{"id":18317,"date":"2022-12-04T17:07:35","date_gmt":"2022-12-04T16:07:35","guid":{"rendered":"https:\/\/geopragma.fr\/?p=18317"},"modified":"2022-12-04T17:07:39","modified_gmt":"2022-12-04T16:07:39","slug":"conflit-otan-russie-le-pape-peut-il-faire-bouger-les-lignes","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/conflit-otan-russie-le-pape-peut-il-faire-bouger-les-lignes\/","title":{"rendered":"Conflit Otan-Russie : le Pape peut-il faire bouger les lignes ?"},"content":{"rendered":"\n
Billet d’humeur du 04 d\u00e9cembre 2022 r\u00e9dig\u00e9 par Emmanuel Go\u00fbt, membre du Conseil d’orientation strat\u00e9gique de Geopragma.<\/p>\n\n\n\n
Il ne se passe pas une semaine sans que le Pape ne se manifeste sur le conflit en Ukraine. Son leitmotiv : la Paix, f\u00e2chant parfois les Ukrainiens, f\u00e2chant parfois les Russes, et semble-t-il irritant au sein du Vatican lui-m\u00eame, un politicien italien proche de certains milieux du Vatican n\u2019h\u00e9sitant pas \u00e0 dire que Jean-Paul II serait, lui, parti sur le front combattre les Russes\u2026<\/p>\n\n\n\n
Tout semble indiquer que nous sommes encore fort loin de tout processus de paix. Ce n\u2019est pas le pr\u00e9sident Macron – auquel j\u2019attribue une grande responsabilit\u00e9 dans l\u2019incapacit\u00e9 d\u2019\u00e9viter ce conflit durant sa visite \u00e0 Moscou en f\u00e9vrier 2022 (*), qui, r\u00e9p\u00e9tant un incroyable nombre de fois le mot \u00ab\u00a0paix<\/em>\u00a0\u00bb durant sa visite le 24 octobre \u00e0 la Communaut\u00e9 de San Egidio (**), qui fera bouger les lignes.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Parler de Paix en la conditionnant \u00e0 un \u00ab\u00a0retour \u00e0 la case d\u00e9part<\/em>\u00a0\u00bb pour les Russes est insens\u00e9, car la seule certitude \u00e0 ce jour est que le monde de demain ne sera jamais celui d\u2019hier. Nous voyons se d\u00e9rouler, sous nos yeux, le passage sismique du XXI\u00e8me si\u00e8cle au XXII\u00e8me, nous en sommes, spectateurs, acteurs ou producteurs pour utiliser cyniquement une image cin\u00e9matographique.<\/p>\n\n\n\n Car il y a bien des producteurs, ceux qui ont pens\u00e9 cette guerre, au nom d\u2019ambitions, de volont\u00e9s h\u00e9g\u00e9moniques \u00e9conomiques et g\u00e9opolitiques, ceux aussi qui arment et payent aujourd\u2019hui l\u2019Ukraine et font de l\u00e9gitimes patriotes ukrainiens leurs mercenaires. <\/p>\n\n\n\n Pour mieux vendre, justifier et promouvoir cette guerre, on la drape m\u00eame de vocations spirituelles ou de civilisation. Nous avions d\u00e9j\u00e0 connu \u00ab\u00a0la bande annonce Powell<\/em>\u00a0\u00bb \u00e0 l\u2019ONU pour justifier l\u2019interventionnisme am\u00e9ricain et de ses alli\u00e9s (France non comprise) en Irak.<\/p>\n\n\n\n Une guerre spirituelle ? Il faut lire Leonid Sevastianov, Pr\u00e9sident de l\u2019Association des Vieux Croyants – les Vieux Croyants naissent d\u2019un schisme avec l\u2019autorit\u00e9 orthodoxe au XVII si\u00e8cle – dans La Croix du 2 d\u00e9cembre pour commencer \u00e0 comprendre la vision du Pape Fran\u00e7ois dont il est l\u2019ami et \u00ab\u00a0l\u2019ambassadeur de Paix \u00e0 Moscou <\/em>\u00bb (***).\u00a0<\/p>\n\n\n\n C\u2019est le pragmatisme, associ\u00e9 \u00e0 une vocation r\u00e9v\u00e9l\u00e9e de paix, qui caract\u00e9rise les desseins du Pape et non les pr\u00e9mices de guerres de religions. Son homologue orthodoxe – le Patriarche Kirill – devrait, toujours d\u2019apr\u00e8s les d\u00e9clarations de Sevastianov, s\u2019abstenir \u00ab\u00a0de propos qui tiennent de l\u2019h\u00e9r\u00e9sie\u00a0<\/em>\u00bb. En s\u2019exprimant ainsi, le patriarche met de l\u2019eau au moulin de ceux, qui, comme surtout l\u2019\u00e9diteur et journaliste f\u00e9ru de th\u00e9ologie Jean-Fran\u00e7ois Colosimo r\u00e9cemment sur Europe 1, qualifient le syst\u00e8me politique russe \u201cd\u2019Etat \u00c9glise<\/em>\u201d (orthodoxe)). Une telle analyse, outre qu\u2019elle ne refl\u00e8te pas le quotidien religieux du citoyen russe, tient d\u2019une volont\u00e9 d\u2019affubler ce conflit de motivations d\u2019ordre spirituel qui ne le caract\u00e9risent nullement dans sa gen\u00e8se.