{"id":16516,"date":"2021-11-29T17:58:50","date_gmt":"2021-11-29T16:58:50","guid":{"rendered":"https:\/\/geopragma.fr\/?p=16516"},"modified":"2021-11-30T12:12:47","modified_gmt":"2021-11-30T11:12:47","slug":"de-la-difficulte-geopolitique-daimer-son-prochain-comme-soi-meme","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/de-la-difficulte-geopolitique-daimer-son-prochain-comme-soi-meme\/","title":{"rendered":"De la difficult\u00e9 g\u00e9opolitique d\u2019aimer son prochain comme soi-m\u00eame"},"content":{"rendered":"\t\t
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Billet du lundi 29 novembre par Alexis Feertchak, membre fondateur de Geopragma.<\/em><\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Je me souviens d\u2019une r\u00e9flexion que m\u2019avait faite mi-ao\u00fbt un philosophe \u00e0 propos de la prise de Kaboul par les Talibans et du retrait des troupes am\u00e9ricaines : \u00abMais c\u2019est abominable, on ne peut pas ne rien faire\u00a0!<\/em>\u00bb Elle venait droit du c\u0153ur et n\u2019\u00e9tait pas feinte. Sans cynisme aucun, mais au contraire avec un brin de col\u00e8re m\u00eal\u00e9e de tristesse, j\u2019avais r\u00e9pondu\u00a0: \u00abMalheureusement si\u00a0! Nous n\u2019avons d\u2019ailleurs rien fait pendant des ann\u00e9es alors que les talibans contr\u00f4laient d\u00e9j\u00e0 une bonne part du territoire afghan et que les horreurs que l\u2019on voit aujourd\u2019hui se produisaient d\u00e9j\u00e0 dans les campagnes. Nous r\u00e9agissons car les cam\u00e9ras sont braqu\u00e9es sur Kaboul, mais, d\u00e8s qu\u2019elles se d\u00e9tourneront, nous n\u2019y penserons plus. C\u2019est terrible, mais c\u2019est ainsi<\/em>\u00bb.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Il n\u2019\u00e9tait pas besoin d\u2019\u00eatre proph\u00e8te pour savoir que ce serait le cas. De m\u00eame que l\u2019on a m\u00e9diatiquement oubli\u00e9 l\u2019Afghanistan pendant des ann\u00e9es \u2013 sauf, et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 heureux, quand nos soldats y mouraient \u2013 et que le retour tr\u00e8s progressif des Talibans au pouvoir depuis une dizaine d\u2019ann\u00e9es n\u2019a occup\u00e9 qu\u2019une place absolument r\u00e9siduelle dans le flux de l\u2019actualit\u00e9, sauf au moment de bascule du mois d’ao\u00fbt 2021, l\u2019Afghanistan a de nouveau quasi disparu des \u00e9crans radar, hormis quelques papiers remarquables sur la nouvelle vie des Afghans \u00e0 l\u2019heure du second \u00abEmirat islamique\u00bb.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Mais le philosophe que je mentionnais n\u2019\u00e9tait point na\u00eff et son expression \u00abon ne peut pas ne rien faire<\/em>\u00bb n\u2019\u00e9tait aucunement une pr\u00e9diction de ce qui serait, mais bien plut\u00f4t une consid\u00e9ration d\u2019ordre moral. Si l\u2019on ob\u00e9it au devoir d\u00e9ontologique qui nous interdit de ne rien faire, alors, effectivement, on ne peut pas ne rien faire, sauf \u00e0 aller l\u2019encontre de ce m\u00eame devoir. Par cette phrase, il r\u00e9v\u00e9lait un scandale \u2013 au sens \u00e9tymologique de skandalon<\/em>, l\u2019obstacle qui nous fait tomber, la pierre d\u2019achoppement \u2013 paradoxalement \u00e9touff\u00e9\u00a0: notre sentiment moral est incroyablement limit\u00e9 dans l\u2019espace et dans le temps. Dans le temps d\u2019abord, la sc\u00e8ne d\u2019une