Billet du lundi 21 novembre, r\u00e9dig\u00e9 par Caroline Galacteros, Pr\u00e9sidente de Geopragma.<\/p>\n\n\n\n
On aimerait penser \u00e0 autre chose. A la coupe du Monde de football qui d\u00e9bute au Qatar, aux f\u00eates de Noel qui approchent, \u00e0 la crise qui s\u2019installe, et m\u00eame aux \u00e9chauffour\u00e9es politiques d\u00e9risoires qui animent parfois path\u00e9tiquement notre Assembl\u00e9e nationale et paraissent bien insignifiantes au regard des enjeux de fond et de l\u2019avenir de notre pays. Mais la guerre, une fois lanc\u00e9e, ne connait pas de r\u00e9pit et elle prend en Ukraine, des tours inqui\u00e9tants avec la reprise des bombardements sur la centrale nucl\u00e9aire de Zaporojie qui en vient \u00e0 alarmer m\u00eame le tr\u00e8s temp\u00e9rant directeur de l\u2019AIEA, et dont il demeure difficile d\u2019imaginer que c\u2019est la Russie qui les initie contre ses propres forces…<\/p>\n\n\n\n
Que faire pour conduire le pr\u00e9sident Ukrainien \u00e0 rompre avec son jusqu\u2019auboutisme suicidaire ? Les courants ultranationalistes qui l\u2019environnent, le terrifient sans doute et le contr\u00f4lent ainsi que ses forces arm\u00e9es, le placent face \u00e0 un tragique dilemme de style \u00ab loose-loose \u00bb : N\u00e9gocier un compromis territorial avec Moscou, donc consentir peu ou prou \u00e0 une partition du territoire ukrainien, comme l\u2019enjoignent d\u00e9sormais \u00e0 mi mots de le faire Am\u00e9ricains et Britanniques ? Impossible sauf \u00e0 se mettre lui-m\u00eame en danger vital face \u00e0 la fureur des ultras. Maintenir ses positions de plus en plus intenables au regard de la r\u00e9alit\u00e9 militaire sur le terrain, et pr\u00e9tendre reprendre tous les territoires conquis par Moscou, jusqu\u2019\u00e0 la Crim\u00e9e, en esp\u00e9rant provoquer enfin l\u2019engagement de l\u2019OTAN, comme le montre son insistance \u00e0 vouloir accr\u00e9diter la responsabilit\u00e9 russe dans la p\u00e9n\u00e9tration d\u2019un missile sur le territoire polonais contre toute \u00e9vidence et malgr\u00e9 les d\u00e9mentis circonstanci\u00e9s de Washington ? Cette attitude pourrait bien pr\u00e9cipiter son l\u00e2chage par ses plus grands pourvoyeurs d\u2019armements et de subsides. A-t-il compris que sa survie politique d\u00e9pendra de sa capacit\u00e9 \u00e0 retomber sur terre, \u00e0 admettre que l\u2019arm\u00e9e russe est en train de pr\u00e9parer son offensive d\u2019hiver, que le rapport des forces est sans \u00e9quivoque en sa d\u00e9faveur, bref qu\u2019il ne peut gagner militairement mais va devoir n\u00e9gocier un compromis s\u2019il veut pr\u00e9server le peu qui reste de son pays plong\u00e9 dans le noir, le froid, le d\u00e9labrement \u00e9conomique et dont m\u00eame le syst\u00e8me de t\u00e9l\u00e9communications est de plus en plus al\u00e9atoire ?<\/p>\n\n\n\n