\u00a0<\/p>\n\n\n\n En compl\u00e9ment, la cohabitation des religions en Russie n\u2019est pas un sujet comme il l\u2019est au quotidien en France. Il suffit de penser \u00e0 la cohabitation avec les plus de vingt millions de musulmans et \u00e0 ces vendredis de pri\u00e8re \u00e0 la grande mosqu\u00e9e inaugur\u00e9e il y a quelques ann\u00e9es par VV Poutine dans le centre de Moscou, o\u00f9 se rendent des milliers de musulmans.<\/p>\n\n\n\n Ce conflit, rappelons-le, n\u2019est la r\u00e9sultante que de mentalit\u00e9s, d\u2019analyses, de r\u00e9flexes qui appartiennent au si\u00e8cle dernier, mais aussi de rivalit\u00e9s \u00e9conomiques et s\u00e9curitaires avec les USA, d\u2019incompr\u00e9hensions ou d\u2019impr\u00e9parations entre l\u2019Europe et la Russie.<\/p>\n\n\n\n Une guerre de civilisation ? Si ce n\u2019est pas ainsi que l\u2019on nous la pr\u00e9sente, c\u2019est pourtant bien ainsi que, de part et d\u2019autre, on entend \u00e9voquer toujours plus une bataille des valeurs, une bataille id\u00e9ologique – comme si l\u2019URSS se r\u00e9incarnait – une bataille des Etats \u00ab\u00a0d\u00e9mocratiques\u00a0<\/em>\u00bb contre les Etats \u00ab\u00a0totalitaires<\/em> \u00bb \u2026<\/p>\n\n\n\n Ne nous m\u00e9prenons pas, le communisme est mort, les enjeux ne peuvent \u00eatre id\u00e9ologiques tant le peuple russe aspire depuis 30 ans (seulement) \u00e0 vivre et vit tout comme l\u2019europ\u00e9en. Mais il peut \u00eatre, il est vrai, beaucoup plus herm\u00e9tique aux vagues \u00ab wokistes<\/em> \u00bb en provenance d\u2019outre atlantique. C\u2019est dans ce contexte que, probablement, des r\u00e9f\u00e9rences aux valeurs font leur apparition – constitution russe, discours de Pr\u00e9sident Poutine du 30 septembre. Mais ne faisait-il pas d\u2019une certaine fa\u00e7on \u00e9cho \u00e0 ce que nous entendons en Europe par exemple en Italie en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 la famille traditionnelle, une r\u00e9f\u00e9rence italienne bien plus proche de celle d\u00e9crite en Russie plut\u00f4t qu\u2019au Canada.<\/p>\n\n\n\n Mais si la r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 certaines valeurs appara\u00eet ind\u00e9niablement, ces valeurs et attachements assum\u00e9s ne peuvent nullement \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme \u00e0 l\u2019origine du conflit.<\/p>\n\n\n\n Ce serait manquer de perspective que de ne pas \u00e9voquer, au-del\u00e0 des suppos\u00e9s enjeux spirituels ou de civilisation, la question de la souverainet\u00e9 et de sa signification. On \u00e9voque r\u00e9guli\u00e8rement aussi le respect de la souverainet\u00e9, sans s\u2019interroger sur le sens de la souverainet\u00e9 au XXI\u00e8me si\u00e8cle. Quel est aujourd\u2019hui son p\u00e9rim\u00e8tre ? Celui de l\u2019Etat-nation, celui de visions g\u00e9opolitiques ou des futurs espaces encore en mouvement, mis \u00e0 mal par l\u2019universalisme r\u00e9sultant de la pratique des r\u00e9seaux sociaux, comme l\u2019a d\u00e9montr\u00e9 la crise du Covid qui vit l\u2019indien des Andes se voir imposer des comportements similaires \u00e0 ceux dict\u00e9s par les associations de sant\u00e9 nationales et internationales occidentales ? Un embryon de souverainet\u00e9 plan\u00e9taire serait-il en gestation ? <\/p>\n\n\n\n Le paradoxe est qu\u2019encore r\u00e9cemment l\u2019argument souverainet\u00e9 \u00ab\u00a0nationale<\/em>\u00a0\u00bb \u00e9tait mis \u00e0 mal par ceux-l\u00e0 m\u00eames qui aujourd\u2019hui l\u2019invoquent et le d\u00e9fendent dur comme fer \u00e0 propos des fronti\u00e8res d\u2019une Ukraine qui existe… depuis 30 ans\u2026 il suffit pour cela de se rappeler de l\u2019ex-Yougoslavie.