d\u00e9capitation, d\u2019une lapidation, d\u2019une fusillade ou d\u2019une pendaison nous fait intens\u00e9ment souffrir sur le moment, mais, comme pour les souffrances que nous pouvons vivre, le temps fait son \u0153uvre, plus vite encore. La souffrance se dissipe, s\u2019att\u00e9nue, cicatrise par l\u2019oubli. C\u2019est tragique, mais nous ne pourrions probablement pas survivre – ni individuellement, ni collectivement – si le temps n\u2019apaisait pas les peines. Les plus grands traumatismes sont pr\u00e9cis\u00e9ment ceux qui ne passent pas avec le temps. De sorte que, si la sc\u00e8ne originelle de la violence nous touche au plus profond de nous, ses cons\u00e9quences tragiques rayonnent bien moins. Nous pensons \u00e0 la femme afghane qui a \u00e9t\u00e9 assassin\u00e9e, mais, chaque jour qui passe, nous oublions un peu plus la souffrance de ses enfants, laquelle, tr\u00e8s certainement, ne passe pas aussi vite que notre propre compassion.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Dans l\u2019espace ensuite. Qu\u2019on le veuille ou non, la d\u00e9capitation d\u2019un membre de notre propre famille nous touche davantage que celle de l\u2019un de nos compatriotes qui, elle-m\u00eame, nous touche davantage que celle d\u2019un Afghan. L\u2019intensit\u00e9 de notre sentiment moral se r\u00e9duit de conserve avec la distance. Dans son Projet de paix perp\u00e9tuelle<\/em> qu\u2019il publia en 1795, Emmanuel Kant \u00e9crivait\u00a0: \u00ab La violation du droit en un seul lieu de la terre est partout ressentie<\/i>\u00bb. Mais, l\u00e0 encore, le philosophe des Lumi\u00e8res ne d\u00e9crit pas ce qui est, mais ce qui devrait \u00eatre dans le cadre d\u2019une \u00abcommunaut\u00e9 \u00e9largie<\/i>\u00bb dans laquelle la r\u00e8gle de droit aboutirait pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 une \u00abpaix perp\u00e9tuelle<\/i>\u00bb. L\u2019id\u00e9e est belle, mais bien \u00e9loign\u00e9e des r\u00e9alit\u00e9s internationales. Et pourtant, les ann\u00e9es post-Guerre froide ont \u00e9t\u00e9 celles d’un tel r\u00eave kantien\u00a0: par l\u2019affermissement de la r\u00e8gle de droit, par l\u2019extension de la logique du doux commerce et par l\u2019exportation de la d\u00e9mocratie, la \u00abfin de l\u2019histoire<\/i>\u00bb annonc\u00e9e par Fukuyama \u00e9tait en vue. Les conditions d\u2019une paix perp\u00e9tuelle \u00e9taient r\u00e9unies\u00a0: il ne resterait au bienveillant, mais puissant gendarme am\u00e9ricain qu\u2019\u00e0 mater les derni\u00e8res escarmouches.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Droit, \u00e9conomie, commerce\u2026 il faudrait ajouter \u00abm\u00e9dias<\/i>\u00bb \u00e0 la liste car l\u2019id\u00e9e de la mondialisation \u00e9tait aussi celle de la fabrique d\u2019une opinion publique mondiale qui, justement, ne laisserait aucun coin de la plan\u00e8te dans l\u2019oubli moral. Les journalistes, \u00e0 cet \u00e9gard, serviraient de m\u00e9dias et de m\u00e9diateurs pour que tout un chacun puisse \u00abressentir la violation du droit en un seul lieu de la terre<\/i>\u00bb. Est-il besoin de pr\u00e9ciser que, l\u00e0 encore, le projet kantien a \u00e9chou\u00e9 ? L\u2019acc\u00e9l\u00e9ration de la mondialisation apr\u00e8s la chute du mur de Berlin n\u2019a pas cr\u00e9\u00e9 cette \u00abcommunaut\u00e9 \u00e9largie<\/i>\u00bb kantienne.