis le 15ème siècle, tous les dirigeants iraniens sont parfaitement conscients du rejet total de l’Occident envers leur régime : le soutien occidental pendant 8 ans à l’Irak, principalement américain avec de l’armement français et de l’argent des pétromonarchies, en est la preuve. Le deuxième objectif de l’Iran est donc d’éviter aux Mollahs de subir le sort de Saddam Hussein ou de Kadhafi.

Dans le contexte actuel, on voit mal un président américain, même Donald Trump, s’il était réélu en 2024, se lancer dans une aventure militaire comme Bush junior en 2003 contre l’Irak ; la négociation directe engagée par Trump avec le leader nord-coréen Kim-Jong il, même si elle a échoué, est la preuve que les USA ne tenteront jamais d’attaquer directement une puissance nucléaire.

3) Assurer l’hégémonie iranienne dans le Golfe Persique

En engageant la Guerre du Golfe (1990/91) les USA et l’Occident ont montré l’importance géopolitique de cette région, qui fournit les 2/3 du pétrole mondial. Or, depuis Obama, les USA montrent leur volonté de désengagement du Proche-Orient, même si cela reste difficile en pratique. 

La bombe iranienne est donc dirigée uniquement contre ceux qui s’opposent à cette « hégémonie de remplacement », c’est à dire contre les États-Unis, pour qu’ils se retirent rapidement et, surtout contre les pays arabes- sauf la Syrie-, pour qu’ils acceptent cette substitution d’hégémonie.

Compte tenu de la nature de ce système d’armes, il s’agit pour l’Iran de montrer sa force et d’imposer sa volonté ; pour cela, l’Iran développe une rhétorique très violente contre Israël, pour avoir le soutien des opinions publiques arabes contre leurs gouvernements mis ainsi en porte-à-faux et n’osant pas trop critiquer l’Iran. 

Les pétromonarchies du Golfe, y compris l’Arabie Saoudite, ne survivent que grâce à la garantie de sécurité américaine et sont très inquiètes d’un retrait américain à cause de la faiblesse de leurs appareils d’Etat : l’actuelle guerre du Yémen où est empêtrée l’Arabie le montre clairement. C’est pourquoi les Emirats Arabes Unis ont demandé à la France d’installer une base militaire sur leur territoire ; le but est de ne plus dépendre exclusivement de la garantie américaine.

Tel est le troisième objectif de l’Iran. Israël ne sert que de « chiffon rouge » pour dissimuler ce véritable objectif

B) Quel est le véritable objectif d’Israël ? 

1) Détourner l’attention de l’opinion publique occidentale

Tout d’abord, Israël n’a rien à craindre de l’Iran, même doté d’une arme nucléaire. En effet, si l’Iran l’utilisait contre Israël, deux heures après, l’Iran n’existerait plus. D’autre part, Israël et l’Iran n’ont pas de frontière commune ; le soutien apporté aux Hezbollah libanais et au régime de Bachar el Assad en Syrie n’est pas pour détruire Israël, mais pour faire pression afin d’atteindre les véritables objectifs de l’Iran : l’hégémonie dans le Golfe ; l’Iran sait parfaitement qu’il ne peut pas dominer complètement la Syrie et le Liban. 

Le véritable objectif israélien est de bloquer, au nom et au prétexte de sa sécurité, toute négociation avec les Palestiniens pour la constitution d’un Etat viable ; la crise nucléaire iranienne remplit parfaitement son rôle de détournement de l’attention de l’opinion occidentale. 

Il faut avouer que les Palestiniens, entre le Hamas à Gaza qui lance des missiles sur Israël et Mahmoud Abbas qui maintient des positions maximalistes, notamment sur le retour des réfugiés de 1948, offrent une position confortable à Israël pour bloquer toute solution.

2) Détourner l’attention de l’opinion publique intérieure

Le second objectif est propre au premier ministre Netanyahou lui-même : tout d’abord, il a besoin du soutien des partis extrémistes religieux pour constituer une majorité à la Knesset, même s’il n’a pas l’intention de faire la guerre à l’Iran pour autant. D’autre part, menacé par une procédure judiciaire pour corruption passive qui pourrait conduire à sa destitution et son emprisonnement, Netanyahou a tout intérêt à rassembler son opinion publique nationaliste contre l’Iran et à se faire oublier !

C) Quelle solution ?

