{"id":360,"date":"2019-01-07T20:18:09","date_gmt":"2019-01-07T19:18:09","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=360"},"modified":"2021-09-21T15:43:32","modified_gmt":"2021-09-21T13:43:32","slug":"nouveau-le-billet-du-lundi-les-pays-arabes-sur-la-route-de-damas-une-lecon-de-realisme-a-mediter-par-alexis-feertchak-07-01-2019","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/nouveau-le-billet-du-lundi-les-pays-arabes-sur-la-route-de-damas-une-lecon-de-realisme-a-mediter-par-alexis-feertchak-07-01-2019\/","title":{"rendered":"A. Feertchak : \u00abLes pays arabes sur la route de Damas\u00a0: une le\u00e7on de r\u00e9alisme \u00e0 m\u00e9diter\u00bb"},"content":{"rendered":"
BILLET DU LUNDI du 07\/01\/2019 par Alexis Feertchak *<\/strong><\/p>\n <\/span><\/p>\n Deux \u00e9v\u00e9nements ont marqu\u00e9 le mois de d\u00e9cembre et un troisi\u00e8me marquera le mois de janvier : fin 2018, nous avons assist\u00e9 \u00e0 la r\u00e9ouverture de l\u2019ambassade des Emirats arabes unis (EAU) \u00e0 Damas ainsi qu\u2019\u00e0 la visite du pr\u00e9sident soudanais Omar al-Bachir. D\u00e9but 2019, se tiendra \u00e0 Beyrouth un sommet \u00e9conomique de la Ligue arabe : la Syrie, qui n\u2019en est plus membre, n\u2019est pas invit\u00e9e, mais son retour au sein de cette instance arabe sera \u00e0 l\u2019agenda de cette r\u00e9union, au moins officieusement.<\/span><\/p>\n Ces trois \u00e9v\u00e9nements sonnent comme la conclusion de l\u2019acte II de la guerre en Syrie autant que comme les pr\u00e9misses d\u2019un acte III. Pr\u00e9cisons : de 2011 \u00e0 2015, l\u2019acte I<\/b> couvre cette p\u00e9riode de d\u00e9stabilisation du gouvernement syrien par une r\u00e9bellion dont la puissance d\u00e9coulait avant tout du soutien de puissances sunnites (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar), d\u2019Isra\u00ebl et des pays occidentaux, \u00e0 commencer par le premier d\u2019entre eux, les Etats-Unis. Mais suivant les lois de la guerre contre-insurrectionnelle, le gouvernement syrien d\u00e9cida de se retirer dans les zones urbaines qui lui \u00e9taient acquises, abandonnant aux rebelles les villes les plus hostiles ainsi que les campagnes, dont la s\u00e9curisation aurait n\u00e9cessit\u00e9 de disperser les troupes d\u2019une arm\u00e9e r\u00e9duite en nombre car expurg\u00e9e de ses \u00e9l\u00e9ments les moins fiables. Pendant ce premier acte, Damas comptait sur le<\/span> pourrissement de la situation dans les zones rebelles. <\/span><\/p>\n L\u2019intervention russe en septembre 2015 ouvrit l\u2019acte II <\/b>: avec ses puissants alli\u00e9s russe et iranien, le r\u00e9gime passa \u00e0 l\u2019offensive et regagna les territoires les plus strat\u00e9giques du pays \u2013 Alep au Nord fin 2016, mais aussi Deir Ezzor \u00e0 l\u2019Est fin 2017 et Deraa au Sud en 2018 \u2013 m\u00eame s\u2019il lui manque encore la province d\u2019Idleb sous domination turque et la zone \u00e0 l\u2019est de l\u2019Euphrate domin\u00e9e par la coalition internationale et les Kurdes syriens. Cet acte II ne fut pas seulement militaire, mais aussi diplomatique : les avanc\u00e9es sur le terrain servirent \u00e0 la Russie d\u2019effet de levier politique pour changer les rapports de force r\u00e9gionaux. Le point de bascule fut la Turquie, principal soutien de la r\u00e9bellion depuis 2011, qui se rapprocha de Moscou autant que de T\u00e9h\u00e9ran, au grand dam de Washington. Persuad\u00e9 que les Am\u00e9ricains avaient voulu sa peau \u00e0 l\u2019\u00e9t\u00e9 2016 lors du coup d\u2019Etat manqu\u00e9, Erdogan, qui r\u00eave de grandeur<\/span> ottomane, ne supporta gu\u00e8re que les Etats-Unis s\u2019appuient sur les Kurdes syriens, base arri\u00e8re du PKK, pour tenter de contrer l\u2019Iran en Syrie. Par un effet boomerang, la strat\u00e9gie syrienne de Washington se trouva \u00eatre parfaitement contre-productive : au lieu d\u2019isoler la R\u00e9publique islamique et ses mollahs, elle