Billet du lundi 20/04/2020 par Gérard Chesnel*
Il y a quelque 55 ans, Stanley Kubrick et le Docteur Folamour nous avaient appris à « aimer la bombe ». Pourraient-ils aujourd’hui nous faire aimer le virus ?
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas d’ignorer la douleur de ceux qui ont perdu des êtres chers ni la souffrance des milliers de malades qui, à cette heure, luttent avec courage. Il s’agit de tenter d’échapper à la dépression ou à la morosité que la durée de la menace et l’extension du confinement peuvent engendrer, et, pour cela, de positiver et de voir comment tirer le meilleur parti de cette catastrophe planétaire.
Nos stratèges ont déjà, j’en suis sûr, pris la mesure « en temps réel » de ce que pourrait être une guerre bactériologique, des conséquences de la paralysie qu’elle entraînerait dans tous les domaines nécessaires à notre défense. Cette répétition générale est déjà un bénéfice que nous pouvons enregistrer.
Autre avantage : la planète recommence à respirer. Et la récupération a été très rapide. Les dauphins ont tout de suite réapparu à Venise et les rorquals à Marseille. On voit de nouveau les Collines Parfumées depuis Pékin (peut-être même ont-elles retrouvé leurs parfums) et l’Himalaya depuis Katmandou. Un coronavirus qui facilite la respiration, ce n’est pas banal.
Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans la capacité de l’être humain à résister longuement à l’isolement et dans les transformations inévitables que cela entraîne. Nous sommes en fait capables de supporter bien plus que nous ne pourrions le croire. Il y a certes les isolements volontaires, ceux que s’imposent les ermites du mont Athos ou les ascètes indiens, ou, dans leur forme extrême, ceux des moines stylites, qui passaient leur vie au sommet d’une colonne. Plus difficiles à supporter sont les isolements imposés : celui des prisonniers, celui des familles juives qui, comme celle d’Anne Franck, restaient enfermées de longs mois voire des années dans un simple cagibi, et celui qu’on nous impose aujourd’hui.
Certes il y a des échappatoires, des fenêtres sur l’extérieur : les réseaux sociaux, la radio et la télévision et les quelques contacts que nous pouvons avoir en faisant nos courses. Mais il y a aussi de longues heures où, seuls avec nous-mêmes, nous avons l’occasion rare de réfléchir. Et de le faire de manière profonde, alors que la mort rôde autour de nous, qu’elle frappe au hasard tel ou tel ami, et qu’elle peut nous atteindre à tout moment. Nous ne savons ni le jour ni l’heure et cette réalité de toujours est plus sensible que jamais aujourd’hui. Profitons-en pour dédramatiser cette perspective inéluctable.
Ces problèmes eschatologiques sont le domaine privilégié des religions, soit qu’elles promettent une vie après la mort, comme le Christianisme ou l’Islam, soit qu’elles préconisent, comme le Bouddhisme, l’anéantissement définitif, c’est-à-dire la fin de toute douleur, physique ou morale. Pour ceux qui ne bénéficient pas, faute d’y croire, des secours de la religion, certaines philosophies peuvent aider à y voir plus clair. Ainsi, du temps de la Grèce antique, les Epicuriens faisaient remarquer que le mort ne saurait pas qu’il l’est, puisqu’il n’existerait plus. CQFD. Toute la douleur reposerait donc sur ses proches mais il serait, lui, débarrassé de tout souci.
Quoi qu’il en soit, cette période de réflexion nous rappelle que la mort fait partie intégrante de la vie et qu’il faut la prendre comme telle et s’habituer à cette idée, si ce n’est pas déjà le cas.
Revenons-en, de façon plus prosaïque, à nos préoccupations habituelles comme, par exemple, la Défense Nationale. Les militaires, quant à eux, sont formés à donner ou à recevoir la mort. En s’engageant dans la noble carrière des armes, ils font à l’avance le sacrifice de leur vie. Ils ne reculeront pas face à cette éventualité. Mais, ancien de l’IHEDN, j’ai bien compris que la défense d’un pays repose également sur la population civile, sa détermination et son courage. Rappelons à ce sujet l’attitude exemplaire des Anglais en 1940. C’est pourquoi il me paraît important de former également les civils à l’idée du sacrifice, et par conséquent de la mort. La troisième et la quatrième république s’étaient entièrement défaussées sur les cours d’instruction religieuse, dispensés le jeudi. Aujourd’hui, il n’y a plus de jeudis ; il n’y a plus que des mercredis après-midi, qui ont oublié la destination initiale des jeudis. Or il me semble plus important que jamais de rappeler les fondamentaux aux plus jeunes. Sous quelle forme ? Cela reste à voir. Les régimes autoritaires, comme la Chine ou la Corée du Nord, ont leurs organisations de jeunesse, qu’on ne peut pas leur envier. Chez nous, il reste bien le scoutisme, laïc ou religieux, mais il est loin de couvrir le spectre des besoins. Peut-être faudrait-il former nos enseignants à parler eux aussi de sujets souvent considérés comme tabous, sans attendre les classes terminales. En tout état de cause, il est important de ne pas laisser aux jeux vidéos ou à certains films le monopole de l’image de la mort qui, dans leur cas, ne peut être que violente et souvent amorale.
Voilà quelques pauvres réflexions favorisées par mon isolement. Somme toute, c’est une situation intéressante et je vais me laisser aller à aimer ce virus, même si lui ne nous aime pas.
*Gérard Chesnel, trésorier de Geopragma