{"id":14069,"date":"2021-03-01T14:31:39","date_gmt":"2021-03-01T13:31:39","guid":{"rendered":"https:\/\/geopragma.fr\/?p=14069"},"modified":"2021-09-17T13:14:06","modified_gmt":"2021-09-17T11:14:06","slug":"la-france-fille-des-etats-unis-et-de-leurope","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/la-france-fille-des-etats-unis-et-de-leurope\/","title":{"rendered":"La France, fille des Etats-Unis et de l\u2019Europe"},"content":{"rendered":"\t\t
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Billet du lundi 1er mars 2021 par Alexis Feertchak, membre fondateur de Geopragma.<\/p>\n
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On pourrait appeler \u00e7a un lapsus g\u00e9opolitique. \u00abH\u00e9siter entre autonomie strat\u00e9gique (europ\u00e9enne, NDLR) et alliance atlantique, c’est un peu comme demander \u00e0 un enfant s’il pr\u00e9f\u00e8re sa m\u00e8re ou son p\u00e8re<\/i>\u00bb, a d\u00e9clar\u00e9 la ministre des Arm\u00e9es, Florence Parly, lors d\u2019un long entretien avec la revue Le Grand Continent<\/i>. <\/p>\n
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L\u2019on comprend intuitivement ce que veut dire Madame Parly : dans l\u2019esprit de ceux qui nous gouvernent, particuli\u00e8rement depuis Nicolas Sarkozy, l\u2019OTAN et la construction europ\u00e9enne sont deux processus qui auraient pour l\u2019avenir force de destin. Il n\u2019y aurait pas d\u2019autre ligne d\u2019horizon que cette double int\u00e9gration de la France dans deux ensembles plus grands qu\u2019elle mais qui, entre eux, ne seraient pas pour autant en concurrence. A l\u2019Union europ\u00e9enne, l\u2019\u00e9dification des normes juridiques, politiques, \u00e9conomiques et sociales ; \u00e0 l\u2019OTAN l\u2019expression de la puissance par le biais de l\u2019outil militaire. Ce sont deux logiques imp\u00e9riales distinctes, mais compatibles l\u2019une avec l\u2019autre, dont les centres respectifs se situeraient respectivement \u00e0 Bruxelles et \u00e0 Washington. Nous sommes tellement habitu\u00e9s \u00e0 cette subordination \u00e0 deux t\u00eates qu\u2019elle nous appara\u00eet des plus naturelles, m\u00eame si elle est rarement formalis\u00e9e comme telle. Attention, quand je parle d\u2019empire, je ne pense pas \u00e0 une h\u00e9g\u00e9monie totale qui s\u2019exercerait en tout lieu avec la m\u00eame force. Un empire ne demande pas \u00e0 chacun de ses membres \u2013 notamment aux plus \u00e9loign\u00e9s \u2013 d\u2019\u00eatre des Romains \u00e0 part enti\u00e8re. Qu\u2019ils soient des Gallo-Romains suffit largement \u00e0 la logique imp\u00e9riale. C\u2019est un r\u00e9gime de semi-libert\u00e9 au sens o\u00f9, sur toutes les questions d\u2019ordre secondaire, l\u2019ancien barbare a la chance de pouvoir le rester un peu. Mais le centre de l\u2019empire rayonnant, il perd un peu de sa barbarie par l\u2019action de cette force d\u2019attraction qui l\u2019influence. Plus on se rapproche du centre, plus les Gallo-Romains sont romains et moins ils sont gaulois. Plus on se rapproche du centre, moins cette semi-libert\u00e9 se manifeste, mais, en \u00e9change, plus le pouvoir au sein de l\u2019empire est grand. Dans les marches de l\u2019empire, o\u00f9 la force d\u2019attraction est minimale, la libert\u00e9 y est la plus grande, mais le pouvoir le plus faible. On y vit comme en Gaule, mais on n\u2019y \u00e9crit pas l\u2019histoire. Ce qui y manquera toujours, c\u2019est l\u2019alliance de la libert\u00e9 et du pouvoir. On peut avoir plus de l\u2019un et moins de l\u2019autre, mais pas les deux. Ce qui manquera donc toujours, c\u2019est la souverainet\u00e9 politique, ligne rouge infranchissable de la logique imp\u00e9riale.<\/p>\n