leur permit de former un trio Ankara-Moscou-T\u00e9h\u00e9ran, qui passe \u00e9galement par Doha, le Qatar, principal centre des Fr\u00e8res musulmans avec Ankara, cherchant ainsi \u00e0 sortir du blocus que lui impose avec peu de succ\u00e8s l\u2019Arabie Saoudite. La formation de cet axe a une particularit\u00e9 notable : il s\u2019appuie sur les seuls vieux Etats de la r\u00e9gion, c\u0153ur des anciens empires : l\u2019Empire russe, l\u2019Empire perse, l\u2019Empire ottoman. <\/span><\/p>\n Pour les pays arabes de la r\u00e9gion bien plus que pour nous qui avons peine \u00e0 sortir de nos \u0153ill\u00e8res id\u00e9ologiques, il est apparu clairement au fur-et-\u00e0-mesure des sc\u00e8nes de cet acte II qu\u2019il ne servait \u00e0 rien de rejouer la partition de l\u2019acte I. Quel int\u00e9r\u00eat la Jordanie avait-elle \u00e0 soutenir les rebelles du Front du Sud, incapables de r\u00e9ellement mettre en danger Damas ? Quel int\u00e9r\u00eat le Liban avait-il \u00e0 observer le chaos s\u2019\u00e9tendre \u00e0 ses fronti\u00e8res ? Quel int\u00e9r\u00eat l\u2019Egypte, confront\u00e9e au terrorisme islamique, avait-elle \u00e0 appuyer la d\u00e9stabilisation du r\u00e9gime politique syrien qui fut longtemps son plus fid\u00e8le alli\u00e9 et avec lequel elle partage une forme de nationalisme la\u00efc autant qu\u2019une forme de d\u00e9mocratie autoritaire ? Quel int\u00e9r\u00eat les pays du Golfe avaient-ils \u00e0 jouer la surench\u00e8re verbale alors qu\u2019ayant perdu sur le terrain militaire autant que politique, leur influence en Syrie risquait de se r\u00e9duire \u00e0 n\u00e9ant ? Questions rh\u00e9toriques. A Beyrouth, au Caire ou \u00e0 Amman, la r\u00e9ponse est \u00e9vidente : aucun pays arabe n\u2019a int\u00e9r\u00eat \u00e0 prolonger cette guerre. <\/span><\/p>\n Le sc\u00e9nario d\u2019un acte III<\/b> semble donc \u00e9crit, au moins dans les grands traits : les pays arabes vont prendre le chemin de Damas pour que celui-ci ne devienne pas une autoroute irano-turque administr\u00e9e par les Russes. Les pr\u00e9misses sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 : en octobre, la Jordanie a r\u00e9ouvert sa fronti\u00e8re avec la Syrie, le Liban travaillant par ailleurs au retour des r\u00e9fugi\u00e9s syriens. La r\u00e9ouverture de l\u2019ambassade des EAU, ferm\u00e9e en 2012, est une nouvelle \u00e9tape dans ce processus de retour des pays arabes sur le th\u00e9\u00e2tre syrien. Le Bahre\u00efn a d\u2019ores-et-d\u00e9j\u00e0 annonc\u00e9 qu\u2019il allait suivre. La strat\u00e9gie des Etats p\u00e9troliers du Golfe est la suivante : le seul moyen pour eux de regagner de l\u2019influence \u00e0 Damas est de participer au financement de la reconstruction de la Syrie. Les EAU, qui ont accueilli les fortunes de nombreux Syriens en exil, ouvrent la voie, mais d\u2019autres suivront. M\u00eame l\u2019Arabie Saoudite se rapproche aujourd\u2019hui de Moscou, affaiblie par l\u2019affaire Khashoggi dans laquelle la Turquie a jou\u00e9 d\u2019une main de ma\u00eetre en for\u00e7ant le Congr\u00e8s am\u00e9ricain \u00e0 r\u00e9primander leur alli\u00e9 saoudien. Un coup terrible pour Riyad alors que les Etats-Unis doutent de plus en plus de leur alliance strat\u00e9gique avec l\u2019Arabie Saoudite. Du p\u00e9trole ? Les Am\u00e9ricains en ont \u00e0 profusion. Une puissance r\u00e9gionale capable de concurrencer l\u2019Iran ? L\u2019Etat saoudien est faible, son arm\u00e9e plus faible encore, comme le montre la guerre au Y\u00e9men. Seul Isra\u00ebl peut en r\u00e9alit\u00e9 pr\u00e9tendre \u00e0 ce statut au Levant. Le prince h\u00e9ritier, MBS, \u2013 et surtout son p\u00e8re qui ne l\u00e2che pas l\u2019affaire malgr\u00e9 son grand \u00e2ge et appr\u00e9cie le contrepoids obligeamment fourni par Vladimir Poutine \u00e0 l\u2019envahissante amiti\u00e9 am\u00e9ricaine \u2013 ont compris que la survie m\u00eame de leur dynastie est en jeu : ils auront besoin de coop\u00e9rer avec Moscou (et P\u00e9kin\u2026) pour faire monter les ench\u00e8res et pousser Washington \u00e0 les soutenir davantage.