{"id":772,"date":"2019-05-20T11:14:04","date_gmt":"2019-05-20T09:14:04","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=772"},"modified":"2021-09-21T14:55:09","modified_gmt":"2021-09-21T12:55:09","slug":"europe-de-la-strategie-du-cabri-a-celle-du-castor","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/europe-de-la-strategie-du-cabri-a-celle-du-castor\/","title":{"rendered":"A. Feertchak : \u00ab\u00a0Europe\u00a0: de la strat\u00e9gie du cabri \u00e0 celle du castor\u00a0\u00bb"},"content":{"rendered":"
Le Billet du Lundi du 20\/05\/2019, par Alexis Feertchak*<\/strong><\/p>\n Il fut une \u00e9poque pas si lointaine o\u00f9, pour paraphraser de Gaulle, l\u2019on sautait sur sa chaise comme un cabri en disant l\u2019Europe, l\u2019Europe, l\u2019Europe ! Du temps de sa superbe, Emmanuel Macron s\u2019est lui-m\u00eame frott\u00e9 \u00e0 l\u2019exercice. Il cabriola ainsi \u00e0 la Sorbonne, puis \u00e0 Ath\u00e8nes et enfin \u00e0 Aix-la-Chapelle lors de ses trois discours sur l\u2019Europe. Mais, \u00ab en m\u00eame temps \u00bb oblige, il ajouta \u00e0 ses appels le mot de \u00ab souverainet\u00e9 \u00bb. Trouvaille rh\u00e9torique habile qui consistait \u00e0 piquer le mot de ses adversaires pour le retourner contre eux. Certes, la formule n\u2019\u00e9tait pas d\u00e9finie, mais elle \u00e9tait du plus bel effet. La Chine et les Etats-Unis pouvaient trembler devant tant d\u2019audace. Les Europ\u00e9ens allaient retrouver le chemin du \u00ab r\u00eave carolingien \u00bb \u2013 \u00e0 vous de deviner qui devait jouer le r\u00f4le de Charlemagne\u2026 \u2013 pour tourner la page de la \u00ab division lotharingienne \u00bb. L\u00e0 encore, belle trouvaille stylistique. Que notre Constitution consid\u00e9r\u00e2t que la souverainet\u00e9 appartient en bloc \u00e0 la nation et que l\u2019on retrouv\u00e2t une telle id\u00e9e dans chaque Etat-nation qui compose l\u2019Union europ\u00e9enne n\u2019\u00e9tait qu\u2019un argument de souverainiste grognon, tout recroquevill\u00e9 sur lui-m\u00eame. Autant laisser de telles pens\u00e9es constitutionnelles mais naus\u00e9abondes aux h\u00e9ritiers de l\u2019arri\u00e8re-petit-fils de Charlemagne, Lothaire 1<\/span>er<\/sup><\/span>. <\/span><\/p>\n Et pourtant, la jolie description que De Gaulle fit des d\u00e9fenseurs b\u00e9ats de \u00ab l\u2019Europe, l\u2019Europe, l\u2019Europe \u00bb a vieilli. Ceux qui sautent r\u00e9ellement sur leur chaise comme un cabri se font rares depuis le soir du 29 mai 2005. Ce jour-l\u00e0, le r\u00e9f\u00e9rendum imperdable fut perdu. Il fallait de toute urgence trouver une nouvelle strat\u00e9gie. Ce fut celle du castor. Dire \u00ab l\u2019Europe, l\u2019Europe, l\u2019Europe \u00bb n\u2019avait visiblement pas suffi \u00e0 cr\u00e9er un \u00ab peuple europ\u00e9en \u00bb. Au contraire, d\u00e9sormais, ceux qui crient \u00ab l\u2019Europe, l\u2019Europe, l\u2019Europe \u00bb le font avec un brin d\u2019agressivit\u00e9 dans la voix. Ils appartiennent \u00e0 la cat\u00e9gorie des \u00ab europhobes \u00bb, exprimant dans la r\u00e9p\u00e9tition du mot magique leur rejet radical de la \u00ab commission europ\u00e9enne \u00bb qui d\u00e9cide de la taille, de la couleur, et de la texture de nos fruits et l\u00e9gumes, mais qui n\u2019emp\u00eache pas les plus fortun\u00e9s des citoyens europ\u00e9ens de jouer \u00e0 fond la carte de la concurrence fiscale pour payer moins d\u2019imp\u00f4ts. Il fallait donc se faire plus discret, construire de hauts barrages pour emp\u00eacher la vague souverainiste de tout emporter et attendre discr\u00e8tement que la temp\u00eate passe. <\/span><\/p>\n Le castor europ\u00e9en ne r\u00eave pas. Il n\u2019est plus question de promouvoir l\u2019id\u00e9al europ\u00e9en, en tout cas en direction de l\u2019avenir. En direction du pass\u00e9 en