{"id":13563,"date":"2021-01-04T11:41:52","date_gmt":"2021-01-04T10:41:52","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=13563"},"modified":"2021-01-26T13:11:45","modified_gmt":"2021-01-26T12:11:45","slug":"comment-peut-on-etre-tigreen","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/comment-peut-on-etre-tigreen\/","title":{"rendered":"Comment peut-on \u00eatre Tigr\u00e9en ?"},"content":{"rendered":"\t\t
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Billet du lundi 4 janvier 2021 par G\u00e9rard Chesnel *<\/p>\n
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Le Tigr\u00e9, o\u00f9 est-ce ? Il faut dire que, coinc\u00e9 entre l\u2019Ethiopie, l\u2019Erythr\u00e9e et le Soudan, il ne retient gu\u00e8re l\u2019attention du monde ext\u00e9rieur que lorsque surviennent des catastrophes. Et pourtant\u2026 Et pourtant le Tigr\u00e9 a souvent jou\u00e9 un r\u00f4le important, voire majeur, dans l\u2019histoire de la Corne de l\u2019Afrique et au-del\u00e0. Souvenons-nous, aux VI\u00e8me et VII\u00e8me si\u00e8cles, du royaume, ou plut\u00f4t de l\u2019empire d\u2019Axoum, qui s\u2019\u00e9tendait de part et d\u2019autre de la mer Rouge. Bien plus tard, au XVIII\u00e8me si\u00e8cle, alors que le Tigr\u00e9 n\u2019\u00e9tait plus qu\u2019une province de l\u2019Abyssinie, son dirigeant historique, le ras<\/em> Mikael Sehul (1748-1779), v\u00e9ritable \u00ab faiseur de rois \u00bb, pla\u00e7ait et d\u00e9pla\u00e7ait les empereurs sur le tr\u00f4ne d\u2019Ethiopie \u00e0 sa guise et selon les int\u00e9r\u00eats du Tigr\u00e9. Et \u00e0 la fin de l\u2019\u00e8re des Princes, c\u2019est encore un Tigr\u00e9en, le ras<\/em> Wolde Selassie, qui tint le pays en tant que r\u00e9gent sous l\u2019autorit\u00e9 nominale du n\u00e9gus <\/em>Egwala Syon, jusqu\u2019\u00e0 sa mort en 1816. <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Apr\u00e8s la Seconde Guerre mondiale et l\u2019expulsion des Italiens, le Tigr\u00e9, fier de son glorieux pass\u00e9 et s\u2019estimant mal dirig\u00e9, se lan\u00e7a dans la r\u00e9bellion Woyane (1943) au cours de laquelle ses troupes mirent plusieurs fois \u00e0 mal l\u2019arm\u00e9e imp\u00e9riale, pourtant soutenue par l\u2019aviation britannique (stationn\u00e9e \u00e0 Aden), avant d\u2019\u00eatre oblig\u00e9es de se soumettre. <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n En 1970 fut fond\u00e9e l\u2019Organisation Nationale du Tigr\u00e9 (ONT) qui devint quelques ann\u00e9es plus tard le Front de Lib\u00e9ration du Peuple du Tigr\u00e9 (FLPT) et constitua, lors des \u00e9lections de 2005, une composante majeure du Front D\u00e9mocratique R\u00e9volutionnaire du Peuple Ethiopien (FDRPE). Le FLPT renon\u00e7a alors \u00e0 ses revendications d\u2019ind\u00e9pendance. Plusieurs membres du FLPT entr\u00e8rent m\u00eame au gouvernement, dont Debretsion Gebremichael, vice-Premier ministre de 2012 \u00e0 2016 et ministre des communications et des technologies de l\u2019information, et Mme Fetlework Gebre-Egziabher, qui devint en octobre 2018 ministre du Commerce et de l\u2019Industrie. Mais les ministres tigr\u00e9ens durent quitter leurs fonctions d\u00e8s janvier 2020, lorsque le FLPT refusa de faire partie de la coalition voulue par le Premier ministre Abiy Ahmed, le Parti de la