{"id":374,"date":"2019-01-17T18:39:01","date_gmt":"2019-01-17T17:39:01","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=374"},"modified":"2021-09-21T15:42:00","modified_gmt":"2021-09-21T13:42:00","slug":"geopoly-lcdr-engagement-francais-en-syrie-le-coup-de-sifflet-americain-par-caroline-galacteros-15-01-2019","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/geopoly-lcdr-engagement-francais-en-syrie-le-coup-de-sifflet-americain-par-caroline-galacteros-15-01-2019\/","title":{"rendered":"[Geopoly\/LCDR] \u00abEngagement fran\u00e7ais en Syrie : Le coup de sifflet am\u00e9ricain\u00bb par Caroline Galact\u00e9ros"},"content":{"rendered":"
On est loin d\u2019un renoncement de Washington \u00e0 compter au Moyen-Orient, o\u00f9 stationnent tout de m\u00eame encore plusieurs dizaines de milliers de soldats am\u00e9ricains. Toutefois, le retrait partiel r\u00e9cemment annonc\u00e9 des forces am\u00e9ricaines pr\u00e9sentes en Syrie, qu\u2019il se concr\u00e9tise ou non, place la France en grande difficult\u00e9 politique et militaire. Il est vrai que ce n\u2019est pas notre action militaire qui pourra \u2012 demain plus qu\u2019hier \u2012 faire militairement bouger les lignes en d\u00e9faveur d\u2019un pouvoir syrien travaillant \u00e0 consolider la reprise de contr\u00f4le d\u2019une frange croissante de son territoire. Il est vrai aussi que l\u2019intrication op\u00e9rationnelle de notre dispositif militaire avec celui de notre Grand Alli\u00e9 rend notre maintien en Syrie d\u2019autant plus difficile, sans son appui logistique, qu\u2019on ne nous y a nullement invit\u00e9s et que nous y sommes parfaitement hors la loi, en contravention ouverte \u00e0 la Charte des Nations unies, au sein d\u2019une \u00ab coalition internationale \u00bb sui generis <\/em>intervenant, hormis pour r\u00e9duire l\u2019emprise de Daech, pour des motivations discutables et discut\u00e9es.<\/p>\n \u00ab En m\u00eame temps \u00bb, partir au coup de sifflet am\u00e9ricain manifesterait encore plus clairement notre position d\u2019ex\u00e9cutant devenu accessoire d\u2019une volont\u00e9 am\u00e9ricaine fluctuante, qui a si peu de consid\u00e9ration pour ses suppl\u00e9tifs qu\u2019elle n\u2019a pas m\u00eame pris la peine de pr\u00e9venir Paris de cette d\u00e9solidarisation soudaine. L\u2019humiliation serait d\u00e9finitive et double, inflig\u00e9e par nos alli\u00e9s et face \u00e0 ceux que nous consid\u00e9rons, dans un mim\u00e9tisme inqui\u00e9tant, comme nos adversaires, presque comme des ennemis.<\/p>\n C\u2019est face \u00e0 ce pi\u00e8ge que les sommets d\u2019inanit\u00e9 et d\u2019incoh\u00e9rence d\u2019une politique \u00e9trang\u00e8re fran\u00e7aise inaudible et incompr\u00e9hensible s\u2019imposent tel un totem diabolique \u00e0 d\u00e9construire d\u2019urgence en retrouvant le sens des responsabilit\u00e9s et de l\u2019int\u00e9r\u00eat national.<\/p>\n Le probl\u00e8me est qu\u2019\u00e0 Paris, apr\u00e8s pourtant plus de trois ans de d\u00e9menti cinglant de nos pr\u00e9misses iniques, on ne veut toujours pas regarder la r\u00e9alit\u00e9 en face. On pr\u00e9f\u00e8re toujours la guerre \u00e0 la paix, m\u00eame si l\u2019on pr\u00e9tend bruyamment le contraire. On ne voit pas l\u2019int\u00e9r\u00eat de prendre acte de la victoire de la souverainet\u00e9 syrienne sur les efforts ligu\u00e9s de l\u2019Occident entier et de ses proxies<\/em> arabes (\u00e0 moins que ce ne soit l\u2019inverse). Ni comprendre qu\u2019il