Billet du Lundi 30 mars 2025 r\u00e9dig\u00e9 par Jean-Philippe Duranthon, membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma. <\/em><\/p>\n\n\n\n

Il eut \u00e9t\u00e9 logique qu\u2019il rev\u00eatit un uniforme, tel de Gaulle en 1960, ou se pr\u00e9sent\u00e2t en pull kaki, tel Zelensky depuis trois ans : le 5 mars dernier Emmanuel Macron nous a d\u00e9clar\u00e9 que \u00ab nous rentrons (sic) dans une nouvelle \u00e8re \u00bb, que \u00ab la Russie est devenue au moment o\u00f9 je vous parle et pour les ann\u00e9es \u00e0 venir une menace pour la France et pour l’Europe \u00bb et que, \u00ab quoi qu\u2019il en advienne, il nous faut nous \u00e9quiper davantage \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Il nous faut donc accro\u00eetre notre effort militaire, nous r\u00e9armer, nous remilitariser. Soit. Mais les conditions dans lesquelles les modalit\u00e9s de cette remilitarisation sont annonc\u00e9es surprennent.<\/p>\n\n\n\n

1\/ Rappelons-nous tout d\u2019abord qu\u2019en juin 2022 le m\u00eame Macron avait d\u00e9clar\u00e9, en inaugurant le salon de Satory, que \u00ab nous allons durablement devoir nous organiser\u2026 dans une \u00e9conomie de guerre \u00bb. Pourquoi donc tenir en 2025 des propos voisins de ceux de 2022 ? La r\u00e9ponse est \u00e9vidente : parce que nous ne sommes pas pass\u00e9s en \u00ab \u00e9conomie de guerre \u00bb. Certes, la production des c\u00e9l\u00e8bres canons Caesar a \u00e9t\u00e9 multipli\u00e9e par trois, mais il s\u2019agit l\u00e0 d\u2019une brillante exception : aucune commande massive n\u2019a \u00e9t\u00e9 pass\u00e9e aux entreprises de la BITD (base industrielle et technologique de d\u00e9fense) et les industriels, ne sachant quand les commandes leur seraient pass\u00e9es, et m\u00eame si elles le seraient, n\u2019ont pas accru leur outil de production. Le gouvernent n\u2019a-t-il pas voulu faire le n\u00e9cessaire, ou ne l\u2019a-t-il pas pu ? Et pourquoi le voudrait-il maintenant, ou le pourrait-il ? Le pr\u00e9sident de la R\u00e9publique a, le 17 mars, annonc\u00e9 l\u2019acquisition de trente Rafale suppl\u00e9mentaires : quand les commandes seront-elles pass\u00e9es ?<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est que les armes co\u00fbtent cher et que nous sommes d\u00e9munis. E. Macron a pr\u00e9sent\u00e9 comme une grande victoire l\u2019autorisation donn\u00e9e aux Etats par Ursula von der Leyen d\u2019augmenter, au-del\u00e0 des limites permises jusqu\u2019alors, leur d\u00e9ficit budg\u00e9taire pour financer, dans la limite de 1,5 % du PIB, leurs d\u00e9penses militaires. Curieuse victoire : autorisation ou pas, un tel accroissement augmentera une dette qui est d\u00e8s aujourd\u2019hui explosive. R\u00e9jouissons-nous donc comme le ferait un malade qui, alors qu\u2019il a 40 degr\u00e9s de fi\u00e8vre, s\u2019entendrait dire pas son m\u00e9decin qu\u2019un traitement ne lui sera n\u00e9cessaire que lorsque sa temp\u00e9rature atteindra 41,5 degr\u00e9s. Autre \u00ab victoire \u00bb \u00e9tonnante : la d\u00e9cision annonc\u00e9e par la m\u00eame van der Leyen d\u2019emprunter au niveau communautaire 150 M\u20ac pour allouer des pr\u00eats bonifi\u00e9s aux Etats[1]<\/a>. Pour s\u2019en r\u00e9jouir il faut oublier que la France finance 17 % du budget europ\u00e9en, si bien que l\u2019amortissement du nouvel emprunt communautaire se traduira par une augmentation de la contribution de la France \u00e0 ce budget. Alors qu\u2019un d\u00e9put\u00e9 europ\u00e9en, rapporteur du budget, a r\u00e9cemment remarqu\u00e9 que \u00ab nous n\u2019avons toujours pas clarifi\u00e9 comment nous allons rembourser le grand emprunt commun qui a financ\u00e9 le plan de relance post Covid \u00bb, ajouter une couche d\u2019emprunt communautaire est-il si enthousiasmant ?<\/p>\n\n\n\n