Prosp\u00e9rit\u00e9. Accusant le Premier ministre d\u2019avoir progressivement marginalis\u00e9 son parti au sein du FDRPE, Debretsion Gebremichael, pr\u00e9sident du FLPT, reprit les revendications d\u2019ind\u00e9pendance du Tigr\u00e9 lorsque le gouvernement \u00e9thiopien annon\u00e7a le report des \u00e9lections pr\u00e9vues en ao\u00fbt 2020. Et le FLPT attaqua Mekele, la capitale du Tigr\u00e9, dont il s\u2019empara le 4 novembre. Et voil\u00e0 Abiy Ahmed, prix Nobel de la Paix 2019 pour avoir mis un terme \u00e0 la guerre avec l\u2019Erythr\u00e9e, engag\u00e9 dans un nouveau conflit. Appartenant \u00e0 l\u2019ethnie majoritaire oromo, peut-\u00eatre a-t-il sous-estim\u00e9 la fiert\u00e9 de la vieille nation tigr\u00e9enne.<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Sur le plan militaire, certes, les choses sont rondement men\u00e9es : les principales villes du Tigr\u00e9 sont reprises tour \u00e0 tour en quelques semaines, et l\u2019arm\u00e9e \u00e9thiopienne p\u00e9n\u00e8tre dans Mekele le 29 novembre. Mais une gu\u00e9rilla s\u2019installe, qui risque de durer et le danger de contamination avec l\u2019Erythr\u00e9e est grand, tant la r\u00e9gion est instable. D\u00e9j\u00e0 \u00e0 l\u2019\u00e9tranger ont lieu des manifestations conjointes tigr\u00e9ennes et \u00e9rythr\u00e9ennes en soutien aux 950 000 personnes d\u00e9plac\u00e9es, dont 50 000 se sont r\u00e9fugi\u00e9es au Soudan. <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Le Soudan n\u2019avait pas besoin de cela. Pays pluriethnique, on pourrait m\u00eame dire composite, le Soudan se cherche depuis son ind\u00e9pendance. Et il y a de fortes chances pour qu\u2019il ne se trouve pas. Apr\u00e8s une p\u00e9riode de domination \u00e9gypto-ottomane, de 1820 \u00e0 1885, le centre de ce que nous appelons aujourd\u2019hui Soudan tomba sous le contr\u00f4le d\u2019un pr\u00e9dicateur musulman illumin\u00e9, le Mahdi. Apr\u00e8s avoir massacr\u00e9 l\u2019arm\u00e9e \u00e9gyptienne \u00e0 Shaykhan en 1883, les mahdistes s\u2019empar\u00e8rent de Khartoum le 26 janvier 1885, malgr\u00e9 la pr\u00e9sence du gouverneur anglais Charles Gordon, qui perdit la vie dans cette affaire. La mort, peu de temps apr\u00e8s (le 16 juin 1885) du Mahdi n\u2019arr\u00eata pas le mouvement et il fallut un nouveau g\u00e9n\u00e9ral anglais, le fameux Kitchener (notre adversaire \u00e0 Fachoda) pour d\u00e9faire d\u00e9finitivement, le 2 septembre 1899 \u00e0 Omdourman, un mouvement qui eut sans doute le tort d\u2019\u00eatre extr\u00e9miste et intol\u00e9rant mais qui eut le m\u00e9rite de cr\u00e9er un v\u00e9ritable sentiment nationaliste.<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Le Darfour, lui, r\u00e9ussit \u00e0 \u00e9chapper \u00e0 l\u2019emprise des mahdistes. Situ\u00e9 \u00e0 l\u2019ouest du pays, poss\u00e9dant sa propre dynastie \u00ab royale \u00bb, il r\u00e9ussit \u00e0 conserver une quasi-ind\u00e9pendance jusqu\u2019en 1916, date \u00e0 laquelle les Anglais, doutant de sa loyaut\u00e9, d\u00e9pos\u00e8rent le dernier sultan, Ali Dinar. Int\u00e9gr\u00e9 dans le Soudan, le Darfour allait conna\u00eetre les pires tourments. En mars 1987, quelque 1 000 Dinka furent massacr\u00e9s par les milices musulmanes et un autre massacre fut perp\u00e9tr\u00e9 par l\u2019arm\u00e9e