{"id":355,"date":"2018-12-29T17:15:26","date_gmt":"2018-12-29T16:15:26","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=355"},"modified":"2021-09-21T15:44:30","modified_gmt":"2021-09-21T13:44:30","slug":"figarovox-tribune-le-retrait-des-americains-en-syrie-est-lultime-chance-pour-la-france-de-peser-de-nouveau-par-caroline-galacteros-28-12-2018","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/figarovox-tribune-le-retrait-des-americains-en-syrie-est-lultime-chance-pour-la-france-de-peser-de-nouveau-par-caroline-galacteros-28-12-2018\/","title":{"rendered":"[FigaroVox] \u00abLe retrait des Am\u00e9ricains en Syrie est l’ultime chance pour la France de peser de nouveau\u00bb par Caroline Galact\u00e9ros"},"content":{"rendered":"
FIGAROVOX\/TRIBUNE – Caroline Galact\u00e9ros analyse les motifs du retrait des forces am\u00e9ricaines en Syrie et le r\u00e9alisme de Donald Trump. Elle y voit \u00e9galement l’occasion, pour la France, d’ancrer davantage son influence dans la r\u00e9gion – \u00e0 condition d’accepter de traiter avec Moscou et Damas.<\/em><\/p>\n Encore une fois, l’homme a pris (presque) tout le monde \u00e0 contre-pied. En premier lieu nous, l’alli\u00e9 fran\u00e7ais. Nos salves d’autorit\u00e9 ne changent rien \u00e0 la donne de fond du conflit syrien: un accord est en train de se nouer entre Washington, Moscou et Ankara, et nous n’en sommes pas. Parlant de Yalta, les Polonais disaient avec amertume que \u00absi l’on n’est pas \u00e0 la table (des n\u00e9gociations), c’est que l’on est au menu\u00bb. Pour la France, c’est pire: nous ne sommes m\u00eame plus dans la carte mentale de notre Grand alli\u00e9\u2026Que le G\u00e9n\u00e9ral Mattis n’ait pas \u00e9t\u00e9 d’accord avec le Pr\u00e9sident ne change rien \u00e0 l’avanie insigne que nous subissons. L’Empire ignore superbement ses limes<\/i>. Car l’essentiel pour lui est ailleurs: les forces sp\u00e9ciales am\u00e9ricaines quittent la Syrie car Trump est un vrai r\u00e9aliste. Il a compris qu’il \u00e9tait urgent d’enfoncer un coin dans l’alliance tactique mais bien r\u00e9elle entre Moscou, T\u00e9h\u00e9ran et Ankara, avant que celle-ci ne se consolide trop. Il s’agissait donc de faire plaisir \u00e0 la Turquie, d’o\u00f9 le l\u00e2chage kurde, la \u00abr\u00e9flexion\u00bb sur l’\u00e9ventuelle livraison de Gulen, etc. et d’interrompre le raidissement du n\u00e9o-sultan Erdogan dont le flot de menaces d\u00e9sormais retombe… sur nous, qui aimons trop les Kurdes.<\/p>\n La Turquie est donc la grande gagnante de la d\u00e9cision am\u00e9ricaine de retrait. Une fois encore, elle joue l\u00e0 remarquablement son positionnement \u00abin and out\u00bb par rapport \u00e0 l’OTAN. Le l\u00e2chage des valeureux Kurdes par les Am\u00e9ricains va les contraindre \u00e0 tirer leur \u00e9pingle du jeu en se rapprochant de Moscou – qui m\u00e8ne toujours la danse r\u00e9gionale mais se m\u00e9fie de ses \u00aballi\u00e9s\u00bb tactiques iranien et turc -, et de Damas qui doit aussi composer avec la pr\u00e9sence turque, son soutien aux islamistes et son influence durable dans le pays et la r\u00e9gion. Les Kurdes tireront sans doute au mieux parti de ce n\u0153ud de vip\u00e8res mais leur r\u00eave fou d’\u00c9tat a v\u00e9cu.