1) L’improbabilité d’une guerre

Pour la première fois depuis la création de l’Etat d’Israël, trois anciens chefs du Mossad ont publiquement pris position contre toute attaque préventive contre l’Iran. Jamais depuis 1948 les responsables de la sécurité d’Israël n’avaient dérogé à ce pont à leur devoir de réserve ! 

En effet, les Iraniens ont à la fois dispersé, enterré et protégé leurs installations nucléaires, ce qui rendrait très aléatoire tout bombardement avec des armes conventionnelles, n’empêcherait pas la poursuite du programme nucléaire et rendrait certaines des représailles par missiles balistiques contre Israël.

2) le « Compromis japonais » 

La solution pourrait être d’aller vers un « compromis japonais ». Depuis les années 60, le Japon peut mettre en place une arme nucléaire opérationnelle en moins d’un an, ce qu’il ne fait pas, tant qu’il bénéficie de la garantie nucléaire des USA. Beaucoup d’Etats européens ou asiatiques (Corée du Sud, Taïwan, Australie) n’en sont pas très loin non plus. 

Tout accord des Occidentaux avec l’Iran devra tenir compte du savoir-faire nucléaire iranien acquis depuis la rupture de 2018 ; en effet, l’accord nucléaire de 2015, dit JCPOA, plafonnait le taux d’enrichissement de l’uranium par l’industrie iranienne à 3,5%, niveau suffisant pour produire de l’électricité par une centrale nucléaire. Or les Iraniens ont appris à enrichir l’uranium jusqu’à 60%, ce qui n’a aucune utilité industrielle, sauf dans le domaine militaire ; en effet, le plus dur est d’atteindre le seuil de 20% tandis que passer de 20% à 90% n’est pas difficile à partir de ce seuil. 

En conséquence, remettre le JCPOA en vigueur, tel qu’à l’origine, comme l’exige l’Iran, ou modifié, comme l’exigent les Occidentaux, mettrait l’Iran de toute façon au seuil nucléaire, ce qui le placera, de fait, dans le « compromis japonais ». C’est-à-dire qu’à tout moment, l’Iran sera susceptible de se doter rapidement d’une arme nucléaire…, sauf s’il se sent sécuritairement protégé par un parrainage militaire et stratégique d’importance. 

Ce rôle de stabilisateur stratégique pourrait être rempli par Pékin qui vient de conclure un accord de partenariat stratégique global de grande ampleur avec Téhéran et aurait tout intérêt, dans le cadre de sa rivalité globale avec Washington, mais aussi de la mise en œuvre de son pharaonique projet des Nouvelles Routes de la Soie, à couvrir de son aile protectrice et dissuasive un pays aussi géographiquement et économiquement essentiel que l’Iran. 

Paix impossible

Pour les raisons expliquées supra, on voit mal Israël changer d’attitude, même si le JCPOA revient en vigueur, ni l’Iran accepter le démantèlement total de toutes ses installations nucléaires, pour perdre son savoir-faire durement acquis.

Aussi, l’état d’extrême tension entre les protagonistes risque de perdurer et le rôle des Occidentaux sera de maintenir un équilibre toujours précaire pour préserver la paix.

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1 Comment

  1. Gerard Olivary

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    Vous semblez oubliez les raisons profondes du pacte sécuritaire signé entre l’Arabie Saoudie et les Etats Unis, vous semblez oublier aussi le projet du grand IIsael donc les raisons de l’affrontement Israel /Iran Syrie qui sont les seuls pays de la région à n’avoir pas reconnu Israel. Le premier ministre actuel d’Israël ne fait que poursuivre une politique qui date de la création de cet état et ne cesse de l’amplifier. La tentative de dégel des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudie qui ont été entamées au courant de la semaine dernière prouvent bien que sans ces intermédiaires belliqueux que sont les Etats Unis et son pendant Israel ou inversement , la paix entre ces deux pays Musulmans serait acquise et d’actualité depuis longtemps. L,’Iran n’a pas besoin de l’arme nucléaire qui d’ailleurs a été interdite par une fatwa lancée par Komheny. Vous devriez examiner la réponse de l’Iran aux Etats Unis suite à l’assassinat du Général Soleimani, vous devriez examiner la capture du drone RQ 170 Sentinel Américain par l’Iran pour comprendre les capacités militaires actuelles de ce pays.

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