Bref, V. Zelinsky est entre le marteau et l\u2019enclume. Il sait bien, comme d\u2019ailleurs les Polonais, que seule une zone d\u2019exclusion a\u00e9rienne au-dessus du ciel ukrainien aurait une chance peut-\u00eatre de pr\u00e9server ce qu\u2019il lui reste de forces. Mais c\u2019est hors de question pour Washington. Ses alli\u00e9s occidentaux semblent d\u2019ailleurs connaitre une phase de lassitude et d\u2019inqui\u00e9tude devant le jusqu\u2019au-boutisme de plus en plus d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de leur proxy. Les stocks europ\u00e9ens et m\u00eame am\u00e9ricains d\u2019armements sont en train de fondre, et nos arm\u00e9es vont bient\u00f4t refuser de s\u2019affaiblir davantage pour le renforcer. Les armes qui sont donn\u00e9es \u00e0 Kiev de toute fa\u00e7on ne renverseront pas la donne militaire. \u00ab On \u00bb ne le peut ni surtout ne le veut pas, et le jeu des postures commence \u00e0 montrer ses limites. Le premier ministre britannique Richie Sunak est venu le dire \u00e0 Kiev il y a quelques jours. Rien n\u2019a filtr\u00e9 de l\u2019entretien qui a d\u00fb \u00eatre d\u00e9sagr\u00e9able aux oreilles de Zelenski…<\/p>\n\n\n\n
Certes il y a, aux Etats-Unis, les faucons d\u00e9mocrates neoconservateurs forcen\u00e9s autour du secr\u00e9taire d\u2019Etat Blinken et de son D\u00e9partement… Mais ils sont eux aussi de plus en plus en butte aux r\u00e9serves, pour dire le moins, du Pentagone. Le Secr\u00e9taire d\u2019Etat \u00e0 la d\u00e9fense Lloyd Austin a tr\u00e8s r\u00e9cemment rappel\u00e9 lors d\u2019une conf\u00e9rence \u00e0 Halifax (o\u00f9 Zelenski est apparu pour dire qu\u2019un cessez-le-feu n\u2019avait aucune chance de durer, ce qui est probablement vrai \u00e0 ce stade du conflit), que \u00ab la Russie disposait d\u2019une arm\u00e9e puissante et d\u2019armes impressionnantes \u00bb. Il a aussi dit l\u2019indicible : \u00ab l\u2019issue de la guerre en Ukraine d\u00e9finira les contours du monde du 21eme si\u00e8cle \u00bb ! Rien de moins. Le CEMA am\u00e9ricain, le Gal Milley a lui clairement affirm\u00e9 que la seule issue \u00e0 ce conflit est la n\u00e9gociation. Quant au secr\u00e9taire g\u00e9n\u00e9ral de l\u2019OTAN, il a abond\u00e9 en rappelant qu\u2019une d\u00e9faite de l\u2019Ukraine serait aussi celle de l\u2019Alliance. Barak Obama lui-m\u00eame, en 2016 d\u00e9j\u00e0, avait reconnu que la Russie disposait d\u2019une incontestable \u00ab dominance dans la capacit\u00e9 d\u2019escalade \u00bb. Il parlait d\u2019or. Mais cette soudaine lucidit\u00e9 arrive bien tard.<\/p>\n\n\n\n
Si l\u2019enjeu est celui d\u2019un retour \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 Kiev comme \u00e0 Washington, Londres ou Paris, le conflit des perceptions et surtout des \u00ab informations \u00bb brouille cette prise de conscience urgentissime. Les m\u00e9dias occidentaux persistent \u00e0 voir dans les quelques avanc\u00e9es des forces ukrainiennes (par retrait des troupes russes) comme \u00e0 Kharkov ou Kherson, les pr\u00e9mices d\u2019une grande victoire militaire ukrainienne. On en est pourtant loin. Kherson, cadeau empoisonn\u00e9, devient tr\u00e8s difficile \u00e0 approvisionner et les forces ukrainiennes toujours sous le feu russe depuis la rive est du Dniepr, commencent \u00e0 appeler les habitants \u00e0 la quitter. Les pertes sont lourdes, et les forces arm\u00e9es de Kiev sont de plus en plus suppl\u00e9\u00e9es par des troupes polonaises voir am\u00e9ricaines pr\u00e9sentes au nom d\u2019une discr\u00e8te \u00ab