{"id":19383,"date":"2024-12-22T22:08:46","date_gmt":"2024-12-22T21:08:46","guid":{"rendered":"https:\/\/geopragma.fr\/?p=19383"},"modified":"2024-12-22T22:08:50","modified_gmt":"2024-12-22T21:08:50","slug":"la-dette-francaise-risque-geopolitique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/la-dette-francaise-risque-geopolitique\/","title":{"rendered":"La dette fran\u00e7aise, risque g\u00e9opolitique"},"content":{"rendered":"\n
Billet du lundi 23 d\u00e9cembre 2024 r\u00e9dig\u00e9 par Pierre de Lauzun, membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma. <\/em><\/p>\n\n\n\n J\u2019ai \u00e9voqu\u00e9 pr\u00e9c\u00e9demment la question de l\u2019endettement public, notamment de la France. Sujet maintenant bien familier \u00e0 tous. Voyons comment cela s\u2019inscrit dans le jeu des relations g\u00e9opolitiques.<\/p>\n\n\n\n Rappelons d\u2019abord qu\u2019il y a eu une expansion g\u00e9n\u00e9rale de la dette des pays d\u00e9velopp\u00e9s depuis 40 ans, m\u00eame si les situations varient selon les cas. Mais presque partout il ne s\u2019agissait pas principalement de financer des investissements, mais des d\u00e9penses courantes. C\u2019est le signe d\u2019une incapacit\u00e9 \u00e0 faire des choix collectifs rationnels. Ce qui n\u2019est jamais de bonne augure en termes de puissance.<\/p>\n\n\n\n Sous cet angle, le facteur majeur est le fait que la plupart de ces pays se financent pour l\u2019essentiel sur les march\u00e9s financiers, qui sont volatils et capables de se retourner rapidement. Trop recourir \u00e0 leurs services comporte donc un risque r\u00e9el. Cela dit, dans un premier temps c\u2019est l\u2019inverse qui se produit. En effet il est bien plus facile d\u2019y avoir recours qu\u2019\u00e0 tout autre source, et beaucoup moins cher. En outre, ils se r\u00e9v\u00e8lent d\u2019une grande patience, et m\u00eame d\u2019une certaine c\u00e9cit\u00e9 pendant de longues p\u00e9riodes. De ce fait, ils n\u2019envoient pas les signaux avertisseurs en temps utile. Mais quand finalement ils per\u00e7oivent qu\u2019il y a un probl\u00e8me, ils se retournent, et c\u2019est la crise. On l\u2019a vu avec la Gr\u00e8ce.<\/p>\n\n\n\n Toujours en termes de pouvoir, la question est tr\u00e8s diff\u00e9rente selon la monnaie et les cr\u00e9anciers. Les pays endett\u00e9s dans une autre monnaie que la leur, principalement les pays en d\u00e9veloppement, ont connu r\u00e9guli\u00e8rement des crises de la dette depuis plus de 40 ans. Et cela s\u2019est traduit par des restructurations humiliantes et co\u00fbteuses. Pour une souverainet\u00e9, c\u2019est une rude \u00e9preuve. A l\u2019inverse, on a les pays endett\u00e9s dans leur propre monnaie. On passera sur les d\u00e9tails, mais comme ils contr\u00f4lent leur monnaie, qui sont d\u00e9sormais de pure convention, ils ne peuvent en principe pas avoir de vraie crise des paiements, puisqu\u2019ils pourront toujours faire des dollars, yens, livre ou autres pour payer. Quitte \u00e0 subir une hyper inflation et une crise des changes : ce serait \u00e9videmment un \u00e9v\u00e9nement majeur, mais cela leur laisserait un contr\u00f4le relatif de leurs d\u00e9cisions.