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Dans un brillant essai, Le Premier XXIe si\u00e8cle. De la globalisation \u00e0 l\u2019\u00e9miettement du <\/em>monde<\/i>, l\u2019ancien secr\u00e9taire g\u00e9n\u00e9ral adjoint des Nations unies, en charge des op\u00e9rations de maintien de la paix de 2000 \u00e0 2008, Jean-Marie Gu\u00e9henno, l\u2019a r\u00e9cemment reconnu\u00a0: \u00abNous avons n\u00e9glig\u00e9 le fait que [\u2026] la g\u00e9ographie n\u2019a pas disparu. Nous sommes plus attach\u00e9s \u00e0 notre famille qu\u2019\u00e0 des inconnus [\u2026] Le sort de notre patrie nous mobilise plus que celui d\u2019un pays dont nous ignorons presque tout. Il n\u2019y a pas de honte \u00e0 avoir de telles \u00e9motions, qui contrecarrent l\u2019universalisme de la raison [\u2026] La circulation des hommes et des id\u00e9es ne cr\u00e9e pas une grande communaut\u00e9 humaine [\u2026] 1989 n\u2019a pas produit la mondialisation politique et morale esp\u00e9r\u00e9e<\/em>\u00bb.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 On peut le regretter, mais c\u2019est ainsi : quand on pense aux trag\u00e9dies qui se d\u00e9roulent aux quatre coins de la plan\u00e8te et qu\u2019on se demande ce qu\u2019on peut faire, il faut qu\u2019une petite voix int\u00e9rieure nous rappelle cette le\u00e7on de modestie morale : attention, le jugement que nous portons \u00e0 telle heure vers tel lieu se dissipera. Contrairement \u00e0 la douleur de ceux vers qui nous portons notre regard quelques heures, dans le sillage d\u2019un journal t\u00e9l\u00e9vis\u00e9.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Ren\u00e9 Girard avait coutume de dire que \u00abnous ne sommes pas assez chr\u00e9tiens<\/i>\u00bb pour \u00eatre \u00e0 la hauteur du message des Evangiles. \u00abAimer son prochain comme soi-m\u00eame<\/i>\u00bb est l\u2019exigence morale la plus radicale qui n\u2019a jamais r\u00e9uni autant de monde autour d\u2019elle. Aimer son prochain comme soi-m\u00eame, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ne pas s\u2019aimer soi davantage, mais par ailleurs ne pas aimer ses propres enfants davantage que ceux qui tra\u00eenent dans les rues de Kaboul, ne pas aimer davantage ses compatriotes que l\u2019\u00e9tranger. Ce n\u2019est pas pour rien que les Saints ne courent pas les rues\u2026 Quoique l\u2019on puisse le regretter, fonder une politique sur une telle exigence morale \u00e9tait probablement trop pr\u00e9somptueux.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 D\u2019autant que, toujours dans le sillage de Ren\u00e9 Girard et de sa th\u00e9orie du d\u00e9sir mim\u00e9tique, l\u2019on peut d\u00e9nombrer deux fa\u00e7ons de mal \u00abaimer son prochain comme soi-m\u00eame<\/i>\u00bb. La premi\u00e8re est celle qui pr\u00e9vaut dans les salons chics de la gauche germanopratine. L\u2019intention est bonne, mais biais\u00e9e : par mim\u00e9tisme, l\u2019on projette sur les victimes afghanes notre propre visage de sorte qu\u2019en les aimant, nous les voyons \u00abcomme nous-m\u00eames<\/i>\u00bb, autrement dit lib\u00e9rales, progressistes, inclusives, bref, en un mot, occidentalis\u00e9es. Il n\u2019est pas \u00e9tonnant \u00e0 cet \u00e9gard que nos sentiments moraux se portent davantage vers la jeunesse \u00e9duqu\u00e9e de Kaboul que vers les campagnes recul\u00e9es d\u2019Afghanistan. Le risque est alors de percevoir un Afghanistan fantasm\u00e9. Que 99% des