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Comme l\u2019ont bien montr\u00e9 R\u00e9gis Debray et Peter Sloterdijk, cette logique imp\u00e9riale est aujourd’hui encore celle qui s\u2019impose dans l\u2019ordre occidental. Que des vieux Etats souverains se r\u00e9veillent aujourd\u2019hui \u2013 Russie, Turquie, Iran, Inde, Chine \u2013 nous laissent aussi pantois que d\u00e9contenanc\u00e9s. Mais comment peut-on ne pas vouloir de la douceur d\u2019\u00eatre gallo-romain ? Comment peut-on \u00eatre seulement gaulois ?<\/p>\n
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C\u2019est bien l\u00e0 que ces quelques mots de Florence Parly, si clairement exprim\u00e9s, nous sautent \u00e0 la figure. \u00abH\u00e9siter entre autonomie strat\u00e9gique (europ\u00e9enne, NDLR) et alliance atlantique, c’est un peu comme demander \u00e0 un enfant s’il pr\u00e9f\u00e8re sa m\u00e8re ou son p\u00e8re.<\/i>\u00bb Voici que la France mill\u00e9naire, par un \u00e9tonnant retournement chronologique, devient la fille de l\u2019OTAN, n\u00e9e en 1949, et de l\u2019Union europ\u00e9enne, n\u00e9e en 1958. Dit autrement, la France est la fille des Etats-Unis et de l\u2019Europe. Va encore pour les Etats-Unis, cela peut se comprendre comme la simple traduction d\u2019un rapport de force entre deux autorit\u00e9s distinctes, l\u2019une l\u2019emportant sur l\u2019autre. Mais quid<\/em> de l\u2019Europe ? La France et les autres nations europ\u00e9ennes (il faudrait quand m\u00eame demander aux Allemands ce qu\u2019ils en pensent\u2026) seraient filles de l\u2019Europe, qui, elle-m\u00eame, a \u00e9t\u00e9 engendr\u00e9e par la France et ces autres pays europ\u00e9ens ? Un psychanalyste se r\u00e9galerait d\u2019une telle filiation enchev\u00eatr\u00e9e.<\/p>\n <\/p>\n Si encore la France acceptait en conscience de n\u2019\u00eatre plus que la fille de l\u2019Europe et des Etats-Unis, soit. Nous rentrerions sagement dans la logique imp\u00e9riale et profiterions ainsi de la douceur de vivre du barbare qui ne l\u2019est plus compl\u00e8tement. Mais, en France, quelque chose r\u00e9siste, dont Emmanuel Macron est lui-m\u00eame la plus pure incarnation. Se vit-il comme le gouverneur d\u2019une satrapie \u00e9loign\u00e9e ou comme le pr\u00e9sident de la cinqui\u00e8me puissance mondiale ? Ai-je besoin de r\u00e9pondre ? A l\u2019\u00e9tranger, le pr\u00e9sident fran\u00e7ais fait doucement sourire avec son ego<\/em> surdimensionn\u00e9, sa pr\u00e9tention \u00e0 r\u00e9gir le monde entier, \u00e0 refonder l\u2019Europe, \u00e0 r\u00e9inventer le capitalisme (Angela Merkel a bien ri en prenant la parole apr\u00e8s lui lors du dernier sommet de Davos, il y a un mois environ) et \u00e0 se ceindre (aucune petite gloire n\u2019est \u00e0 n\u00e9gliger) du titre de Haut-commissaire de France au Levant (eh oui, r\u00e9glons le probl\u00e8me libanais puisque les Libanais eux-m\u00eames n\u2019en sont pas capables). You\u2019re so French, Hubert.<\/em><\/p>\n <\/p>\n Ce reliquat de puissance fran\u00e7aise, qui pr\u00eate \u00e0 sourire quand il n\u2019exasp\u00e8re pas, est la marque un brin path\u00e9tique de notre ambivalence : nous vivons selon la logique imp\u00e9riale, sans l\u2019accepter pleinement. Reste alors le d\u00e9ni, les actes manqu\u00e9s et les lapsus pour faire remonter \u00e0 la surface cette phrase du juriste Jean de Blanot (1230-1281) : \u00able Roi de France est empereur en son royaume<\/i>\u00bb. Toute l\u2019histoire de France a repr\u00e9sent\u00e9 un mouvement de r\u00e9sistance \u00e0 la forme imp\u00e9riale, et en particulier l\u2019\u00e9dification de notre nation par un Etat souverain qui l\u2019a pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e, de Philippe IV le Bel \u00e0 Charles