Ne se trompe-t-on pas, d\u2019ailleurs, de cible ? Un r\u00e9cent audit[2]<\/a> indique que \u00ab les entreprises\u2026 pr\u00e9sent(ent) une structure financi\u00e8re et \u00e9conomique plus fragile dans la BITD que dans le reste de l’\u00e9conomie, avec des marges plus faibles, une capacit\u00e9 moindre \u00e0 cr\u00e9er de la valeur, un endettement plus \u00e9lev\u00e9 et une potentielle sous-capitalisation \u00bb. Ce ne sont point tant les subventions et pr\u00eats qui sont n\u00e9cessaires que des augmentations de capital. D\u2019o\u00f9 la cr\u00e9ation par BPI France d\u2019un nouveau fonds sp\u00e9cialis\u00e9 destin\u00e9 \u00e0 accueillir l\u2019\u00e9pargne des particuliers ; mais, les g\u00e9n\u00e9reux donataires, qui seront \u00ab coll\u00e9s \u00bb pendant cinq ans, ne b\u00e9n\u00e9ficiant en \u00e9change d\u2019aucun avantage fiscal ou autre, on peut craindre que ce nouvel outil ne s\u00e9duise gu\u00e8re et n\u2019ait que des vertus d\u2019affichage. D\u2019o\u00f9 l\u2019appel adress\u00e9 aux fonds d\u2019investissement priv\u00e9s afin qu\u2019ils contribuent \u00e0 l\u2019effort demand\u00e9 \u00e0 la nation.<\/p>\n\n\n\n

Le probl\u00e8me est que ces fonds interviennent au sein d\u2019un \u00e9cosyst\u00e8me financier auquel on demande de privil\u00e9gier les investissements \u00ab verts \u00bb luttant contre le changement climatique et r\u00e9pondant aux crit\u00e8res ESG[3]<\/a>, et que les bureaucrates et les bonnes consciences ont class\u00e9 la D\u00e9fense dans la cat\u00e9gorie des parias. Le sujet est connu depuis longtemps[4]<\/a> et la Commission comme le gouvernement reconnaissent la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019agir. Mais les actions concr\u00e8tes se font attendre. La \u00ab taxonomie \u00bb qui, comme l\u2019a fait remarquer le D\u00e9l\u00e9gu\u00e9 G\u00e9n\u00e9ral \u00e0 l\u2019Armement, \u00ab classe la D\u00e9fense dans la m\u00eame cat\u00e9gorie que la pornographie \u00bb, et les directives europ\u00e9ennes incitant les fonds \u00e0 investir dans des domaines dont la D\u00e9fense est exclue, n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 modifi\u00e9es ; les PME et ETI du secteur qui cherchent \u00e0 financer leurs besoins en fonds de roulement s\u2019entendent dire par leurs banques qu\u2019elles ne satisfont pas les crit\u00e8res d\u2019investissement responsable ; la BEI (Banque Europ\u00e9enne d\u2019Investissement) envisage d\u2019\u00e9tendre son champ d\u2019action mais se refuse \u00e0 financer la fabrication de munitions et armes l\u00e9tales (on se croirait revenu en 1981, lorsque F. Mitterrand inaugurait le salon a\u00e9ronautique du Bourget apr\u00e8s avoir demand\u00e9 que les avions et h\u00e9licopt\u00e8res soient pr\u00e9sent\u00e9s d\u00e9sarm\u00e9s). Aussi le \u00ab monde de la finance \u00bb semble-t-il consid\u00e9rer que les d\u00e9clarations ne suffisent pas : Euronext a pr\u00e9venu, \u00e0 la mi-mars, Airbus, Safran et Thales qu\u2019il allait les exclure du CAC 40 ESG et n\u2019y a renonc\u00e9 qu\u2019au dernier moment ; Ardian et Eurazeo affirment refuser tout investissement dans la D\u00e9fense, la seconde se r\u00e9f\u00e9rant explicitement \u00e0 la probl\u00e9matique ESG. Restent les fonds sp\u00e9cialis\u00e9s de Tikehau et Weinberg mais ceux-ci n\u2019ont pas attendu ces derni\u00e8res semaines pour se mobiliser et ne suffiront pas \u00e0 d\u00e9gager les sommes n\u00e9cessaires.<\/p>\n\n\n\n

Les conditions financi\u00e8res d\u2019une politique de r\u00e9armement ne semblent donc pas r\u00e9unies aujourd\u2019hui. Mieux vaudrait faire moins d\u2019annonces et de grand-messes et, d\u2019une part supprimer les freins aux investissements dans l\u2019industrie de d\u00e9fense (c\u2019est-\u00e0-dire modifier les textes ESG), d\u2019autre part cr\u00e9er les conditions d\u2019un financement durable (c\u2019est-\u00e0-dire non pas \u00e0 contractant de nouvelles dettes, mais en r\u00e9duisant ou supprimant enfin les d\u00e9penses publiques inutiles ou inefficaces \u2013 comme nos voisins l\u2019ont fait).<\/p>\n\n\n\n

2\/ Par ailleurs, il ne suffit pas d\u2019avoir des mat\u00e9riels performants, encore faut-il disposer des personnels pour les utiliser. L\u2019arm\u00e9e peine, aujourd\u2019hui, \u00e0 fid\u00e9liser ceux qui la servent. Que compte-t-on faire pour qu\u2019on y parvienne d\u00e9sormais ?<\/p>\n\n\n\n