<\/p>\n\n\n\n Et il y a enfin un cas tr\u00e8s particulier, celui des pays de l\u2019Union europ\u00e9enne. Ils ne sont pas endett\u00e9s \u00e0 proprement parler dans leur monnaie nationale, car l\u2019euro est commun et g\u00e9r\u00e9 par la BCE. Or les d\u00e9cisions de celle-ci r\u00e9sultent d\u2019un \u00e9quilibre entre des positions diverses ; les politiques internes de ces pays sont tr\u00e8s diff\u00e9rentes et leur niveau d\u2019endettement tr\u00e8s variable ; leurs int\u00e9r\u00eats divergent donc.<\/p>\n\n\n\n A proprement parler, on ne sait donc pas d\u00e9terminer \u00e0 l\u2019avance comment une crise significative se r\u00e8glera en zone euro. De plus, en principe, la BCE ne finance pas les Etats ; m\u00eame si en pratique elle l\u2019a fait indirectement, par achats sur le march\u00e9 secondaire, mais avec des limites. C\u2019est donc une situation sans \u00e9quivalent.<\/p>\n\n\n\n Dans ce contexte, la dette de la France est un cas particulier. Sa dette cro\u00eet sans cesse, en valeur absolue et relative, du fait de d\u00e9ficits constamment sup\u00e9rieurs \u00e0 la croissance du PNB. Cela fait des ann\u00e9es que de nombreuses voix autoris\u00e9es avertissent du risque croissant que cela repr\u00e9sente. Mais sans \u00e9cho r\u00e9el, ni des politiques, ni sur les march\u00e9s. Ce n\u2019est que tout r\u00e9cemment qu\u2019on commence, et encore, ce n\u2019est pas \u00e0 la mesure du probl\u00e8me.<\/p>\n\n\n\n Parmi les causes, deux principales. D\u2019un c\u00f4t\u00e9, une incapacit\u00e9 toute particuli\u00e8re \u00e0 mettre de l\u2019ordre dans ses affaires et \u00e0 se r\u00e9former, qui ne date pas d\u2019hier. D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, d\u2019une situation favorable sur les march\u00e9s, car la France a longtemps \u00e9t\u00e9 per\u00e7ue comme un brillant second de l\u2019Allemagne. Or dans le syst\u00e8me financier mondial des sommes colossales doivent \u00eatre plac\u00e9es, et dans une proportion appr\u00e9ciable sans risque ; les professionnels ont donc besoin d\u2019une dette publique jug\u00e9e telle. Mais l\u2019Allemagne n\u2019emprunte pas assez et sa p\u00e9riph\u00e9rie non plus. Restait donc la France, qui en a bien profit\u00e9 et abus\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Cela dit, les arbres ne montent pas jusqu\u2019au ciel, et on ne peut continuer \u00e0 emprunter ind\u00e9finiment, de fa\u00e7on de plus en plus \u00e9lev\u00e9e. Cela casse forc\u00e9ment un jour, m\u00eame si on ne peut le pr\u00e9voir avec pr\u00e9cision. Un enfant de 10 ans peut le comprendre. Et quand, en plus, on se r\u00e9v\u00e8le politiquement ingouvernable, on tente le diable. Surtout si on est en Europe la seule \u00e0 continuer dans ce sens.<\/p>\n\n\n\n On se placera ici dans l\u2019hypoth\u00e8se o\u00f9 la situation politique ne permet pas de redressement v\u00e9ritable \u00e0 court terme. Dans ce cas, la crise est in\u00e9vitable m\u00eame si \u00e0 nouveau on ne sait pas quand, surtout si comme la France on part d\u2019une image favorable. Bien entendu, une rupture \u00e9ventuelle serait pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019une p\u00e9riode plus ou moins longue de d\u00e9gradation, d\u00e9j\u00e0 entam\u00e9e, notamment avec hausse du spread (diff\u00e9rentiel par rapport \u00e0 la dette allemande), puis difficult\u00e9 \u00e0 lever les capitaux voulus.