<\/p>\n L’Iran en revanche doit s’inqui\u00e9ter, car le sort que semble lui r\u00e9server Washington (via Tel Aviv) ne semble en rien modifi\u00e9. \u00abMad dog\u00bb (surnom donn\u00e9 au g\u00e9n\u00e9ral Mattis) a fait son \u0153uvre et T\u00e9h\u00e9ran est plus que jamais dans le collimateur du Pentagone… et dans la ligne de mire d’Isra\u00ebl, dont T\u00e9h\u00e9ran est de fait le seul v\u00e9ritable concurrent r\u00e9gional \u00e0 moyen terme (bien plus qu’un adversaire militaire cr\u00e9dible): un rival non arabe, de haut niveau culturel, intellectuel, technologique, industriel et bien s\u00fbr potentiellement \u00e9conomiquement sup\u00e9rieur du fait de ses immenses richesses fossiles.<\/p>\n L’Iran est donc en grand danger. D’autant que John Bolton, le Conseiller \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 nationale, est lui bel et bien toujours l\u00e0. Il est \u00abaugment\u00e9\u00bb de ses nombreux avatars et relais n\u00e9oconservateurs, enivr\u00e9s de leur propre discours ant\u00e9diluvien de diabolisation aujourd’hui anti-iranienne et antirusse comme hier anti-irakienne ou antisovi\u00e9tique. Le d\u00e9part des G\u00e9n\u00e9raux Mattis, Mac Master et Kelly est un affaiblissement temporaire qui renforce sans doute sa d\u00e9termination.<\/p>\n Mais ne nous trompons pas encore une fois de diagnostic. On sous-estime gravement Donald Trump depuis son irruption dans le jeu politique am\u00e9ricain et son arriv\u00e9e \u00e0 la Maison blanche. Il a mis \u00e0 mal tant de promesses, de plans de carri\u00e8res et de pr\u00e9bendes qu’il a d\u00e9clench\u00e9 une phobie \u00e9ruptive, des torrents de haine et d’injures parfaitement inqualifiables. Car il g\u00eane. Il est instinctif, impulsif, bravache et surtout, il n’est pas man\u0153uvrable, travers impardonnable dans un syst\u00e8me politique et militaro industriel am\u00e9ricain qui fait depuis toujours marcher l’occupant de la Maison blanche sinon \u00e0 la baguette, du moins \u00abau profit g\u00e9n\u00e9ral\u00bb du peuple am\u00e9ricain, mais surtout du gros business\u2026 de la guerre notamment.<\/p>\n On veut donc l’isoler, et accr\u00e9diter l’id\u00e9e qu’il a un besoin imp\u00e9ratif de tuteur car il ne saurait pas ce qu’il fait. Un \u00eatre quasi irresponsable en somme, pour lequel d’ailleurs une proc\u00e9dure d’impeachement s’imposerait au nom du salut m\u00eame de l’Am\u00e9rique\u2026 Mais Donald Trump r\u00e9siste et il n’est pas \u00abseul\u00bb. Plut\u00f4t un peu isol\u00e9 mais sans doute tr\u00e8s soulag\u00e9 de s’\u00eatre d\u00e9barrass\u00e9 d’hommes hostiles qu’il n’avait une fois encore pas choisis, et qui pr\u00e9tendaient lui dicter sa conduite en politique \u00e9trang\u00e8re. All\u00e9g\u00e9 de quelques ennemis donc, mais toujours en butte \u00e0 une invraisemblable cur\u00e9e de l’establishment qui a jur\u00e9 sa perte. Le printemps augure d’un harc\u00e8lement redoubl\u00e9 de la part des d\u00e9mocrates notamment. Mais il est convaincu que son agenda est le bon, qu’il doit tenir ses promesses de campagne pour \u00eatre r\u00e9\u00e9lu, que la bourse tangue dangereusement, qu’il lui faut conjurer une nouvelle crise financi\u00e8re qui gronde et tenir la Chine en respect (donc ne pas s’ali\u00e9ner totalement la Russie) et qu’\u00e0 tout prendre, mieux vaut combattre une chambre d\u00e9mocrate que r\u00e9publicaine, tant il est vrai que cela porta chance \u00e0 Clinton puis \u00e0 Obama. Pour lui en somme, la menace est bien plus int\u00e9rieure qu’ext\u00e9rieure.