{"id":12598,"date":"2020-07-06T10:12:26","date_gmt":"2020-07-06T08:12:26","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=12598"},"modified":"2021-09-20T11:54:43","modified_gmt":"2021-09-20T09:54:43","slug":"bruxelles-francfort-karlsruhe-et-les-autres","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/bruxelles-francfort-karlsruhe-et-les-autres\/","title":{"rendered":"Bruxelles, Francfort, Karlsruhe et les autres"},"content":{"rendered":"\t\t
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Billet du lundi 06\/07\/2020 par Jean-Philippe Duranthon*<\/p>\n

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Pour la Banque Centrale Europ\u00e9enne (BCE) l\u2019argent n\u2019est pas vraiment un probl\u00e8me. Depuis 2008 mais surtout mars 2015 elle ach\u00e8te, dans le cadre d\u2019un programme de\u00a0quantitative easing<\/em>\u00a0(QE), des titres obligataires priv\u00e9s et surtout publics et fournit ainsi r\u00e9guli\u00e8rement de nouvelles liquidit\u00e9s aux acteurs \u00e9conomiques. Cens\u00e9 \u00eatre transitoire, le programme a toujours \u00e9t\u00e9 reconduit et amplifi\u00e9 et, gr\u00e2ce au COVID 19, on a vu appara\u00eetre en mars 2020 son avatar, le\u00a0Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP),<\/em>\u00a0dot\u00e9 en deux \u00e9tapes de 1350 milliards d\u2019Euros (Md\u20ac). En mai 2020 un 3\u00e8me programme de pr\u00eats \u00e0 long terme accord\u00e9s aux banques, dit TLTRO III (pour\u00a0targeted longer term refinancing obligations<\/em>) a permis \u00e0 742 banques de b\u00e9n\u00e9ficier de plus de 1300 Md\u20ac de ressources (soit environ 2,5 fois le montant du programme TLTRO II de 2012) \u00e0 des conditions particuli\u00e8rement avantageuses (et bien plus avantageuses qu\u2019en 2012)\u00a0; elles pourront emprunter \u00e0 un taux n\u00e9gatif (dans la plupart des cas \u00e0 -1 %) pour pr\u00eater \u00e0 un taux faible mais positif ou simplement pour satisfaire leurs obligations de d\u00e9p\u00f4t \u00e0 la m\u00eame BCE, auquel cas elles gagneront des dizaines de points de base au passage. De son c\u00f4t\u00e9, la Commission europ\u00e9enne voudrait faire adopter d\u2019ici fin juillet un plan de relance de 750 Md\u20ac, qu\u2019elle propose de r\u00e9partir entre 500 Md\u20ac de subventions et 250 Md\u20ac de pr\u00eats.<\/p>\n

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Confront\u00e9s \u00e0 une r\u00e9cession majeure, les Etats et les banques centrales, en Europe comme ailleurs, consid\u00e8rent que le rem\u00e8de principal consiste \u00e0 fournir au syst\u00e8me bancaire de chaque pays les moyens de soutenir financi\u00e8rement les agents \u00e9conomiques\u00a0: les entreprises bien s\u00fbr, dont la plupart ont vu leur chiffre d\u2019affaires chuter et leur mod\u00e8le \u00e9conomique \u00eatre remis en question, mais aussi les particuliers, dont les r\u00e9mun\u00e9rations et souvent l\u2019emploi sont menac\u00e9s. La r\u00e9ussite du pari repose sur la conviction qu\u2019il sera possible de g\u00e9rer l\u2019envol\u00e9e des d\u00e9ficits publics en faisant remonter une bonne partie de la dette au niveau des banques centrales\u00a0; il serait m\u00eame possible, selon certains, d\u2019annuler purement et simplement la dette publique que les banques centrales d\u00e9tiendront puisque celles-ci, compte tenu de leur statut, ne peuvent pas faire faillite. Des esprits chagrins pourraient s\u2019\u00e9tonner que personne n\u2019y ait pens\u00e9 plus t\u00f4t et regretter qu\u2019un tel m\u00e9canisme, s\u2019il est aussi b\u00e9nin, voire b\u00e9n\u00e9fique, que ses promoteurs le pr\u00e9tendent, n\u2019ait pas \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9 dans le pass\u00e9 pour r\u00e9soudre d\u2019autres crises, voire pour r\u00e9pondre aux multiples groupes de pression qui s\u2019estiment injustement trait\u00e9s par la collectivit\u00e9. Des esprits taquins pourraient ajouter que, tant qu\u2019\u00e0 faire, on pourrait supprimer l\u2019imp\u00f4t.<\/p>\n

