{"id":12702,"date":"2020-07-27T12:12:10","date_gmt":"2020-07-27T10:12:10","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=12702"},"modified":"2021-09-20T11:47:11","modified_gmt":"2021-09-20T09:47:11","slug":"le-soft-power-est-toujours-la-mais-il-mue","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/le-soft-power-est-toujours-la-mais-il-mue\/","title":{"rendered":"Le soft power est toujours l\u00e0\u2026 mais il mue"},"content":{"rendered":"\t\t
Billet du lundi du 27\/07\/2020 par Pierre de Lauzun*<\/p>\n\n\n\n
La notion de Soft power<\/em> introduite par Joseph Nye en 1990 a eu un succ\u00e8s imm\u00e9diat. On sait que pour lui il s’agissait d’une forme de pouvoir dans la vie internationale, non par usage de la force mais par une forme de persuasion ; elle r\u00e9sulte de l\u2019image que projette un \u00c9tat, du fait de ses performances, de sa communication, de son comportement ou de son id\u00e9ologie ; mais aussi de la soci\u00e9t\u00e9 consid\u00e9r\u00e9e, de son style, de sa culture, de ses productions culturelles au sens large, de ses id\u00e9es, de son activit\u00e9 scientifique ou autre etc. <\/p>\n\n\n\n Mais comme souvent dans ces cas, le concept a \u00e9t\u00e9 interpr\u00e9t\u00e9 de fa\u00e7on h\u00e9t\u00e9roclite et parfois approximative. On le voit avec nos chers journalistes de la presse bienpensante qui s\u2019offusquent des frasques de M. Trump et en d\u00e9duisent que le Soft power<\/em> am\u00e9ricain est de ce fait durablement alt\u00e9r\u00e9, confondant ainsi ce pouvoir avec l\u2019image momentan\u00e9e qu\u2019a dans les m\u00e9dias l\u2019Administration actuellement en place \u00e0 Washington. <\/p>\n\n\n\n Qu\u2019en est-il donc de ce Soft power<\/em> am\u00e9ricain ? Il est vrai que depuis 20 ans plusieurs \u00e9v\u00e9nements essentiels ont sensiblement abim\u00e9 l\u2019image des Etats-Unis et par l\u00e0 leur aura. Ainsi la d\u00e9sastreuse exp\u00e9dition d\u2019Iraq en 2003. Ou la dramatique crise financi\u00e8re de 2008. Un autre facteur majeur a \u00e9t\u00e9 la profonde \u00e9volution de la sc\u00e8ne politique interne am\u00e9ricaine depuis une vingtaine d\u2019ann\u00e9es, donc bien avant Trump, avec pour base ce qu\u2019on appelle l\u00e0-bas les Culture wars<\/em>, les guerres culturelles, ces oppositions radicales, id\u00e9ologiques, religieuses ou autres qui d\u00e9chirent le pays et se traduisent concr\u00e8tement au Congr\u00e8s par une guerre de tranch\u00e9es implacable entre R\u00e9publicains et D\u00e9mocrates, contrastant de fa\u00e7on impressionnante avec le relatif consensus et l\u2019esprit de compromis qui pr\u00e9valaient autrefois. Et bien s\u00fbr, au niveau du Pr\u00e9sident, par les changements sensibles de message au niveau international selon le titulaire du poste, que ce soit en bilat\u00e9ral ou multilat\u00e9ral. C\u00f4t\u00e9 pouvoirs publics, l\u2019image projet\u00e9e est donc ind\u00e9niablement plus hach\u00e9e et heurt\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n Mais est-ce pour autant \u00ab la fin de l\u2019Histoire \u00bb ? Il me para\u00eet int\u00e9ressant ici d\u2019\u00e9largir ce concept de Soft power<\/em>, y compris dans la d\u00e9finition de Nye et de ses successeurs, qui tend \u00e0 se concentrer sur l\u2019influence exerc\u00e9e par le pouvoir politique, l\u2019Etat, \u00e0 travers son chef effectif. Or, dans le cas des Etats-Unis, une part appr\u00e9ciable de l\u2019influence r\u00e9elle de ce pays s\u2019exerce \u00e0 travers d\u2019autres canaux, d\u2019autres parties du pouvoir politique ou de l\u2019administration, ou m\u00eame en dehors d\u2019elle. Je prendrai deux exemples. L\u2019un est l\u2019avalanche de protestations et m\u00eame l\u2019hyst\u00e9rie collective qui a saisi le monde occidental \u00e0 la suite de la mort tragique de G. Floyd. Voil\u00e0 un \u00e9v\u00e9nement am\u00e9ricain, qui, lu \u00e0 travers le prisme local, a d\u00e9termin\u00e9 non seulement un mouvement collectif appr\u00e9ciable dans ce pays, mais aussi \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, au moins dans la sph\u00e8re occidentale et plus exactement en Europe de l\u2019Ouest. Or ce mouvement est inexplicable sans prendre en compte l\u2019\u00e9volution en profondeur des universit\u00e9s am\u00e9ricaines qui ont mis la question de la discrimination (vraie ou suppos\u00e9e) en position premi\u00e8re et m\u00eame parfois exclusive dans le d\u00e9bat public, ce qui a fini par impr\u00e9gner en profondeur ce d\u00e9bat public dans le pays. Mais aussi par l\u00e0 m\u00eame, dans les pays sous son influence, car on y constate de plus en plus avec retard la m\u00eame \u00e9volution, France comprise. Aid\u00e9e d\u2019ailleurs par l\u2019action directe d\u2019institutions am\u00e9ricaines, jusqu\u2019aux ambassades.<\/p>\n\n\n\n Un autre exemple est le r\u00f4le des r\u00e9seaux sociaux. On voit les controverses opposant D. Trump \u00e0 Twitter, et la position plus r\u00e9serv\u00e9e de Facebook. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue qu\u2019au-del\u00e0 de ces \u00e9v\u00e9nements, ce d\u00e9bat lui aussi proprement am\u00e9ricain influence la plan\u00e8te enti\u00e8re, du moins la plan\u00e8te dite occidentale (hors Chine, Russie et quelques autres), qui est abonn\u00e9e de fa\u00e7on massive \u00e0 ces supports et \u00e0 eux seuls, et qui en subit donc la politique de filtrage et en fait de censure. Sans m\u00eame parler de ce que le simple fait d\u2019adopter la logique m\u00eame de ces supports implique pour le fa\u00e7onnage de l\u2019opinion Ce n\u2019est en outre qu\u2019une petite partie de l\u2019extraordinaire emprise des GAFAM, notable en mati\u00e8re technologique, et notamment de recherche scientifique (avec des budgets cumul\u00e9s comparables \u00e0 ceux civils du gouvernement am\u00e9ricain), le tout bas\u00e9 sur une puissance financi\u00e8re incomparable, avec des marges massives et une grande ind\u00e9pendance \u00e0 l\u2019\u00e9gard des financements de march\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Ces exemples et d\u2019autres montrent que si on consid\u00e8re comme \u00e9l\u00e9ment du Soft power<\/em> non pas seulement ce qui est directement au service du gouvernement concern\u00e9, pris au sens \u00e9troit, mais l\u2019influence politique globale que le pays exerce \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, y compris en exportant ses d\u00e9bats internes, alors le Soft power<\/em> am\u00e9ricain appara\u00eet toujours consid\u00e9rable, et manifestement pr\u00e9pond\u00e9rant (toujours en mettant partiellement en dehors Chine, Russie et d\u2019autres). Il tend m\u00eame \u00e0 bien des points de vue \u00e0 se renforcer, du moins sur le plan id\u00e9ologique, notamment dans sa zone d\u2019influence la plus directe. En outre, on peut m\u00eame consid\u00e9rer que les \u00ab guerres des cultures \u00bb am\u00e9ricaines, malgr\u00e9 leurs inconv\u00e9nients pour ce pays, peuvent inversement contribuer \u00e0 son rayonnement, en exportant ses d\u00e9bats. Enfin, conduisant \u00e0 poser les probl\u00e8mes en termes am\u00e9ricains, cela facilite consid\u00e9rablement l\u2019orientation qui est donn\u00e9e ensuite par le gouvernement am\u00e9ricain, quel qu\u2019il soit, puisque le terrain est pr\u00eat pour l\u2019accueillir. Ce qui est la d\u00e9finition m\u00eame du soft power.<\/em> Un \u00e9ventuel pr\u00e9sident d\u00e9mocrate pourra ainsi utiliser le mouvement suivant la mort de G. Floyd comme cheval de bataille.