<\/p>\n\n\n\n On ne s\u2019\u00e9tonnera pas, en cons\u00e9quence, de voir du c\u00f4t\u00e9 polonais, certains imaginer que, si le conflit devait perdurer, et voir le nombre des combattants ukrainiens se r\u00e9duire tragiquement – la Pr\u00e9sidente de la Commission europ\u00e9enne Van der Leyen a parl\u00e9 de 100.000 morts parmi les combattants ukrainiens -, se mette en place une \u00ab partition<\/em>\u00a0\u00bb de l\u2019Ukraine principalement entre Russes, Ukrainiens – les h\u00e9ritiers de l\u2019identit\u00e9 ukrainienne affich\u00e9e par son Pr\u00e9sident Zelenski -, Hongrois et Polonais, comme pourrait le faire penser l\u2019\u00e9tude commissionn\u00e9e r\u00e9cemment par le pr\u00e9sident polonais Duda sur la possible l\u00e9gitimit\u00e9 de revendiquer comme \u00ab\u00a0historiquement polonaise<\/em>\u00a0\u00bb une partie de l\u2019Ukraine\u2026<\/p>\n\n\n\n Dimension spirituelle, enjeux de civilisation, p\u00e9rim\u00e8tres de la souverainet\u00e9, autant de r\u00e9flexions qui demandent sans aucun doute des analyses plus approfondies mais qui n\u2019aident pas \u00e0 r\u00e9soudre le conflit dans l\u2019imm\u00e9diat tant elles sont dans le pr\u00e9sent construites sur de vieux a priori. <\/p>\n\n\n\n Dans ce contexte, le Pr\u00e9sident Macron envisage une conf\u00e9rence pour la paix\u2026 mais quelles conditions posera-t-il \u00e0 ses participants ? Les m\u00eames que devant San Egidio ? Ce serait alors une nouvelle gesticulation, ou peut-\u00eatre pense-t-il que les sanctions mises en place feront capituler la Russie, comme l\u2019\u00e9tudie le livre r\u00e9cemment publi\u00e9 \u00ab\u00a0Backfire<\/em>\u00a0\u00bb d\u2019Agathe Desmarais.<\/p>\n\n\n\n Il est encore bien t\u00f4t pour le dire: \u00e0 ce jour aucun signe ne va dans ce sens – les r\u00e9serves de l\u2019Etat russe en valeurs \u00e9trang\u00e8res n\u2019ont jamais \u00e9t\u00e9 aussi importantes – les quatri\u00e8mes au monde – et une chose est certaine pour celui qui voyage entre l\u2019Europe et la Russie aujourd\u2019hui : \u00e0 payer le prix des sanctions et ses cons\u00e9quences, le citoyen europ\u00e9en est bien le plus touch\u00e9 : inflation, risques \u00e9nerg\u00e9tiques, co\u00fbts \u00e9nerg\u00e9tiques (au b\u00e9n\u00e9fice \u00e9vident des am\u00e9ricains comme tentait de le contester le ministre fran\u00e7ais de l\u2019\u00e9conomie et des finances Bruno Lemaire).<\/p>\n\n\n\n Le Pape est naturellement port\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9coute des peuples et \u00e0 leur aspiration \u00e0 pouvoir vivre en paix ; il ne craint pas, il ne renonce pas, en d\u00e9pit de ces sinistres mois qui se suivent et se ressemblent, de penser \u00e0 la r\u00e9conciliation et \u00e0 la vocation de sa mission. <\/p>\n\n\n\n Il pense aux valeurs, aux enjeux spirituels et de civilisation, il n\u2019ignore pas ce qu\u2019\u00eatre souverain peut signifier. <\/p>\n\n\n\n Mais c\u2019est peut-\u00eatre parce qu\u2019il interpr\u00e8te sa mission bien au-del\u00e0 des fronti\u00e8res politiques et culturelles qu\u2019il ambitionne de faire du XXI\u00e8me si\u00e8cle le si\u00e8cle de la r\u00e9conciliation entre l\u2019\u00e9glise d\u2019Orient et l\u2019\u00e9glise d\u2019Occident, qu\u2019il aidera \u00e0 d\u00e9passer toutes les conjonctures, les blessures, les souffrances endur\u00e9es par les peuples d\u2019Europe au sens large et \u00e0 faire taire les marchands de canons.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Une telle vision devrait nous faire r\u00e9fl\u00e9chir, nous faire comprendre que parler de paix n\u2019est pas un choix, n\u2019est pas une option ou un parti pris mais un devoir, une vocation. \u00ab\u00a0Op\u00e9ration sp\u00e9ciale<\/em>\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0guerre sp\u00e9ciale<\/em>\u00a0\u00bb, il n\u2019en reste pas moins que cette s\u00e9mantique se compte en morts, de part et d\u2019autre, au quotidien.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Emmanuel Go\u00fbt <\/p>\n\n\n\n Membre du Comit\u00e9 d\u2019orientation strat\u00e9gique de Geopragma<\/p>\n\n\n\n