Billet du lundi 27\/04\/2020 par Jean-Philippe Duranthon*<\/p>\n\n\n\n
Bien s\u00fbr le verbe du pr\u00e9sident des Etats-Unis est souvent brutal. Bien s\u00fbr taper du poing sur la table est rarement la m\u00e9thode la plus efficace pour faire valoir et pr\u00e9valoir ses points de vue. Aussi l\u2019arr\u00eat du versement, par les Etats-Unis, de leur contribution \u00e0 l\u2019Organisation Mondiale de la Sant\u00e9 (OMS), d\u00e9cid\u00e9 alors que le monde est boulevers\u00e9 par la pand\u00e9mie du coronavirus, qu\u2019une coop\u00e9ration internationale est n\u00e9cessaire pour y faire face et que des moyens financiers importants doivent \u00eatre consacr\u00e9s \u00e0 la recherche de traitements et de vaccins, est-il surprenant et critiquable. <\/p>\n\n\n\n
Mais Donald Trump ne pose-t-il pas des interrogations pertinentes ? Est-il logique que les Etats-Unis contribuent pour 400 M$ au budget de l\u2019OMS et la Chine seulement pour 44 M$ ? Sur quoi repose cet \u00e9cart puisqu\u2019il ne peut s\u2019agir, ni de l\u2019importance de la population, ni de la puissance \u00e9conomique, ni, l\u2019exp\u00e9rience le montre, du risque sanitaire pr\u00e9visible ? Par ailleurs doit-on exclure qu\u2019il existe un lien entre le fait que le directeur g\u00e9n\u00e9ral de l\u2019OMS a \u00e9t\u00e9 le candidat de la Chine et la constatation qu\u2019au d\u00e9but de l\u2019\u00e9pid\u00e9mie en Chine l\u2019OMS n\u2019a pas agi comme elle a l\u2019habitude de le faire ? L\u2019organisation a en effet repris \u00e0 son compte sans expertiser les informations communiqu\u00e9es par les autorit\u00e9s chinoises concernant l\u2019origine du virus, ses caract\u00e9ristiques et son calendrier d\u2019apparition et de diffusion. Elle a attendu que les dirigeants chinois n\u2019y voient plus d\u2019inconv\u00e9nient pour envoyer une mission sur place. Le rapprochement des constats est troublant, surtout si l\u2019on prend en compte le fait qu\u2019avant d\u2019\u00eatre nomm\u00e9 \u00e0 l\u2019OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus \u00e9tait ministre des affaires \u00e9trang\u00e8res d\u2019Ethiopie, que l\u2019Ethiopie est le pays africain dont les liens avec la Chine sont \u2013 relativement – les plus importants, et qu\u2019en voulant nommer Robert Mugabe \u00ab ambassadeur de bonne volont\u00e9 de l\u2019OMS \u00bb M.Ghebreyesus avait d\u00e9j\u00e0 montr\u00e9 qu\u2019il avait le souci de remercier, fut-ce de mani\u00e8re paradoxale, ceux qui avaient contribu\u00e9 \u00e0 sa nomination. <\/p>\n\n\n\n
Bloquer le budget de l\u2019OMS est donc sans doute critiquable, mais se demander si l\u2019organisation a fait preuve vis-\u00e0-vis de la Chine de l\u2019ind\u00e9pendance qu\u2019exige sa mission, loin d\u2019\u00eatre absurde, est au contraire n\u00e9cessaire. <\/p>\n\n\n\n
Le questionnement doit en fait \u00eatre \u00e9largi au-del\u00e0 de l\u2019OMS car c\u2019est la pr\u00e9sence de la Chine dans l\u2019ensemble des organisations internationales qui interroge. On constate en effet depuis quelques ann\u00e9es un \u00ab entrisme \u00bb qui porte ses fruits : quatre des quinze agences sp\u00e9cialis\u00e9es de l\u2019ONU ont un Chinois \u00e0 leur t\u00eate, et ce ne sont pas les moindres : l\u2019Organisation des Nations unies pour le d\u00e9veloppement industriel (ONUDI), dirig\u00e9e depuis 2013 par un ancien vice-ministre des finances chinois, l\u2019Organisation de l\u2019aviation civile internationale (OACI), dirig\u00e9e depuis 2015 par une Chinoise, l\u2019Union internationale des t\u00e9l\u00e9communications (UIT), dirig\u00e9e depuis 2018 par l\u2019ancien responsable du bureau de normalisation des t\u00e9l\u00e9coms chinois, et l\u2019Organisation des Nations unies pour l\u2019alimentation et l\u2019agriculture (FAO), dirig\u00e9e depuis 2019 par un ancien vice-ministre de l\u2019agriculture chinois ; sept organisations ont un directeur g\u00e9n\u00e9ral adjoint chinois ; d\u2019autres organisations, enfin, et on l\u2019a vu \u00e0 propos de l\u2019OMS, sans \u00eatre dirig\u00e9es par des Chinois, le sont par des personnes dont tout laisse penser qu\u2019elles sont sensibles aux positions prises ou aux opinions exprim\u00e9es par la Chine. <\/p>\n\n\n\n