<\/p>\n\n\n\n Certes, on peut trouver paradoxal de qualifier de Soft power<\/em> des d\u00e9bats et manifestations (comme celles suivant la mort de G. Floyd), alors que non seulement ils contestent le pouvoir ex\u00e9cutif am\u00e9ricain, au moins en partie, mais surtout que cela donne de ce pays une image pour le moins ambigu\u00eb, et m\u00eame assez n\u00e9gative. On a m\u00eame soutenu que les Etats-Unis avaient d\u00e9sormais les inconv\u00e9nients de leur Soft power<\/em> plus que ses avantages. La r\u00e9alit\u00e9 est bien s\u00fbr entre les deux : inconv\u00e9nients et avantages sont tous deux pr\u00e9sents, mais dans le cadre de ce qui est plus que jamais une h\u00e9g\u00e9monie id\u00e9ologique et m\u00e9diatique peu disput\u00e9e dans sa sph\u00e8re. Etant entendu que cela reste une h\u00e9g\u00e9monie : cela n\u2019emp\u00eache pas une certaine originalit\u00e9 europ\u00e9enne ici ou l\u00e0, mais elle n\u2019est pas motrice au niveau mondial, ni m\u00eame significative.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est d\u2019autant plus vrai actuellement qu\u2019ainsi que je l\u2019ai relev\u00e9 dans plusieurs billets ant\u00e9rieurs, il n\u2019y a sur ce plan \u00e0 ce stade aucune alternative au niveau mondial. La Chine, seul candidat possible, a m\u00eame choisi, au moins pour le moment avec Xi Jinping, une voie inverse : la voie classique de la relation de puissance pure, r\u00e9elle, mais \u00e0 ce stade sans v\u00e9ritable capacit\u00e9 de rayonnement id\u00e9ologique ou culturel. La \u00ab pens\u00e9e Xi Jing ping \u00bb, exalt\u00e9e sur place, m\u00e9lange \u00e9trange de syst\u00e8me de pouvoir et d\u2019oripeaux confuc\u00e9ens ou mao\u00efstes, ne para\u00eet pas devoir briller \u00e0 l\u2019\u00e9tranger. Et le rayonnement de sa soci\u00e9t\u00e9 civile tout comme celui de son Internet, tous deux corset\u00e9s sont par le fait m\u00eame tr\u00e8s faibles. Cela dit, la Chine y gagne sur un autre plan, car elle peut jouer la carte d\u2019une relative neutralit\u00e9 id\u00e9ologique, ce qui peut plaire \u00e0 bien des gouvernements. Il est \u00e0 noter que ni le Tibet, ni les Ouighours ni m\u00eame Hongkong ne suscitent de r\u00e9action comparable \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, m\u00eame de loin, \u00e0 la mort de G. Floyd. Parall\u00e8lement, son effort technologique impressionnant, notamment en intelligence artificielle (IA) et en grandes entreprises du Net (Baidu, Alibaba, Tencent etc.), devrait s\u2019av\u00e9rer \u00e0 terme un instrument de puissance consid\u00e9rable, m\u00eame s\u2019il est encore peu perceptible : totalement ind\u00e9pendantes de leurs cousines am\u00e9ricaines, ces entreprises sont de taille \u00e9norme, tr\u00e8s comp\u00e9titives, et disposent de bases de donn\u00e9es sans \u00e9gales, ce qui est d\u00e9cisif pour l\u2019IA. Leur d\u00e9ploiement ext\u00e9rieur est donc tout \u00e0 fait concevable, et plus encore \u00e0 mesure que les censures id\u00e9ologiques croissantes de Twitter, Facebook et autres rebuteront. Bas\u00e9es sur une puissance technique et une efficacit\u00e9 particuli\u00e8re, elles peuvent devenir des comp\u00e9titeurs redoutables. Mais cela resterait encore une forme de puissance purement mat\u00e9rielle – sauf si, \u00e0 plus long terme, un message original finissait par \u00e9merger de Chine (la m\u00e9ritocratie politique pouvant en \u00eatre un \u00e9l\u00e9ment). L\u2019avenir peut donc montrer l\u00e0 aussi que le Soft power<\/em> n\u2019est jamais acquis, et qu\u2019il peut changer de nature. Nous ne le saurons que dans 20 ou 30 ans. <\/p>\n\n\n\n *Pierre de Lauzun est membre du Conseil d’administration de Geopragma<\/p>\n\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/section>\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Billet du lundi du 27\/07\/2020 par Pierre de Lauzun* La notion de Soft power introduite par Joseph Nye en 1990 a eu un succ\u00e8s imm\u00e9diat. 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