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Cette strat\u00e9gie entra\u00eene des \u00e9volutions institutionnelles qu\u2019il convient de relever.<\/p>\n

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La r\u00e9partition \u00ab\u00a0moderne\u00a0\u00bb des r\u00f4les en mati\u00e8re de politique \u00e9conomique veut que les Etats, dont les dirigeants sont choisis \u00e0 l\u2019issue de processus politiques et qui sont responsables devant leurs \u00e9lecteurs, conduisent la politique budg\u00e9taire et que les banques centrales, qui sont ind\u00e9pendantes et dont les dirigeants, certes choisis par les autorit\u00e9s politiques, ont la l\u00e9gitimit\u00e9 d\u2019\u00eatre des \u00ab\u00a0experts\u00a0\u00bb reconnus, conduisent une politique financi\u00e8re dont l\u2019objectif est de ma\u00eetriser la hausse des prix. La politique mon\u00e9taire traditionnelle ayant atteint ses limites, cette r\u00e9partition des r\u00f4les est d\u00e9sormais caduque\u00a0: l\u2019action de la BCE a aujourd\u2019hui aussi pour but, et peut-\u00eatre d\u2019abord pour but, de contribuer \u00e0 la r\u00e9gulation \u00e9conomique globale des pays de la zone en permettant aux Etats de financer leurs d\u00e9ficits budg\u00e9taires\u00a0; pour parler plus brutalement, la BCE a aujourd\u2019hui pour t\u00e2che de faire dispara\u00eetre la contrainte budg\u00e9taire. Selon cette logique politique budg\u00e9taire et politique financi\u00e8re ne doivent plus seulement se compl\u00e9ter, elles doivent se m\u00e9langer.\u00a0<\/p>\n

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Faut-il en d\u00e9duire que les Etats sont en train d\u2019instrumentaliser la BCE (en mettant les outils mon\u00e9taires au service de leurs politiques budg\u00e9taires) ou au contraire qu\u2019ils sont instrumentalis\u00e9s par elle (parce que celle-ci se lassera sans doute un jour de jouer \u00e0 la voiture balai sans pouvoir en amont dire son mot sur ce qu\u2019elle devra plus tard r\u00e9cup\u00e9rer)\u00a0? Quoi qu\u2019il en soit la BCE, parce qu\u2019elle\u00a0d\u00e9tient d\u00e9sormais plus de 20\u00a0% de la dette publique de la zone euro et que son bilan atteint\u00a050\u00a0% de son PIB<\/a>, est d\u00e9sormais un acteur majeur de la r\u00e9gulation \u00e9conomique globale et non plus seulement le pilote de la lutte contre l\u2019inflation.\u00a0<\/p>\n

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Le Tribunal Constitutionnel allemand s\u2019est d\u2019ailleurs, le 5 mai dernier, interrog\u00e9 sur le fait de savoir si le programme de QE d\u00e9cid\u00e9 par la BCE en 2015 est conforme aux trait\u00e9s, c\u2019est-\u00e0-dire s\u2019il r\u00e9pond aux objectifs d\u2019inflation qui lui sont assign\u00e9s et s\u2019il satisfait la condition de \u00ab\u00a0proportionnalit\u00e9\u00a0\u00bb au regard de l\u2019ensemble de ses effets sur l\u2019\u00e9conomie, positifs mais aussi n\u00e9gatifs\u00a0: une fa\u00e7on habile de r\u00e9sister \u00e0 ce renforcement du r\u00f4le de la BCE, m\u00eame si la Cour de justice de l\u2019Union europ\u00e9enne (CJUE) avait en d\u00e9cembre 2018 valid\u00e9 ce m\u00eame programme de QE, ce qui fait un peu d\u00e9sordre. Il est vrai que le QE, s\u2019il n\u2019a pas pu faire en sorte que l\u2019inflation se rapproche de l\u2019objectif \u00ab\u00a0proche de mais inf\u00e9rieur \u00e0 2 %\u00a0\u00bb, a contribu\u00e9 \u00e0 revaloriser et soutenir la valeur des actifs financiers, ce qui n\u2019est pas l\u2019int\u00e9r\u00eat de tout le monde. Un arrangement de proc\u00e9dure a \u00e9t\u00e9 trouv\u00e9 pour \u00e9viter un blocage tout en permettant \u00e0 la BCE comme au Tribunal de ne pas perdre la face, mais le d\u00e9bat n\u2019est sans doute pas clos.<\/p>\n