revanche \u2013 avec le fameux \u00ab L\u2019Europe, c\u2019est la paix \u00bb \u2013 le cabri fait de la r\u00e9sistance. C\u2019est l\u2019argument ultime quand la digue du castor menace de tomber. Mais, hormis cette arme de dernier recours, ne parlons pas trop d\u2019Europe. C\u2019est tabou. Ce fut globalement, d\u00e9j\u00e0, la strat\u00e9gie de Fran\u00e7ois Hollande qui n\u2019a pas brill\u00e9 par sa strat\u00e9gie europ\u00e9enne, m\u00eame s\u2019il eut l\u2019audace, candidat, d\u2019annoncer qu\u2019il ren\u00e9gocierait le Pacte budg\u00e9taire europ\u00e9en. Mais il ne le fit pas. Une strat\u00e9gie qui convint \u00e0 la chanceli\u00e8re allemande, Angela Merkel, qui pr\u00e9f\u00e8re laisser les sauts de cabri aux Fran\u00e7ais pendant qu\u2019elle gouverne avec la prudence d\u2019un castor. <\/span><\/span><\/p>\n Justement, Angela Merkel vit venir Emmanuel Macron avec inqui\u00e9tude. Il suffisait de l\u2019entendre s\u2019\u00e9poumoner en criant \u00ab C\u2019est notre projet \u00bb pour comprendre que le pr\u00e9sident fran\u00e7ais n\u2019allait pas tarder \u00e0 cabrioler. Ce qui ne manqua pas. Emmanuel Macron partit au combat pour la refondation de l\u2019Europe. Un, deux, trois discours et puis ce fut tout. Les dirigeants europ\u00e9ens virent le pr\u00e9sident fran\u00e7ais se prendre les pieds dans le tapis face \u00e0 \u00ab Jojo le gilet jaune \u00bb. La France est ingouvernable et il voudrait s\u2019occuper de l\u2019Europe ?, maugr\u00e9ent aujourd\u2019hui ses acolytes du Conseil europ\u00e9en. Plus encore, il fallait d\u2019urgence passer la strat\u00e9gie du castor \u00e0 son niveau maximal en raison de ces f\u00e9lons d\u2019Anglais. Un Etat membre avait franchi le pas de trop en juin 2016 en ouvrant la longue liste des mots en \u00abexit\u00bb. Le meilleur des castors, Michel Barnier, fut envoy\u00e9 monter la digue. Durant la Guerre froide, on aurait parl\u00e9 de politique de \u00ab containment \u00bb pour \u00e9viter un effet domino. Theresa May s\u2019y casse encore les dents.<\/span><\/p>\n <\/p>\n Une autre raison n\u00e9cessitait que la strat\u00e9gie du castor repr\u00eet son cours. Les \u00e9lections europ\u00e9ennes arrivaient ! Or, paradoxe \u00e9tonnant : on parle tout le temps d\u2019Europe, sauf pendant les \u00e9lections europ\u00e9ennes. Les f\u00e9d\u00e9ralistes ont fait long feu depuis longtemps. Ceux qui souhaitent pousser plus loin l\u2019int\u00e9gration europ\u00e9enne ont compris qu\u2019il ne fallait pas trop s\u2019en vanter. D\u2019autant que le prochain stade de cette int\u00e9gration passe logiquement par la cr\u00e9ation, au moins au niveau de la zone euro, d\u2019un budget europ\u00e9en digne de ce nom. Pour les Allemands, c\u2019est une impossibilit\u00e9 cat\u00e9gorique. Qu\u2019une part du PIB germanique renfloue la Gr\u00e8ce n\u2019est pas envisageable. L\u2019int\u00e9gration ne peut donc se faire que par la rigueur budg\u00e9taire, qui ne fait gu\u00e8re r\u00eaver par temps d\u2019\u00e9lections. Nathalie Loiseau, tout \u00e0 son \u00abblitzkrieg\u00bb \u00e9lectoral, s\u2019att\u00e8le donc \u00e0 l\u2019autre versant de la strat\u00e9gie du \u00ab castor \u00bb. Comme il ne faut pas parler d\u2019Europe mais qu\u2019il faut bien dire quelque chose, on crie au nationalisme. Et si le point Godwin n\u2019est plus tr\u00e8s \u00e0 la mode, on a heureusement trouv\u00e9 une m\u00e9thode beaucoup plus efficace, car d\u2019actualit\u00e9. Il s\u2019agit en plus de la seule th\u00e9orie du complot qui passe en dessous des radars de la loi anti-Fake News. C\u2019est bien s\u00fbr le complot russe. Vladimir Poutine est partout. Avec cette strat\u00e9gie, la digue devrait r\u00e9sister. Les \u00ab nationalistes \u00bb ne prendront pas le contr\u00f4le du Parlement. <\/span><\/p>\n Dans un