soudanaise \u00e0 Wau, au Sud-Soudan, en septembre. Mais les violences g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9es commencent v\u00e9ritablement en 2003. Les milices jandjawids<\/em> sem\u00e8rent la terreur dans toute la province, qui souffrait par ailleurs de la s\u00e9cheresse (sans recevoir d\u2019aide du gouvernement central) et de la famine. Un cessez-le-feu fut sign\u00e9 en 2015 mais il n\u2019y a pas encore d\u2019accord de paix. Le bilan est lourd : 300 000 victimes et 3 millions de personnes d\u00e9plac\u00e9es (estimations occidentales contest\u00e9es par Khartoum).<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Les peuples du Sud du pays v\u00e9curent eux aussi leur propre trag\u00e9die. Tr\u00e8s majoritairement chr\u00e9tiens, ils eurent \u00e0 souffrir p\u00e9riodiquement des pr\u00e9tentions h\u00e9g\u00e9moniques musulmanes. Et tout aussi p\u00e9riodiquement on assista \u00e0 des r\u00e9voltes des Azand\u00e9, des Dinka, des Nuer ou encore des Nouba. Un premier progr\u00e8s apparut cependant en 1922, avec la loi sur les \u00ab zones ferm\u00e9es \u00bb (Close District Order<\/em>) qui autorisait les gouverneurs du Sud \u00e0 interdire la libre circulation entre Nord et Sud et \u00e0 se rapprocher des pays voisins, l\u2019Ouganda et le Kenya. Il s\u2019agissait de pr\u00e9server l\u2019autonomie du Sud et de faire barrage aux pressions musulmanes. La cr\u00e9ation, en 1964, de la Sudan African National Union<\/em> vise \u00e0 attirer l\u2019attention du monde sur la gu\u00e9rilla men\u00e9e par le mouvement anyanya (<\/em>venin de serpent) <\/em>et quelques mois plus tard, une conf\u00e9rence Nord-Sud pr\u00e9voit l\u2019autonomie r\u00e9gionale pour le Sud-Soudan. Ce fut chose faite avec les accords d\u2019Addis Abeba de mars 1972. Cet \u00e9quilibre dura onze ans mais en septembre 1983, le dictateur de Khartoum, le g\u00e9n\u00e9ral Nimeiri, ayant d\u00e9cid\u00e9 d\u2019\u00e9tendre au droit p\u00e9nal le domaine du droit musulman (qui \u00e9tait jusqu\u2019alors limit\u00e9 au droit personnel), le Sud s\u2019embrasa de nouveau et l\u2019on assista \u00e0 la cr\u00e9ation du Front de Lib\u00e9ration du Peuple Soudanais (SPLF) et de l\u2019Arm\u00e9e de Lib\u00e9ration du Peuple Soudanais (SPLA). Les combats firent rage et pour la seule ann\u00e9e 1988 on compta 250 000 morts. Enfin, quinze ans plus tard, \u00e0 la conf\u00e9rence de Navaisha, au Kenya, le repr\u00e9sentant du Sud, John Garang, et le Vice-Pr\u00e9sident soudanais Ali Osman Taha sign\u00e8rent un accord de paix pr\u00e9voyant six ann\u00e9es d\u2019autonomie pour le Sud puis un r\u00e9f\u00e9rendum sur la question de l\u2019ind\u00e9pendance. Le 9 janvier 2011, le \u00ab oui \u00bb l\u2019emporta avec 98,83% des votes. Le Sud-Soudan acc\u00e9dait enfin \u00e0 l\u2019ind\u00e9pendance. Le p\u00e8re de l\u2019accord, John Garang, n\u2019en profita pas : il mourut le 31 juillet 2005 dans un accident d\u2019h\u00e9licopt\u00e8re. Malheureusement, les combats ne se sont pas arr\u00eat\u00e9s car la fronti\u00e8re passe au milieu d\u2019une zone de champs p\u00e9trolif\u00e8res qui excitent toutes les convoitises. Et il faut ajouter \u00e0 cela depuis 2013 une guerre civile interne opposant plusieurs ethnies du Sud. Au total, le bilan est effrayant : on estime qu\u2019il y eut, de 1983 \u00e0 2005, quelque 2 millions de morts tandis que 4 millions de Sud-Soudanais, pour \u00e9chapper aux massacres, se sont exil\u00e9s dans le Nord ou dans les pays voisins. A peine n\u00e9, le Sud-Soudan a d\u00e9j\u00e0 des allures d\u2019Etat failli.