<\/span><\/p>\n La visite d\u2019Omar al-Bachir est aussi un signal important : historiquement, le Soudan \u00e9tait anti-saoudien et pro-iranien. Dans les ann\u00e9es 1990, le pr\u00e9sident soudanais r\u00eavait que Khartoum soit la rivale islamiste sunnite de Riyad et s\u2019appuya pour cela sur T\u00e9h\u00e9ran, mettant en application le vieux principe selon lequel \u00ab les ennemis de mes ennemis sont mes amis \u00bb. Apr\u00e8s les attentats du World Trade Center, craignant d\u2019\u00eatre la cible de Washington, le Soudan fit volte-face et se rapprocha de Washington, donc de l\u2019Arabie Saoudite. Khartoum participa ainsi \u00e0 la coalition saoudienne au Y\u00e9men contre les rebelles Houthis soutenus par T\u00e9h\u00e9ran. Mais le tournant est seulement partiel car Omar al-Bachir se rapproche aujourd\u2019hui de Moscou. Sous le coup d\u2019un mandat d\u2019arr\u00eat international, le pr\u00e9sident soudanais voit la Russie comme la meilleure assurance-vie qu\u2019il peut poss\u00e9der pour se pr\u00e9munir d\u2019un \u00e9ventuel changement de r\u00e9gime. D\u2019o\u00f9 les rumeurs r\u00e9guli\u00e8res concernant l\u2019ouverture d\u2019une base militaire russe au Soudan (alors que les puissances du monde entier se concentrent \u00e0 Djibouti) ou la vente de mat\u00e9riels militaires comme des syst\u00e8mes anti-a\u00e9riens\/anti-missiles S-300 ou des chasseurs Su-30SM. L\u2019avenir le dira, mais une constatation : Moscou a tout int\u00e9r\u00eat \u00e0 se servir de Khartoum comme point d\u2019appui dans sa strat\u00e9gie d\u2019influence en Afrique, notamment en Centrafrique. La visite du pr\u00e9sident soudanais \u00e0 Damas est un signe de ce tournant. Car la route de Moscou passe par Damas\u2026 <\/span><\/p>\n Le sc\u00e9nario de cet acte III sera au c\u0153ur des discussions de la Ligue arabe, dont le sommet se tiendra \u00e0 Beyrouth en janvier. Au Moyen-Orient, les raisonnements \u00ab droit-de-l\u2019hommistes \u00bb ne convainquent plus personne depuis longtemps. On pr\u00e9f\u00e8re des actions coh\u00e9rentes sur le long terme, des objectifs r\u00e9alistes, des moyens limit\u00e9s mais bien cibl\u00e9s \u00e0 de grandes d\u00e9clarations de principe, \u00e0 des retournements d\u2019alliance pr\u00e9visibles \u2013 les Kurdes en savent quelque chose \u2013 et \u00e0 des moyens titanesques qui ne font que tomber dans un puits sans fond. Jusqu\u2019au discours de Dominique de Villepin \u00e0 l\u2019ONU en 2003, le Quai d\u2019Orsay a appliqu\u00e9 avec constance cette diplomatie r\u00e9aliste que l\u2019on r\u00e9sumait alors souvent par la formule \u00ab la politique arabe de la France \u00bb. Pour l\u2019ancienne puissance mandataire en Syrie et au Liban, il fallait avec subtilit\u00e9 tenter d\u2019amoindrir la balourdise am\u00e9ricaine\u2026 Mais les trois derniers quinquennats \u2013 en comptant celui d\u2019Emmanuel Macron \u2013 sont marqu\u00e9s par un atlantisme b\u00e9at, un moralisme hors sol et une absence cruelle de r\u00e9alisme. Ce sc\u00e9nario en trois actes n\u2019\u00e9tait certes pas \u00e9crit \u00e0 l\u2019avance car l\u2019histoire n\u2019est jamais pr\u00e9dictible, mais certains \u00e9l\u00e9ments tenant de la g\u00e9ographie, de la culture, du politique pouvaient \u00eatre pris en compte d\u00e8s le d\u00e9but du conflit. Il n\u2019en a rien \u00e9t\u00e9. Aujourd\u2019hui, sur la route de Damas, les pays arabes auraient besoin du discours d\u2019apaisement de la France, mais Paris a oubli\u00e9 son b\u00e2ton de p\u00e8lerin. Se coulant dans le sillage des Etats-Unis depuis tant d\u2019ann\u00e9es, la France ne sait plus comment marcher, p\u00e9trifi\u00e9e par un pr\u00e9sident am\u00e9ricain qui prend sans \u00e9tats d\u2019\u00e2me le contre-pied de ses pr\u00e9d\u00e9cesseurs. <\/span><\/p>\n