3\/ Le 5 mars dernier, E. Macron a \u00e9galement d\u00e9clar\u00e9 que \u00ab L\u2019Europe de la D\u00e9fense, que nous d\u00e9fendons depuis huit ans, devient donc une r\u00e9alit\u00e9 \u00bb. Encore une grande victoire de la France, doit-on comprendre.<\/p>\n\n\n\n

Notre pays dispose de nombreux \u00e9l\u00e9ments l\u00e9gitimant une place fondamentale dans cette \u00ab r\u00e9alit\u00e9 \u00bb encore bien irr\u00e9elle : une arm\u00e9e de militaires aguerris et ma\u00eetrisant les technologies de pointe (sans doute la seule arm\u00e9e digne de ce nom en Europe) ; des industriels de premier plan dans chaque domaine, s\u2019appuyant sur un riche r\u00e9seau de sous-traitants ; la possession de l\u2019arme nucl\u00e9aire. On aurait pu penser que la France aurait cherch\u00e9, pour le bien de l\u2019Europe comme celui du pays, \u00e0 valoriser ces trois \u00e9l\u00e9ments et \u00e0 faire de la reconnaissance de la pr\u00e9f\u00e9rence communautaire un pr\u00e9alable \u00e0 toute action de sa part ; il semble qu\u2019elle ait adopt\u00e9 une autre posture et pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 une approche institutionnelle. E. Macron semble chercher \u00e0 la fois \u00e0 porter au niveau communautaire les responsabilit\u00e9s aujourd\u2019hui exerc\u00e9es avec efficacit\u00e9 au niveau national et \u00e0 prendre la t\u00eate, avec la Grande-Bretagne, d\u2019un \u00e9trange groupement de pays bien incapables d\u2019influer sur le cours des \u00e9v\u00e8nements.<\/p>\n\n\n\n

Cette approche est particuli\u00e8rement \u00e9tonnante pour ce qui concerne l\u2019arme nucl\u00e9aire, pour laquelle la pr\u00e9sident a indiqu\u00e9 que, \u00ab r\u00e9pondant \u00e0 l’appel historique du futur chancelier allemand, (il a) d\u00e9cid\u00e9 d’ouvrir le d\u00e9bat strat\u00e9gique sur la protection par notre dissuasion de nos alli\u00e9s du continent europ\u00e9en \u00bb. Depuis l\u2019origine il est acquis \u2013 le g\u00e9n\u00e9ral de Gaulle l\u2019a dit explicitement \u2013 que l\u2019int\u00e9r\u00eat vital national ne se limite pas aux fronti\u00e8res du pays et prend en compte les menaces pesant sur nos voisins. Mais s\u2019\u00e9tend-il \u00e0 l\u2019ensemble du \u00ab continent europ\u00e9en \u00bb ? Faut-il associer explicitement \u00ab nos alli\u00e9s \u00bb, et sans doute la Commission, aux d\u00e9cisions ? Suffit-il d\u2019affirmer que \u00ab quoi qu’il arrive, la d\u00e9cision a toujours \u00e9t\u00e9 et restera entre les mains du Pr\u00e9sident de la R\u00e9publique, chef des arm\u00e9es \u00bb, pour \u00e9chapper \u00e0 la m\u00e9canique communautaire et \u00eatre en mesure d\u2019agir rapidement ? Pourra-t-on reconna\u00eetre qu\u2019on \u00ab prot\u00e8ge \u00bb un pays et lui interdire de \u00ab d\u00e9cider \u00bb son sort ? Ne sera-t-on pas oblig\u00e9 de formaliser a priori<\/em> les cas de recours \u00e0 l\u2019arme nucl\u00e9aire, alors que l\u2019incertitude sur l\u2019usage de l\u2019arme est une condition de son efficacit\u00e9, de la dissuasion ? Serait-il normal que nos voisins b\u00e9n\u00e9ficient soudain d\u2019un outil financ\u00e9 depuis cinquante ans par les seuls contribuables fran\u00e7ais ?<\/p>\n\n\n\n

Tout cela est bien \u00e9tonnant, et bien inqui\u00e9tant.<\/p>\n\n\n\n

4\/ Certains commentateurs voudraient chanter, comme dans l\u2019op\u00e9ra Dardanus<\/em> de Rameau :<\/p>\n\n\n\n

\u00ab Il est temps de courir aux armes,<\/p>\n\n\n\n

H\u00e2tez-vous, g\u00e9n\u00e9reux guerriers,<\/p>\n\n\n\n

Allez, au milieu des alarmes,<\/p>\n\n\n\n

Cueillir les plus brillants lauriers \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Ne faisons pas trop de th\u00e9\u00e2tre : n\u2019oublions pas que dans la vraie vie il y a de vrais soldats et de vraies morts.<\/p>\n\n\n\n

N\u2019oublions pas non plus que, si elles ont une fronti\u00e8re \u00e0 l\u2019Est, l\u2019Europe et en particulier la France ont aussi une fronti\u00e8re au Sud.<\/p>\n\n\n\n

Jean-Philippe Duranthon<\/p>\n\n\n\n

30 mars 2025<\/p>\n\n\n\n