Article rédigé par Renaud Girard, membre du Conseil d’orientation stratégique de Geopragma. Cet article a été publié pour la première fois par le site LeFigaro.fr le 02 septembre 2024.

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-la-faillite-securitaire-des-trois-juntes-saheliennes-20240902

Le samedi 31 août, des djihadistes ont tué plusieurs centaines de civils dans le village de Barsalogo. Une attaque terroriste qui met en lumière la flagrante faillite sécuritaire des trois juntes militaires sahéliennes.

Un terrible drame humain est survenu, le samedi 31 août 2024, au sein d’un gros village africain isolé, nommé Barsalogo, sans qu’on en ait beaucoup parlé dans l’univers mondialisé des informations télévisées.

Alors qu’ils étaient en train de creuser une tranchée sur l’ordre de leur gouvernement, quelque 300 paysans burkinabés ont été massacrés par un essaim de djihadistes, qui ont déboulé le matin, juchés à deux sur des motos tout-terrain – un pour conduire, l’autre pour rafaler. Cette tuerie s’est passée au nord du Burkina Faso, l’ancienne Haute-Volta, jadis partie de l’AOF (Afrique occidentale française), pays pauvre et enclavé, situé au sud de la bande sahélienne. Le massacre a été revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), filiale sahélienne d’al-Qaida. Est-ce parce que cette hécatombe ne touche que des Africains que les grands médias mondiaux ne lui ont accordé qu’un intérêt modéré ?

Une lourde décision

Au-delà du relativisme, parfois consternant, de l’émotion internationale, cette tragédie africaine met en lumière la flagrante faillite sécuritaire des trois juntes militaires sahéliennes, celles du Burkina Faso, du Mali et du Niger, après plus ou moins deux années au pouvoir.

Furieux d’avoir été critiqués par Paris pour avoir arraché le pouvoir par la force, les officiers putschistes ont rapidement pris la lourde décision de quitter le « G5 Sahel », organisation que la France avait mise en place pour les aider à lutter contre le djihadisme. Les militaires français ont donc quitté en 2023 le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ils n’étaient sans doute pas en nombre suffisant pour sécuriser un espace grand comme quatre fois la France, mais c’était sûrement mieux que rien.

La réalité est que, en expulsant les soldats français (et américains au Niger) qui faisaient de la lutte antiterroriste, les officiers putschistes de l’AES ont davantage servi leur ego que rendu service à leur population.

Les présidents de ces trois pays, tous officiers issus d’un coup d’État militaire, se sont réunis à Niamey le 6 juillet 2024. C’était le premier sommet de l’AES, l’Alliance des États du Sahel, une confédération nouvelle, à objectif d’abord sécuritaire, puis monétaire, organisée par ces trois pays en rupture de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).

Au sommet de Niamey, le président du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, a dénoncé les « simulacres d’indépendance octroyées aux États africains dans les années 1960 », suivis du « pillage des ressources naturelles et du terrorisme ». Il a ajouté que « le sens profond de la révolte » des trois membres de l’AES, ne visait qu’à « offrir à leurs États respectifs une vraie indépendance, et aux populations un réel épanouissement ».

En ce qui concerne l’« épanouissement » des populations, les élections libres et la liberté de la presse ont été supprimées du paysage des trois pays de l’AES. Bien pire, fréquentes sont les exécutions extrajudiciaires commises dans les villages peuls par les soldats de l’armée du Burkina. Sous prétexte que les mouvements terroristes islamistes ont beaucoup recruté parmi les 40 millions de Peuls qui nomadisent en Afrique sahélienne et centrale, l’armée du capitaine Traoré se venge contre des villages peuls, souvent parfaitement innocents.

Servir son ego

En ce qui concerne la « vraie indépendance » recherchée, on ne voit pas en quoi l’inféodation à Moscou et l’arrivée de mercenaires russes de la société Wagner pourraient la nourrir. Dans la lutte contre les djihadistes, ces mercenaires ne se sont pas révélés très efficaces. Plus de 50 combattants de Wagner ont été tués le 28 juillet 2024 lorsqu’ils sont tombés dans une embuscade au nord du Mali, dans la région de Tin Zaouatine.

En ce qui concerne le « pillage des ressources naturelles » évoqué par le capitaine Traoré, on ne voit pas très bien ce qu’il y aurait à « piller » au Burkina Faso ou au Mali. Quid de l’uranium du Niger ? Cela fait des lustres que la société française Orano a diversifié ses approvisionnements, achetant aujourd’hui la majorité de son combustible nucléaire en Asie centrale. Il ne viendrait à l’idée de personne d’imputer à la France un quelconque « pillage » des anciennes Républiques soviétiques d’Asie centrale, comme le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan.

La réalité est que, en expulsant les soldats français (et américains au Niger) qui faisaient de la lutte antiterroriste, les officiers putschistes de l’AES ont davantage servi leur ego que rendu service à leur population. S’ils se retirent du franc CFA, comme ils l’ont annoncé, cela allégera les charges du Trésor français, tout en appauvrissant la population de leur nouvelle confédération (en tout 75 millions d’âmes, avec un taux d’accroissement annuel de la population supérieur à 3 %). Dans sa critique des Occidentaux, le capitaine Traoré leur a également reproché d’avoir apporté le terrorisme au Sahel. Sur ce point, on ne peut hélas pas totalement lui donner tort.

En 2003, en versant des rançons pour libérer leurs touristes pris en otages au Sahara par des groupes criminels, l’Italie et l’Allemagne leur ont permis d’acheter de l’armement de guerre, et donc de croître en influence locale. Les Occidentaux ont mis très longtemps à comprendre que céder au chantage d’un groupe terroriste finissait toujours par le renforcer.

Mais la pire faute occidentale fut l’intervention militaire de 2011 de l’Otan, menée à l’initiative du président Sarkozy, pour abattre le régime libyen du colonel Kadhafi. Le dictateur fut tué, tous ses stocks d’armes furent pillés, et le chaos se répandit, d’abord sur le territoire libyen, ensuite dans l’ensemble du Sahel. Après m’être rendu sur place et avoir traversé la Libye de bout en bout, j’avais, dans Le Figaro, qualifié à l’époque cette expédition néoconservatrice de « pire erreur de politique étrangère de la Ve République ». Je n’ai pas changé d’avis depuis.

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2 comments

  1. Pierre ESCLAFIT

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    Certes pire erreur de politique étrangère, mais peut on parler d’erreur lorsqu’il s’agit de mettre le résultat d’un référendum au panier ? Je parlera là de faute.

  2. Bernard CORNUT

    Répondre

    Sarkozy responsable de la « pire erreur de politique étrangère de la Ve République », il court toujours impuni, comme G.W; Bush et Tony Blair. L’autre cause de création et d’entretien des gangs mafieux au Sahel est la contrebande des carburants, qui coutent moins de 0,20€/litre dans les pays pétroliers Algérie, Libye, Soudan (du nord) et plus de 1,10€/l dans les pays du Sahel. Cette vieille mère des contrebandes génère celle des drogues, des armes, des migrants, et la violence et la guerre, après avoir établi la corruption des frontières aux sommets.

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