Afghans soient favorables \u00e0 l\u2019application de la Charia (chiffre le plus \u00e9lev\u00e9 au sein des pays musulmans, selon un sondage du PEW), qu\u2019un nombre important d\u2019Afghans se satisfassent de la prise de pouvoir des Talibans, non par malignit\u00e9 mais dans l\u2019espoir que la corruption y soit moins \u00e9lev\u00e9e, que la justice y soit plus efficace et que l\u2019ordre public y soit mieux respect\u00e9, appara\u00eet d\u00e8s lors comme un scandale incompatible avec notre jugement moral seulement soluble dans une figure d\u2019autrui construite \u00e0 notre propre image. Nous aimons notre prochain\u2026 comme nous-m\u00eames, comme un autre nous-m\u00eames, et voil\u00e0 bien le probl\u00e8me. L\u2019aimer malgr\u00e9 sa diff\u00e9rence est une autre affaire. Comme le disait Chesterton, le monde est \u00abplein d\u2019id\u00e9es chr\u00e9tiennes devenues folles<\/i>\u00bb : le monde occidental \u00e9l\u00e8ve la \u00abdiff\u00e9rence<\/i>\u00bb en vertu, mais a le plus grand mal \u00e0 ne pas combler la diff\u00e9rence de l\u2019autre par son propre visage.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 La seconde mauvaise fa\u00e7on d\u2019\u00abaimer son prochain comme soi-m\u00eame<\/i>\u00bb est similaire \u00e0 la premi\u00e8re tout en \u00e9tant son oppos\u00e9, comme par un jeu de miroir : elle consiste \u00e0 aimer son prochain comme il est, mais en se rejetant soi-m\u00eame. Par ressentiment, l\u2019on \u00e9pouse l\u2019univers de victimes dont nous serions les bourreaux. Autrement dit, \u00abnous nous aimons comme notre prochain nous aime<\/i>\u00bb. Ou plut\u00f4t \u00abnous nous ha\u00efssons comme notre prochain nous hait<\/i>\u00bb. En pratique, cela donne la fascination morbide d\u2019une partie de l\u2019extr\u00eame gauche pour le port du voile et plus largement pour un islam politique dont ils se font les coupables d\u00e9fenseurs. L\u00e0 encore une id\u00e9e chr\u00e9tienne devenue folle, celle de tendre la joue \u00e0 son agresseur. Mais tendre la joue ne consiste pas \u00e0 s\u2019identifier \u00e0 son agresseur en reconnaissant que nous sommes aussi p\u00e9cheurs\u2026 Elle consiste justement \u00e0 ne pas c\u00e9der \u00e0 l\u2019envie mim\u00e9tique de faire subir \u00e0 autrui ce qu\u2019il nous fait subir, seule mani\u00e8re de sortir de l\u2019enfer circulaire de la violence. \u00a0<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 En somme, la mondialisation post-1989 n\u2019a pas produit cette \u00abcommunaut\u00e9 politique \u00e9largie<\/i>\u00bb qui aurait pu prosp\u00e9rer sur la capacit\u00e9 infinie des hommes \u00e0 ressentir universellement la moindre violence dans le temps et dans l’espace. Le r\u00eave kantien de cosmopolitisme appara\u00eet plus loin que jamais de sa r\u00e9alisation. Nous red\u00e9couvrons au contraire que l\u2019on aime davantage celui qui est proche de nous que celui qui ne l\u2019est pas et que le temps fait son \u0153uvre. Pis, l\u2019\u00e8re du zapping m\u00e9diatique qui s\u2019acc\u00e9l\u00e8re de fa\u00e7on exponentielle avec les r\u00e9seaux sociaux aggrave ce que Jean-Marie Gu\u00e9henno appelle l\u2019\u00ab\u00e9miettement du monde<\/i>\u00bb. Notre m\u00e9moire est aujourd\u2019hui si courte que, si nous devions un jour faire la guerre pour sauver notre prochain, nous n\u2019aurions probablement que quelques heures pour la gagner\u2026 