est de notre int\u00e9r\u00eat, toute honte bue et dans un \u00e9clair d\u2019\u00e9thique et de lucidit\u00e9, pour la sauvegarde du peuple syrien pr\u00e9cis\u00e9ment \u2012 dont nous pr\u00e9tendons avoir le souci \u2012 de prot\u00e9ger enfin le fragile \u00e9quilibre ethnique et confessionnel ab\u00eem\u00e9 par sept ans de conflit mais toujours en vie, et de faciliter une solution politique r\u00e9aliste et non dogmatique ; m\u00eame, et surtout, si l\u2019on a voulu le mettre \u00e0 bas avec une confondante l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 d\u00e8s 2011, en favorisant la d\u00e9stabilisation du r\u00e9gime et l\u2019infestation du territoire syrien par une engeance islamiste qui est pourtant le terreau symbolique et concret d\u2019une terreur domestique toujours en embuscade.<\/p>\n Pourquoi, alors, persistons-nous \u00e0 vouer aux g\u00e9monies un pouvoir syrien certes pouss\u00e9 \u00e0 une r\u00e9sistance violente, quand, d\u00e9sormais, certaines puissances arabes sunnites elles-m\u00eames, tels les \u00c9mirats arabes unis, l\u2019\u00c9gypte, le Soudan ou la Jordanie (sans parler du Qatar) prennent le chemin de Damas comme on va \u00e0 Canossa, dans un tournant r\u00e9aliste assum\u00e9, pr\u00e9f\u00e9rant glaner quelques retomb\u00e9es dans un r\u00e8glement politique qui leur sera probablement globalement d\u00e9favorable plut\u00f4t que de s\u2019enferrer dans une marginalisation r\u00e9gionale dangereuse ? Pour ne pas nous d\u00e9dire ? L\u2019ent\u00eatement dans l\u2019erreur est bien pire que l\u2019aveu. Et l\u2019ignorance doubl\u00e9e d\u2019une vanit\u00e9 ind\u00e9crottable devient impardonnable. Perseverare diabolicum est.<\/em><\/p>\n Encore quelques mois de ce sur-place diplomatique incompr\u00e9hensible et nous aurons d\u00e9finitivement rat\u00e9 une derni\u00e8re opportunit\u00e9 \u2012 pr\u00e9cis\u00e9ment parce que nous sommes encore militairement en Syrie, \u00e0 tort ou \u00e0 raison, parce que nous en sommes l\u2019ex-puissance mandataire, parce que nos relations avec le Liban et la Jordanie sont encore bonnes \u2012 de raccrocher les wagons d\u2019un processus de r\u00e8glement politique tr\u00e8s d\u00e9licat et dangereux, o\u00f9 nous pourrions, certes \u00e0 la marge, avoir un r\u00f4le d\u2019apaisement et de m\u00e9diation pr\u00e9cieux\u2026 non pas entre Syriens et Am\u00e9ricains, mais entre Moscou et Washington.<\/p>\n On me r\u00e9torquera que je r\u00eave \u00e9veill\u00e9e, que c\u2019est fini pour nous, que nous avons m\u00e9thodiquement g\u00e2ch\u00e9 toutes nos cartes, que Damas ne veut plus entendre parler de ces Fran\u00e7ais qui donnent des le\u00e7ons de morale et soutiennent l\u2019ennemi, que Moscou n\u2019a aucunement besoin de nous pour parler \u00e0 Washington, m\u00eame avec John Bolton pour savonner la planche du pr\u00e9sident Trump, lequel, une fois encore, vient d\u2019\u00eatre contredit de l\u2019int\u00e9rieur alors qu\u2019il prenait une d\u00e9cision pourtant pragmatique et r\u00e9aliste.