de Gaulle en passant par la R\u00e9volution fran\u00e7aise. Cette histoire s\u00e9culaire ne sait aujourd\u2019hui comment s\u2019exprimer sinon par l\u2019expression d\u2019une grandeur un peu fantoche et par la pr\u00e9sence r\u00e9confortante d\u2019un pr\u00e9sident de la R\u00e9publique qui \u2013 au-del\u00e0 du cas extr\u00eame d\u2019Emmanuel Macron \u2013 conserve l\u2019apparence d\u2019un monarque tout puissant. Notre droit conserve lui aussi une certaine inertie. Si le droit de l\u2019Union europ\u00e9enne, par son int\u00e9gration dans les droits nationaux, diffuse jusque dans les plus lointaines juridictions et administrations, notre Constitution, elle, demeure l\u00e9g\u00e8rement \u00e9pargn\u00e9e. Certes, diront les plus eurosceptiques, l\u2019Union europ\u00e9enne fait depuis 1992 l\u2019objet d\u2019un passage entier, le titre XV, aujourd\u2019hui intitul\u00e9 \u00abDe l\u2019Union europ\u00e9enne<\/em>\u00bb et dont l\u2019article 88-1 dispose que \u00abla R\u00e9publique participe aux Communaut\u00e9s europ\u00e9ennes et \u00e0 l\u2019Union europ\u00e9enne, constitu\u00e9es d\u2019\u00c9tats qui ont choisi librement, en vertu des Trait\u00e9s qui les ont institu\u00e9es, d\u2019exercer en commun certaines de leurs comp\u00e9tences<\/em>\u00bb. Mais justement, l\u2019on comprend \u00e0 travers ces mots \u2013 n\u2019en d\u00e9plaise \u00e0 Madame Parly \u2013 que c\u2019est l\u2019Europe qui est la fille de la France et des autres pays qui la constituent ! Quant \u00e0 l\u2019OTAN, on a beau chercher, mais on n\u2019en trouve trace (en revanche, l\u2019organisation nord-atlantique est inscrite dans les Trait\u00e9s europ\u00e9ens). Lors, la France pourrait-elle \u00eatre la fille de deux organisations dont notre Grundnorm <\/em>nous dit pour l\u2019une qu\u2019elle en est la m\u00e8re et pour l\u2019autre qu\u2019elle n\u2019existe pas ? Par ailleurs, bien avant le Titre XV, vient le Titre I intitul\u00e9\u2026 \u00abDe la souverainet\u00e9<\/em>\u00bb o\u00f9 l\u2019on peut lire en son article 3, que \u00abla souverainet\u00e9 nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses repr\u00e9sentants et par la voie du r\u00e9f\u00e9rendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice<\/em>\u00bb. Ni aucune organisation ou Etat, a fortiori<\/em>. Si la France peut bien s\u00fbr lier son destin \u00e0 celui d\u2019autres nations \u2013 et cela est m\u00eame souhaitable, notamment avec les pays les plus proches d\u2019elle culturellement et historiquement, dont les Etats-Unis \u2013 elle ne pourra jamais le faire en tant que \u00abfille\u00bb, m\u00eame avec le r\u00e9confort narcissique de se dire qu\u2019elle est la \u00abfille a\u00een\u00e9e\u00bb. Cela ne signifie pas que l\u2019on doive sortir de l\u2019OTAN ou de l\u2019UE, seulement que l\u2019on vive ces coop\u00e9rations comme l\u2019expression m\u00eame de notre propre souverainet\u00e9 et non comme celle d\u2019une filiation qui, comme l\u2019expression pr\u00e9sidentielle de \u00absouverainet\u00e9 europ\u00e9enne\u00bb, ne repose que sur du sable. Il n\u2019y a ni m\u00e8re ni fille, ni p\u00e8re ni fils, mais des Etats souverains disposant d\u2019un pouvoir plus ou moins grand et d\u2019une histoire plus ou moins longue. La souverainet\u00e9 n\u2019est ni la croyance m\u00e9galomane que l\u2019on peut faire ce que l\u2019on veut, ni un repli autarcique, mais un choix premier d\u2019o\u00f9 d\u00e9coule toute l\u2019action politique. <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/section>\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Billet du lundi 1er mars 2021 par Alexis Feertchak, membre fondateur de Geopragma. 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