<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Quant au Soudan proprement dit, sa situation n\u2019est gu\u00e8re enviable. Avec l\u2019ind\u00e9pendance du Sud il a perdu sa principale ressource, le p\u00e9trole. Et, sur le plan politique, il n\u2019est jamais parvenu \u00e0 un \u00e9tat de stabilit\u00e9 lui permettant de concevoir et de mettre en \u0153uvre un sch\u00e9ma de d\u00e9veloppement durable. En 65 ans d\u2019existence le pays a connu pas moins de cinq coups d\u2019Etat : 1958, 1964, 1969, 1985 et 1989, et son dernier Pr\u00e9sident, le g\u00e9n\u00e9ral al-Bashir, forc\u00e9 par la rue le 11 avril 2019 de c\u00e9der sa place \u00e0 un conseil militaire de transition, fait l\u2019objet d\u2019un mandat d\u2019arr\u00eat international \u00e9mis par la Cour P\u00e9nale Internationale pour g\u00e9nocide, crimes contre l\u2019humanit\u00e9 et crimes de guerre au Darfour. On souhaite bonne chance \u00e0 son successeur, Abdel Fattah Abdelrahmane al-Burhan, pr\u00e9sident du Conseil de souverainet\u00e9. Nagu\u00e8re plus grand pays d\u2019Afrique en superficie, le Soudan, apr\u00e8s la s\u00e9cession du Sud, a c\u00e9d\u00e9 la premi\u00e8re place \u00e0 l\u2019Alg\u00e9rie. Et la descente n\u2019est peut-\u00eatre pas encore finie, si d\u2019autres provinces (le Darfour, par exemple ?) voulaient suivre l\u2019exemple du Sud. <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Comment peut-on \u00eatre Tigr\u00e9en ? Il y a pire : on pourrait \u00eatre Soudanais. <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n \u00ab Pour vouloir la belle musique<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Soudan mon Soudan<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Pour un air d\u00e9mocratique<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n On t\u2019casse les dents<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Pour vouloir le monde parl\u00e9<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Soudan mon Soudan<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Celui d\u2019la parole \u00e9chang\u00e9e<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n On t\u2019casse les dents<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Oh oh oh et je r\u00eave<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Que Soudan mon pays soudain se soul\u00e8ve<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Oh oh<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n R\u00eaver c\u2019est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a \u00bb<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Alain Souchon<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n *G\u00e9rard Chesnel est membre du Conseil d’administration de Geopragma<\/p>\n <\/p>\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/section>\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Billet du lundi 4 janvier 2021 par G\u00e9rard Chesnel * Le Tigr\u00e9, o\u00f9 est-ce ? 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