<\/p>\n Les derni\u00e8res d\u00e9clarations du chef du conseil de s\u00e9curit\u00e9 nationale (NSC) et du secr\u00e9taire d\u2019\u00c9tat Mike Pompeo sont, en effet, tout sauf rassurantes pour la paix de la r\u00e9gion. L\u2019un et l\u2019autre d\u00e9savouent publiquement, sans vergogne, le pr\u00e9sident. Leur duo ultraviolent sur les th\u00e8mes de l\u2019Iran, bient\u00f4t bout\u00e9 hors de Syrie, et d\u2019une Am\u00e9rique ayant r\u00e9duit l\u2019abc\u00e8s Daech et dont le d\u00e9part signifierait le chaos, peut para\u00eetre d\u00e9lirant tant il est hors-sol. Il traduit n\u00e9anmoins une dangereuse obsession et incarne la capacit\u00e9 de nuisance \u00e0 la paix de l\u2019\u00c9tat profond am\u00e9ricain \u2012 plus mobilis\u00e9 que jamais pour faire vivre ses juteuses utopies conspirationnistes \u2012 et la puissance des r\u00e9seaux n\u00e9oconservateurs qui environnent fermement le pr\u00e9sident trublion et feront tout pour que rien ne change jamais dans la politique am\u00e9ricaine.<\/p>\n Donald Trump a pourtant bien compris que les jeux \u00e9taient faits en Syrie et que Moscou avait remport\u00e9 la partie. Le pr\u00e9sident estime en cons\u00e9quence possible de se retirer du th\u00e9\u00e2tre syrien pour \u00e9viter que ne se consolide l\u2019axe Moscou-T\u00e9h\u00e9ran-Ankara-Doha. Les Kurdes en seront pour leurs frais et leurs espoirs, il les abandonne en effet \u00e0 la fureur d\u2019Ankara apr\u00e8s s\u2019en \u00eatre amplement servi. C\u2019est le sort des proxies<\/em> quand la roue tourne. Mutatis mutandis<\/em>, c\u2019est d\u2019ailleurs un peu le n\u00f4tre\u2026 Les malheureux Kurdes demandent d\u00e9sormais de l\u2019aide \u00e0 Damas et Moscou. Au-del\u00e0 de ces p\u00e9rip\u00e9ties mont\u00e9es en \u00e9pingle, ce que l\u2019on refuse de voir, au Moyen-Orient comme face \u00e0 la Chine, c\u2019est que la Russie est encore (depuis toujours en fait) un rempart s\u00e9curitaire et culturel pour l\u2019Occident ; car P\u00e9kin aussi, \u00e0 sa mani\u00e8re discr\u00e8te mais d\u00e9termin\u00e9e, place des hommes, des conseilleurs, des facilitateurs dans cette zone, dans la perspective d\u2019un immense et permanent marchandage de zones d\u2019influence et d\u2019une confrontation tous azimuts avec l\u2019autre empire en d\u00e9clin.<\/p>\n Les Europ\u00e9ens sont furieux de devoir admettre ce r\u00f4le protecteur multis\u00e9culaire de la Russie et refusent d\u2019en tirer les cons\u00e9quences. Ils pr\u00e9f\u00e8rent consentir \u00e0 la division interne, au suicide collectif et au double d\u00e9p\u00e8cement qui les attend \u00e0 coup s\u00fbr, lorsque Am\u00e9ricains et Chinois se partageront leurs d\u00e9pouilles. Ils ferment courageusement les yeux pour ne pas voir la bascule du monde qui s\u2019acc\u00e9l\u00e8re et dont le r\u00eave europ\u00e9en, malmen\u00e9 par l\u2019ir\u00e9nisme de ses dirigeants, sera le principal dommage collat\u00e9ral. Rien n\u2019est encore perdu, pourtant ! L\u2019on vient d\u2019apprendre que Moscou avait achet\u00e9, il y a six mois, le quart des r\u00e9serves mondiales de yuans, en d\u00e9pla\u00e7ant plus de cent milliards de dollars vers cette monnaie mais aussi vers le yen et\u2026l\u2019euro ! La Russie traduit en actes sonnants et tr\u00e9buchants sa double nature europ\u00e9enne et asiatique, et prend ses paris sur l\u2019\u00e9volution des rapports de force mondiaux. Qu\u2019attendons-nous pour lever les sanctions qui la frappent et p\u00e9nalisent durement l\u2019\u00e9conomie europ\u00e9enne sous le pr\u00e9texte d\u2019une hostilit\u00e9 entretenue artificiellement et nourrie par le discours am\u00e9ricain ? Se tromper d\u2019ennemi peut s\u2019expliquer pour Washington. Mais pour l\u2019Europe, et plus encore pour la France dans sa qu\u00eate d\u2019une pr\u00e9s\u00e9ance continentale, c\u2019est une faute politique, strat\u00e9gique et culturelle grave.<\/p>\n