Quelques jours plus tard, notre prochain ayant quitt\u00e9 les feux de l\u2019actualit\u00e9, notre volont\u00e9 de vaincre s\u2019en trouvera gravement affect\u00e9e. Or, \u00e0 l\u2019image de l\u2019Afghanistan \u2013 vingt ans ! \u2013, les guerres contemporaines, qui comportent une dimension essentielle de contre-insurrection, sont aux antipodes de la \u00abblitzkrieg<\/i>\u00bb. Et quand bien m\u00eame nous serions anim\u00e9s d\u2019un intense d\u00e9sir de \u00abressentir la violation du droit en un seul lieu de la terre<\/i>\u00bb comme un bon sujet kantien, le risque, alors, serait de mal aimer son prochain, soit en y projetant notre propre image, soit en s\u2019identifiant \u00e0 lui jusqu\u2019\u00e0 la haine de soi.<\/p>\n

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\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 Pour autant, la solution r\u00e9aliste n\u2019est certainement pas non plus la logique de l\u2019amour-propre que d\u00e9crit (et d\u00e9crie) Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l\u2019origine et les fondements de l\u2019in\u00e9galit\u00e9 parmi les hommes<\/em>\u00a0: \u00abC\u2019est la raison qui replie l\u2019homme sur lui-m\u00eame ; c\u2019est elle qui le s\u00e9pare de tout ce qui le g\u00eane et l\u2019afflige. C\u2019est par elle qu\u2019il dit en secret, \u00e0 l\u2019aspect d\u2019un homme souffrant : p\u00e9ris si tu veux, je suis en s\u00fbret\u00e9<\/i>\u00bb. Elle consisterait \u00e0 croire que l\u2019on peut se pr\u00e9munir du malheur de l\u2019humanit\u00e9 en se s\u00e9parant de celle-ci. Vaine attitude qui ne tiendrait pas du r\u00e9alisme, mais du cynisme. Le r\u00e9alisme est bien plus tragique. Politiquement, on ne peut certes pas ne pas agir, mais n\u2019oublions pas nos propres limites morales\u00a0: nous savons d\u2019ores et d\u00e9j\u00e0, car nous ne sommes pas des saints, que nous ne ferons pas le bonheur des autres comme s\u2019il s\u2019agissait du n\u00f4tre. Nous le voyons dans les guerres que nous menons en Afghanistan, en Irak ou au Sahel et pour lesquelles nous n\u2019apparaissons pas pr\u00eats \u00e0 investir dans la dur\u00e9e le prix du sang et de l\u2019argent\u00a0: in fine<\/i>, le rem\u00e8de s\u2019av\u00e8re souvent pire que le mal. Nous le voyons aussi \u00e0 travers la crise migratoire\u00a0o\u00f9 point une certaine hypocrisie\u00a0lib\u00e9rale : en un mot, nos intentions sont souvent meilleures que nos actions. Ce d\u00e9calage grandissant entre nos principes d\u2019accueil et la r\u00e9alit\u00e9 de nos politiques est d\u2019autant plus incons\u00e9quent que la situation s\u2019aggravera n\u00e9cessairement dans les ann\u00e9es \u00e0 venir sous l\u2019effet cumul\u00e9 de crises \u00e9cologique, \u00e9nerg\u00e9tique, \u00e9conomique, sociale, politique et d\u00e9mographique\u00a0qui frapperont particuli\u00e8rement le continent africain et le Moyen-Orient. Comment agirons-nous alors\u00a0quand le nombre de migrants qui traverseront la M\u00e9diterran\u00e9e sera encore bien plus grand qu\u2019aujourd\u2019hui ? C\u2019est probablement l\u2019une des plus graves questions que nous avons \u00e0 nous poser politiquement. Elle est plus terrible encore en prenant conscience de nos capacit\u00e9s morales que l\u2019actualit\u00e9 r\u00e9v\u00e8le chaque jour limit\u00e9es.\u00a0<\/p>\n

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