retournement ironique de l\u2019histoire, les \u00ab nationalistes \u00bb, qui ont compris dans les ann\u00e9es 1990 que la strat\u00e9gie souverainiste du castor ne fonctionnait pas pour emp\u00eacher les Etats-nations d\u2019\u00eatre grignot\u00e9s par l\u2019Union europ\u00e9enne, ont d\u00e9cid\u00e9 de tenter, \u00e0 fronts renvers\u00e9s, celle du cabri. Voici Salvini et Le Pen qui crient \u00ab Europe, Europe, Europe \u00bb pour vendre leur projet d\u2019Europe des nations. Les \u00e9l\u00e9ments rh\u00e9toriques s\u2019encha\u00eenent. On parle d\u2019Europe des coop\u00e9rations \u00e0 la carte. On vante le mod\u00e8le intergouvernemental d\u2019Airbus. On vante la souverainet\u00e9 retrouv\u00e9e. On assure que l\u2019on peut d\u00e9sormais changer l\u2019Europe de l\u2019int\u00e9rieur puisque Salvini et consorts ont pris le pouvoir. <\/span><\/p>\n Cette strat\u00e9gie invers\u00e9e du cabri n\u2019est qu\u2019un leurre. De m\u00eame que l\u2019on r\u00e9p\u00e9tait comme un mantra le mot d\u2019Europe dans les ann\u00e9es 1990 en r\u00eavant d\u2019un continent Erasmus, le camp nationaliste parle beaucoup d\u2019Europe, mais ne pr\u00e9cise jamais comment ils veulent r\u00e9former l\u2019Union europ\u00e9enne. Nous aurons suffisamment de d\u00e9put\u00e9s pour faire bouger les lignes au Parlement europ\u00e9en, annonce fi\u00e8rement la t\u00eate de liste RN, Jordan Bardella. Mais quand on lui r\u00e9plique que les orientations strat\u00e9giques (dont la r\u00e9vision des trait\u00e9s) se d\u00e9cident au niveau du Conseil europ\u00e9en (r\u00e9union des chefs d\u2019Etat et de gouvernement) \u00e0 l\u2019unanimit\u00e9, le jeune frontiste se tait et passe \u00e0 un autre sujet. <\/span><\/p>\n C<\/span>abris et castors se regardent en chiens de fa\u00efen<\/span>ce. Dans le d\u00e9bat des \u00e9lections europ\u00e9ennes, aucun des deux camps mis en avant \u2013 \u00ab progressistes \u00bb et \u00ab nationalistes \u00bb pour les uns, \u00ab mondialistes \u00bb et \u00ab patriotes \u00bb pour les autres \u2013 n\u2019a de solution \u00e0 la r\u00e9forme de la gouvernance europ\u00e9enne. Comme \u00e0 chaque \u00e9lection, les citoyens ne sont pas dupes. Et, plus qu\u2019\u00e0 toute \u00e9lection, ce sera le camp de l\u2019abstention qui l\u2019emportera largement. L\u2019Europe a avanc\u00e9 trop longtemps sans le dire. A force de creuser l\u2019\u00e9cart entre le <\/span>registre de l\u2019action et celui de sa l\u00e9gitimation, elle se retrouve bloqu\u00e9e. Ce seront de nouveau des \u00e9lections qui ne serviront \u00e0 rien, sauf \u00e0 confirmer une fois de plus qu\u2019au clivage entre la gauche et la droite s\u2019ajoute un nouveau clivage entre les heureux de la mondialisation, qui ne jurent que par l\u2019ouverture, et les malheureux, qui voudraient des digues pour les prot\u00e9ger de la pauvret\u00e9, du ch\u00f4mage, de l\u2019ins\u00e9curit\u00e9 et des grandes menaces politiques, id\u00e9ologiques et climatiques qui p\u00e8sent sur notre continent. Mais plut\u00f4t que de construire de tels murs et faire \u00e0 cet \u00e9gard une Europe r\u00e9aliste, nos castors pr\u00e9f\u00e8rent construire de tels murs \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur m\u00eame de nos pays en montant les citoyens les uns contre les autres.<\/p>\n *Alexis Feertchak, membre fondateur de Geopragma <\/strong><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Le Billet du Lundi du 20\/05\/2019, par Alexis Feertchak* Il fut une \u00e9poque pas si lointaine o\u00f9, pour paraphraser de Gaulle, l\u2019on sautait sur sa chaise comme un cabri en disant l\u2019Europe, l\u2019Europe, l\u2019Europe ! Du temps de sa superbe, Emmanuel Macron s\u2019est lui-m\u00eame frott\u00e9 \u00e0 l\u2019exercice. 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