<\/p>\n\n\n\n Dans une hypoth\u00e8se concevable mais optimiste, cette d\u00e9gradation conduirait \u00e0 une forme de sursaut, permettant une stabilisation relative, quoiqu\u2019\u00e0 un tr\u00e8s haut niveau de dette, comme en Italie ou en Belgique. Cela resterait une situation risqu\u00e9e, mais peut-\u00eatre tenable sur une certaine dur\u00e9e, quoique tr\u00e8s co\u00fbteux ; cela impliquerait aussi qu\u2019on resterait sous la surveillance des march\u00e9s. Mais m\u00eame cela supposerait l\u2019arr\u00eat des d\u00e9ficits, du moins l\u2019apparition d\u2019un exc\u00e9dent primaire du budget, avant service de la dette. Concevable, cette \u00e9volution est \u00e0 ce stade peu probable, au vu de la situation politique fran\u00e7aise. Et si cela se faisait en accroissant encore la fiscalit\u00e9 fran\u00e7aise, cela signerait l\u2019\u00e9touffement du pays. D\u00e9j\u00e0 d\u2019ailleurs le poids des int\u00e9r\u00eats sera un handicap consid\u00e9rable.<\/p>\n\n\n\n Reste alors le risque majeur, celui de la crise. On l\u2019a dit, la difficult\u00e9 des march\u00e9s est qu\u2019on ne peut pr\u00e9voir avec assurance le moment et les modalit\u00e9s d\u2019une crise. Cela d\u00e9pend de leur tendance du moment, des histoires qui y circulent (\u2018stories\u2019), du reste de la situation mondiale etc. Ce n\u2019est donc pas n\u00e9cessairement \u00e0 court terme ; cela peut prendre un temps sensiblement plus long. Mais sauf redressement vigoureux, \u00e0 un moment donn\u00e9 il devient impossible de financer les sommes demand\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Il va de soi que la crise en question serait majeure et d\u00e9passerait largement le cadre de la France. On l\u2019a vu, elle ne contr\u00f4le pas sa monnaie, qui est cog\u00e9r\u00e9e. En m\u00eame temps, on ne voit pas comment traiter la question sans un volet mon\u00e9taire. Il y aura donc ici une question difficile pour ses partenaires dans la BCE, les Allemands en premier lieu. Leur ligne politique exclut en th\u00e9orie ce genre d\u2019intervention massive, surtout au profit d\u2019un seul pays, et alors m\u00eame qu\u2019ils se consid\u00e8rent, non sans motif de leur point de vue, comme bien mieux g\u00e9r\u00e9s et plus \u2018vertueux\u2019. En outre, leurs \u00e9lecteurs sont terrifi\u00e9s par le spectre, qui est loin d\u2019\u00eatre irr\u00e9aliste, d\u2019une forte reprise d\u2019inflation. De plus, les stocks de dettes sont tr\u00e8s diff\u00e9rents de pays \u00e0 pays, et donc mon\u00e9tiser la dette n\u2019aurait pas du tout le m\u00eame impact partout.<\/p>\n\n\n\n Mais restera l\u2019ampleur de la d\u00e9flagration. Une action au profit de la France, au vu de son poids en Europe, serait par nature une op\u00e9ration \u00e9norme, sans pr\u00e9c\u00e9dent. Outre ce que pourrait faire la BCE, il faudrait jouer sur toute une panoplie : des restructurations de dette, l\u2019action du FMI, peut-\u00eatre d\u2019autres m\u00e9canismes \u00e0 inventer, etc. A cela s\u2019ajouterait surtout ce qu\u2019on appelle une conditionnalit\u00e9 : une politique de rigueur et d\u2019\u00e9conomies, qui dans ces cas est presque n\u00e9cessairement grossi\u00e8re et brutale \u2013 avec pas mal de casse, non seulement sociale, \u00e9videmment, mais aussi par ses effets sur le tissu productif. Compte tenu de ce que l\u2019on sait de la situation sociopolitique fran\u00e7aise, cela risque de ne pas \u00eatre \u00e9vident du tout et pourrait d\u00e9raper gravement. Et d\u2019ailleurs, quel gouvernement assumerait cela ?<\/p>\n\n\n\n D\u2019un point de vue g\u00e9opolitique, une question majeure sera celle de la suite, des effets ult\u00e9rieur d\u2019une telle d\u00e9rive puis crise.