<\/p>\n En amont de ce retrait militaire annonc\u00e9, les termes du \u00abdeal\u00bb (implicite ou explicite?) entre Washington et Moscou pourraient donc bien avoir \u00e9t\u00e9: \u00abje quitte peu ou prou la Syrie, et te laisse dominer ce pays, o\u00f9 de toute fa\u00e7on nous avons perdu notre pari de d\u00e9stabilisation et n’avons plus grand-chose \u00e0 prendre ou \u00e0 gagner. Nous reprenons langue sur les sanctions et l’Ukraine, tu retrouves la superbe d’un dialogue entre anciens \u00abGrands\u00bb, antichambre d’un triumvirat Washington-Moscou-P\u00e9kin o\u00f9 tu auras ta place et pourras servir. En \u00e9change, tu l\u00e2ches progressivement l’Iran diplomatiquement et militairement\u2026\u00bb<\/p>\n Il est peu probable que Vladimir Poutine donne dans ce marchandage sans garanties fortes. D’autant qu’\u00e0 l’inverse des \u00c9tats-Unis, la Russie base son retour diplomatique tonitruant sur la sc\u00e8ne mondiale sur sa fiabilit\u00e9 et son respect des engagements pris dans le cadre de ses alliances, qu’elles soient tactiques ou strat\u00e9giques. La rivalit\u00e9 russo-am\u00e9ricaine est par ailleurs toujours tr\u00e8s vivace sur un grand nombre de terrains et de dossiers. Simplement, \u00abla m\u00e9thode Trump\u00bb pour traiter l’ogre russe tranche d’avec l’hostilit\u00e9 fossilis\u00e9e de l’appareil militaro-politique am\u00e9ricain, qui n’a d’ailleurs jusqu’ici abouti qu’\u00e0 un rapprochement acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 et dangereux de Moscou avec P\u00e9kin (dont l’Europe fera in fine <\/i>les frais) et \u00e0 la bascule de \u00abclient\u00e8les\u00bb africaines et orientales que l’Am\u00e9rique croyait pouvoir conserver \u00e0 sa botte ad vitam aeternam.<\/i><\/p>\n Sans parler du retour du Qatar dans le jeu, adoss\u00e9 \u00e0 l’axe Moscou-T\u00e9h\u00e9ran-Ankara, qui ruine les efforts saoudiens pour l’ostraciser, et force Washington \u00e0 m\u00e9nager la ch\u00e8vre et le chou pour faire pression et tenter de contr\u00f4ler son pion \u00e0 Ryad, le jeune prince MBS, qui se croit tout permis, et contrer le vieux mais toujours puissant Roi Salman qui, lui, ne met pas tous ses \u0153ufs dans le m\u00eame panier et lorgne vers Moscou pour sa s\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n Et puis il y a la Libye, autre th\u00e9\u00e2tre tragique de l’incons\u00e9quence occidentale, o\u00f9 Washington ne veut pas se laisser tailler de nouvelles croupi\u00e8res par Moscou, o\u00f9 se replient avec une facilit\u00e9 d\u00e9concertante, les djihadistes de Daech, comme Afghanistan. L’Afghanistan o\u00f9 les n\u00e9gociations directes avec les Talibans vont bon train et vont permettre l’all\u00e9gement du contingent am\u00e9ricain\u2026 Sans que l’on puisse pour autant parler d’un retrait du Moyen-Orient, o\u00f9 les \u00c9tats-Unis gardent tout de m\u00eame pr\u00e8s de 50 000 hommes.<\/p>\n Alors, pour la France, fini de jouer. Jouer aux apprentis sorciers face \u00e0 un islamisme radical que l’on croit lointain et indolore, mais qui inspire chez nous une fraction de la jeunesse en rupture de ban, \u00e9clabousse nos rues du sang de nos concitoyens et \u00e9cart\u00e8le la chair malheureuse de notre nation en voie de communautarisation acc\u00e9l\u00e9r\u00e9e. C’est la fin de partie et le moment ou jamais de remettre quelques atouts dans notre jeu. Notre choix est simple: soit nous nous r\u00e9veillons, soit nous disparaissons vraiment du Moyen-Orient et notre plat de lentilles – gagn\u00e9 au m\u00e9pris de nos convictions, de toute coh\u00e9rence politique et de notre s\u00e9curit\u00e9 int\u00e9rieure – aura un go\u00fbt bien amer et peu nourrissant.