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La BCE n\u2019est pas la seule instance europ\u00e9enne \u00e0 voir ses pouvoirs accrus. Sous la pression conjointe de l\u2019Allemagne et de la France, la Commission propose en effet que les 500 Md\u20ac destin\u00e9s aux dons envisag\u00e9s dans le cadre du plan de relance soient lev\u00e9s sur les march\u00e9s directement par elle (ou via son bras arm\u00e9, la Banque Europ\u00e9enne d\u2019Investissement \u2013 BEI) et non par les Etats. La novation est de taille puisque, pour la premi\u00e8re fois, l\u2019Union europ\u00e9enne emprunterait elle-m\u00eame sur les march\u00e9s et s\u2019\u00e9manciperait, d\u2019une certaine fa\u00e7on, des Etats. Elle est d\u2019autant plus importante que la capacit\u00e9 \u00e0 emprunter de mani\u00e8re autonome n\u00e9cessite une capacit\u00e9 \u00e0 rembourser ensuite de mani\u00e8re autonome, ce qui rend logique la cr\u00e9ation de nouvelles ressources fiscales propres. Doter la Commission de nouvelles ressources fiscales propres et lui permettre d\u2019emprunter directement sur les march\u00e9s change de mani\u00e8re significative l\u2019\u00e9quilibre des pouvoirs entre les instances europ\u00e9ennes, et entre celles-ci et les Etats membres.<\/p>\n

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Il n\u2019est pas \u00e9tonnant que ces \u00e9volutions institutionnelles n\u2019aillent pas de soi pour tout le monde\u00a0: certains pays consid\u00e8rent que les instruments financiers europ\u00e9ens de transfert entre Etats, qui avaient pour finalit\u00e9 de faire en sorte que les pays les plus riches de l\u2019Union aident les pays les plus pauvres, aboutissent aujourd\u2019hui \u00e0 ce que les pays qui ont respect\u00e9 les engagements collectifs aident les pays qui s\u2019en sont affranchis. A leurs yeux la solidarit\u00e9 laisse la place \u00e0 la facilit\u00e9. L\u2019Allemagne a longtemps d\u00e9fendu cette th\u00e8se mais s\u2019est ralli\u00e9e aux m\u00e9canismes de transfert et propose m\u00eame de les renforcer, sans doute parce qu\u2019elle est consciente que la construction europ\u00e9enne lui apporte plus qu\u2019elle ne lui co\u00fbte\u00a0; elle laisse en cons\u00e9quence les \u00ab\u00a0quatre frugaux\u00a0\u00bb (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Su\u00e8de) jouer les m\u00e9chants. La th\u00e8se de ces derniers ne manque pas d\u2019arguments\u00a0: alors que les trait\u00e9s limitent \u00e0 0,5\u00a0% du PIB le d\u00e9ficit budg\u00e9taire structurel, celui de l\u2019Italie atteint 1,5\u00a0%, celui de l\u2019Espagne 1,9\u00a0% et celui de la France 3 %. On discerne sans mal l\u2019issue probable des d\u00e9bats\u00a0: une aide aux pays du Sud dans le cadre du plan de relance, une aide aux pays d\u2019Europe centrale et orientale dans le cadre du futur budget 2021-2027 et la reconduction des rabais sur leur contribution jadis accord\u00e9s, dans la foul\u00e9e du Royaume Uni, \u00e0 trois \u00ab\u00a0frugaux\u00a0\u00bb (l\u2019Autriche, les Pays-Bas et la Su\u00e8de). On constate surtout que la France, qui traditionnellement faisait le pont entre les pays du Nord et ceux du Sud de l\u2019Europe, ce qui lui donnait un positionnement cl\u00e9 pour peser sur les choix de l\u2019Union, fait d\u00e9sormais partie des pays du Sud\u00a0: elle manque de l\u00e9gitimit\u00e9 pour pr\u00e9tendre rechercher une synth\u00e8se entre les deux camps, ou ne peut le faire qu\u2019avec l\u2019accord de l\u2019Allemagne.<\/p>\n

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La crise du COVID 19 a par cons\u00e9quent acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 trois \u00e9volutions notables en Europe\u00a0:<\/p>\n

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