<\/p>\n\n\n\n En France d\u2019abord. On a ici un banc d\u2019essai int\u00e9ressant, celui des pays d\u2019Am\u00e9rique latine apr\u00e8s la crise des ann\u00e9es 80. Au Br\u00e9sil ou au Mexique, on a eu une stabilisation relative, m\u00eame si on peut en discuter la pertinence. Mais pas en Argentine. Car la culture politique, marqu\u00e9e par le p\u00e9ronisme, n\u2019a pas v\u00e9ritablement chang\u00e9 (du moins jusqu\u2019\u00e0 l\u2019exp\u00e9rience Milei, en cours). Et le pays a connu crise sur crise, sur tr\u00e8s longue dur\u00e9e. Dans quelle rubrique la France se situerait-elle ? On craint que ce ne soit pas dans la meilleure case. <\/p>\n\n\n\n En Europe ensuite. Pourquoi la France est-elle un cas, en outre symptomatique ? Il y a bien s\u00fbr les causes internes qu\u2019on a cit\u00e9es, qui ont jou\u00e9 un r\u00f4le majeur. Mais il y a aussi un lien avec son r\u00eave europ\u00e9en, plus pr\u00e9cis\u00e9ment avec la mani\u00e8re particuli\u00e8re dont la classe politique fran\u00e7aise a vu l\u2019Europe : elle a gard\u00e9 en un certain sens des ambitions internationales, bien plus que la plupart des autres pays europ\u00e9ens, mais elles les a transf\u00e9r\u00e9es sur l\u2019Europe. Elle n\u2019a donc pas eu les r\u00e9flexes d\u2019un pays ind\u00e9pendant, qui sait ne pouvoir compter que sur lui-m\u00eame, et qui d\u2019ailleurs est averti plus t\u00f4t de ses errements \u00e9ventuels (par des crises de change, par une difficult\u00e9 \u00e0 emprunter etc.). Elle a au contraire b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d\u2019une monnaie plus forte que ce dont elle est capable, et comme on l\u2019a dit, d\u2019un positionnement avantageux mais artificiel sur les march\u00e9s. Et, bien trop introvertie politiquement, elle n\u2019a pas eu non plus le sens de ses responsabilit\u00e9s au sein de cette Europe.<\/p>\n\n\n\n Or une crise du type de celle qu\u2019on peut craindre remettrait radicalement en cause ce positionnement. Le brillant second deviendrait l\u2019homme malade, pesant sur tous ; ce qui reste \u00e9ventuellement de couple franco-allemand serait d\u00e9finitivement enterr\u00e9 ; les ambitions de puissance, s\u2019il en reste, prendraient un coup tr\u00e8s rude. On n\u2019est donc pas dans le cas d\u2019une Gr\u00e8ce qui serait simplement d\u00e9multipli\u00e9e par la taille. En supposant m\u00eame que cela n\u2019aboutirait pas \u00e0 une dislocation des institutions europ\u00e9ennes, cela impliquerait un redimensionnement majeur des relations en Europe. Au risque, bien s\u00fbr, de voir celle-ci s\u2019affaisser encore un peu plus dans la vuln\u00e9rabilit\u00e9, l\u2019absence d\u2019ambition et la vassalit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9gard de Washington.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Billet du lundi 23 d\u00e9cembre 2024 r\u00e9dig\u00e9 par Pierre de Lauzun, membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma. J\u2019ai \u00e9voqu\u00e9 pr\u00e9c\u00e9demment la question de l\u2019endettement public, notamment de la France. Sujet maintenant bien familier \u00e0 tous. Voyons comment cela s\u2019inscrit dans le jeu des relations g\u00e9opolitiques. 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Des situations tr\u00e8s variables<\/h4>\n\n\n\n
Le cas de la France<\/h4>\n\n\n\n
Que peut-il se passer maintenant ?<\/h4>\n\n\n\n
Perspectives<\/h4>\n\n\n\n