<\/p>\n Avec cette d\u00e9cision am\u00e9ricaine pourtant, nous avons une belle occasion de \u00abr\u00e9volution\u00bb au sens propre et figur\u00e9, de notre strat\u00e9gie au Levant mais aussi, par onde de choc b\u00e9n\u00e9fique, en Europe. Donald Trump, en effet, nous faisant subitement d\u00e9faut et montrant le peu de cas qu’il fait de ses alli\u00e9s, ne peut aucunement nous reprocher de vouloir rester en Syrie. Ce serait le comble, et notre pr\u00e9sident a raison de lui rappeler tristement la valeur de la fiabilit\u00e9 entre alli\u00e9s, m\u00eame si c’est sans doute de l’ironie, quand on songe au nombre de l\u00e2chages et renversements d’alliances tactiques op\u00e9r\u00e9s par Washington dans l’histoire contemporaine\u2026<\/p>\n Rester peut-\u00eatre, sans doute, mais pour quoi faire? Pas pour s’enferrer dans l’erreur, demeurer cr\u00e2nement aveugles et ent\u00eat\u00e9s dans une vision du conflit syrien que tout discr\u00e9dite. Nous devons donc profiter du changement de pied am\u00e9ricain pour parler imm\u00e9diatement et s\u00e9rieusement avec Moscou, engager une coop\u00e9ration s\u00e9curitaire concr\u00e8te avec la Russie dans la r\u00e9gion, et revenir dans le processus diplomatique avant qu’on ne nous ferme d\u00e9finitivement la porte au nez. Nous en serions alors r\u00e9duits, toute honte bue, \u00e0 passer les plats dans une quelconque Conf\u00e9rence de la Paix \u00e0 Paris, comme lors des \u00abvrais faux\u00bb Accords de Rambouillet il y a plus de 20 ans \u00e0 propos du Kosovo. La France doit absolument \u00eatre partie prenante de la phase de n\u00e9gociation politico-militaire et diplomatique qui va s’ouvrir et qui sera tr\u00e8s d\u00e9licate, toujours \u00e0 la merci d’une d\u00e9cision intempestive ou d’une provocation, mais o\u00f9 nous pouvons faire valoir quelques atouts utiles (nos liens avec la Jordanie et le Liban notamment).<\/p>\n Nous n’existerons pas \u00aben nuisant\u00bb, comme par exemple en contrant st\u00e9rilement le processus d’Astana quand celui de Gen\u00e8ve patine depuis des ann\u00e9es par d\u00e9faut de repr\u00e9sentativit\u00e9. Nous existerons en manifestant un \u00e9tat d’esprit r\u00e9solument innovant, d\u00e9sid\u00e9ologis\u00e9, et une volont\u00e9 de conciliation pragmatique sur la base de la situation de terrain. Nous devons cesser pour cela d’\u00eatre comme des enfants qui voient tout en noir et blanc et ne veulent pas se r\u00e9soudre aux \u00ab50 nuances de gris\u00bb du monde.<\/p>\n Si on ne saisit pas cette ultime chance, nous serons durablement excommuni\u00e9s du Levant. Les politiciens qui, apr\u00e8s le d\u00e9sastre libyen, ont de nouveau entra\u00een\u00e9 la France dans un soutien \u00e0 la d\u00e9stabilisation du pays et un appui \u00e0 l’engeance islamiste qui s’est jet\u00e9e sur lui apr\u00e8s une r\u00e9volte populaire initiale, portent une lourde responsabilit\u00e9 dans le martyre v\u00e9cu par le peuple syrien depuis bient\u00f4t huit ans. Il faut sortir enfin de ce cynisme (dont le r\u00e9alisme est l’exact oppos\u00e9 certes paradoxal) pour travailler sur le r\u00e9el, avec l’humain au c\u0153ur. Cela nous honorerait et nous sauverait.<\/p>\n