coalition des bonnes volont\u00e9s \u00bb sans pour autant vouloir le moins du monde provoquer de trop une Russie en train de se pr\u00e9parer \u00e0 une offensive d\u2019hiver et d\u2019injecter m\u00e9thodiquement ses 300 000 r\u00e9servistes r\u00e9cemment mobilis\u00e9s. La Russie se pr\u00e9pare \u00e0 durer et poursuivre sa guerre d\u2019attrition avec des objectifs de moins en moins limit\u00e9s. L\u2019\u00e9chec de la politique de sanctions et la description r\u00e9cente par le vice-premier ministre russe de son pays comme d\u2019une \u00ab \u00eele de stabilit\u00e9 \u00bb dans un monde chaotique, m\u00eame si elle doit \u00eatre \u00e9videmment pond\u00e9r\u00e9e, traduit une r\u00e9alit\u00e9 douloureuse. Le fantasme des neoconservateurs am\u00e9ricains de d\u00e9truire l\u2019\u00e9conomie, l\u2019arm\u00e9e et le pouvoir russes a explos\u00e9 en vol. Les USA et plus encore l\u2019Europe se sont laiss\u00e9 entrainer par l\u2019Ubris belliqueux de certaines de leurs composantes gouvernementales et politiques dans un pi\u00e8ge dont l\u2019issue pourrait bien \u00eatre la d\u00e9monstration \u00e9clatante du d\u00e9clin de l\u2019Occident et la fin de l\u2019h\u00e9g\u00e9mon am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n
En fait, nous faisons face \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9 douloureuse de sortir de notre r\u00eave- abattre la Russie- avant que la d\u00e9route ne soit trop humiliante. Deux m\u00e9thodes s\u2019offrent pour cela aux Am\u00e9ricains : la m\u00e9thode \u00ab douce \u00bb, consistant \u00e0 laisser Zelenski s\u2019enfoncer en le l\u00e2chant progressivement et en lui disant que c\u2019est \u00e0 lui de d\u00e9cider quand il faudra n\u00e9gocier avec Moscou ; la m\u00e9thode \u00ab radicale \u00bb, en fait plus b\u00e9n\u00e9fique dans ses effets pour le pays et le peuple ukrainien : n\u00e9gocier directement avec Moscou un compromis territorial et surtout strat\u00e9gique (c\u2019est-\u00e0-dire la neutralisation d\u00e9finitive de l\u2019Ukraine), ass\u00e9cher brutalement le flux d\u2019armes et d\u2019argent pour imposer les termes d\u2019un accord r\u00e9aliste \u00e0 Zelenski qui devra faire de n\u00e9cessit\u00e9 vertu et y trouverait une \u00ab excuse \u00bb aupr\u00e8s des ultras qui l\u2019entourent.<\/p>\n\n\n\n
Dans un monde en noir et blanc tel que nous aimons le voir, supporter que \u00ab le m\u00e9chant \u00bb gagne n\u2019est pas facile. Mais c\u2019est ce qui nous pr\u00e9serverait de pire encore. On pourrait inscrire une telle n\u00e9gociation dans une vaste refondation intelligente des \u00e9quilibres de s\u00e9curit\u00e9 en Europe et reconstruire \u00e0 grands frais l\u2019Ukraine pour se faire pardonner de l\u2019avoir instrumentalis\u00e9e\u2026Mais pour avoir le courage d\u2019une telle approche, qui douchera les opinions publiques occidentales, il faudrait des hommes d\u2019Etat capables de prendre ces d\u00e9cisions douloureuses et salutaires. Or, c\u2019est une esp\u00e8ce en voie de disparition en Occident, o\u00f9 les politiques \u00e0 courte vue appuy\u00e9s sur des m\u00e9dias peu critiques, bercent complaisamment les peuples d\u2019illusions et de \u00ab narratifs \u00bb engageants mais faux, pour obtenir leur consentement \u00e0 l\u2019affrontement tout en leur promettant qu\u2019il ne leur en coutera pas grand-chose. Cette fois-ci pourtant, ce mensonge devient trop gros : Les sanctions sont un \u00e9chec, les Europ\u00e9ens ont froid, voient leur richesse fondre \u00e0 vue d\u2019\u0153il et commencent \u00e0 se demander s\u2019ils ne seraient pas les dindons ultimes de cette farce.<\/p>\n\n\n\n
Les Etats-Unis devraient aussi se demander pourquoi ils se sont engag\u00e9s si loin et finalement ont acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 la bascule du monde et notamment des pays du sud \u00e0 leur d\u00e9triment ? Sans doute auraient-ils eu plus \u00e0 gagner en poussant les Ukrainiens \u00e0 appliquer les Accords de Minsk 2 au lieu de les en dissuader, et plus encore \u00e0 n\u00e9gocier un trait\u00e9 honn\u00eate et \u00e9quilibr\u00e9 sur la s\u00e9curit\u00e9 en Europe avec la Russie quand celle-ci le demandait \u00e0 toutes forces, encore en d\u00e9cembre dernier, au lieu de franchir la ligne rouge ukrainienne la fleur au fusil\u2026des Ukrainiens.<\/p>\n\n\n\n
Nous sommes d\u00e9sormais engag\u00e9s dans une longue guerre d\u2019attrition et l\u2019Occident risque d\u2019en sortir avec un discr\u00e9dit politique, strat\u00e9gique et militaire massif. Ne parlons pas de l\u2019OTAN\u2026Quant \u00e0 l\u2019Europe, ainsi que l\u2019a rappel\u00e9 le G\u00e9n\u00e9ral de Villiers, cette guerre n\u2019est pas de son int\u00e9r\u00eat, encore moins de celui de la France, qui doivent entretenir des relations normales et apais\u00e9es avec la Russie. Est-il trop tard pour casser cette spirale dangereuse et sortir de ce pi\u00e8ge ? Il faudrait que Washington choisisse vite la m\u00e9thode dure \u00e9voqu\u00e9e plus haut. Comme l\u2019a r\u00e9cemment rappel\u00e9 Dimitri Medvedev, les puissances occidentales sont pi\u00e9g\u00e9es dans un soutien \u00e0 un gouvernement irresponsable qui ne peut lui-m\u00eame, sans pr\u00e9cipiter sa propre perte, n\u00e9gocier le compromis indispensable ; car celui-ci va devoir se discuter \u00ab sur la base de la r\u00e9alit\u00e9 existante \u00bb ainsi que r\u00e9cemment rappel\u00e9 par Serguei Lavrov, c\u2019est-\u00e0-dire sur la base du contr\u00f4le de plus en plus avanc\u00e9 des 4 oblasts int\u00e9gr\u00e9s formellement \u00e0 la F\u00e9d\u00e9ration de Russie. Evidemment, en Europe et dans certains cercles de pouvoir \u00e0 Washington, \u00ab la r\u00e9alit\u00e9 existante \u00bb est un d\u00e9ni de la r\u00e9alit\u00e9 militaire, c\u2019est-\u00e0-dire un recul des forces russes dont on veut croire qu\u2019elles sont exsangues\u2026. Il faut souhaiter que dans ces querelles des chapelles washingtoniennes, les r\u00e9alistes et les militaires l\u2019emportent et entament une n\u00e9gociation directe avec Moscou. La r\u00e9cente rencontre entre les chefs du renseignement am\u00e9ricain et russe est peut-\u00eatre un heureux pr\u00e9sage. Il faut le souhaiter pour le malheureux peuple ukrainien mais aussi pour notre s\u00e9curit\u00e9 \u00e0 tous.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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