Aucun autre pays ne b\u00e9n\u00e9ficie d\u2019un traitement aussi favorable. <\/p>\n\n\n\n
Cet entrisme dans les organisations internationales sp\u00e9cialis\u00e9es est sans doute plus discret, moins visible, que s\u2019il \u00e9tait r\u00e9alis\u00e9 dans des structures dont le caract\u00e8re politique ou strat\u00e9gique est \u00e9vident comme l\u2019ONU ou l\u2019Organisation mondiale du commerce (OMC) : il est donc plus facilement accept\u00e9. Mais il permet \u00e0 la Chine d\u2019accro\u00eetre son influence dans des domaines techniques qui sont n\u00e9cessaires \u00e0 l\u2019expansion de ses grandes entreprises et facilite leur conqu\u00eate des march\u00e9s mondiaux. Il permet en particulier de favoriser les technologies d\u00e9velopp\u00e9es par les entreprises chinoises et de faire reconna\u00eetre, voire de transformer en normes s\u2019imposant \u00e0 tous, les m\u00e9thodes qu\u2019elles ont choisies. Il est d\u2019ailleurs possible que cette approche sectorielle plus discr\u00e8te ne soit plus de mise pour longtemps s\u2019il est vrai qu\u2019un Chinois brigue le D\u00e9partement des op\u00e9rations de maintien de la paix (DOMP ou DPKO pour Department of Peace Keeping Operations<\/em>), le d\u00e9partement du Secr\u00e9tariat des Nations unies<\/a> charg\u00e9 des op\u00e9rations de maintien de la paix<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Le succ\u00e8s de cet entrisme, de cette \u00ab sinisation des organisations mondiales \u00bb, est le r\u00e9sultat de deux volont\u00e9s politiques : \u00e0 l\u2019\u00e9vidence celle, d\u00e9j\u00e0 ancienne et mise en \u0153uvre en agissant sur le temps long, qu\u2019\u00e0 la Chine de jouer au niveau international un r\u00f4le plus en accord avec son statut de grande puissance \u00e9conomique, politique et tr\u00e8s bient\u00f4t militaire ; mais aussi celle, plus r\u00e9cente, qu\u2019ont les Etats-Unis de se d\u00e9tourner du multilat\u00e9ralisme. Pour ex\u00e9cuter cette volont\u00e9 clairement affirm\u00e9e par le nouveau pr\u00e9sident d\u00e8s son \u00e9lection, les Etats-Unis ne cherchent pas seulement \u00e0 agir sur les programmes des organisations multilat\u00e9rales, ils n\u2019h\u00e9sitent pas \u00e0 bloquer le fonctionnement de certaines d\u2019entre elles (comme l\u2019OMC dont l\u2019organe de r\u00e8glement des diff\u00e9rends ne peut plus fonctionner du fait du non renouvellement des juges qui le composent), voire \u00e0 se retirer purement et simplement d\u2019autres, (comme l\u2019UNESCO d\u2019o\u00f9 le retrait, annonc\u00e9 en octobre 2017 conjointement avec Isra\u00ebl, est intervenu fin 2018). <\/p>\n\n\n\n Nul ne peut s\u2019\u00e9tonner que la Chine manifeste sa puissance et cherche \u00e0 l\u2019accro\u00eetre : ce sont l\u00e0 des agissements logiques de la part de tout Etat d\u00e9sireux de d\u00e9fendre ses int\u00e9r\u00eats. Mais les int\u00e9r\u00eats sym\u00e9triques des autres pays et la pr\u00e9servation des \u00e9quilibres mondiaux exigent que cette politique soit contenue et demeure raisonnable. Compte tenu du d\u00e9sint\u00e9r\u00eat des Etats-Unis pour les organisations internationales, il est imp\u00e9ratif que les autres pays se mobilisent pour s\u2019opposer \u00e0 cette volont\u00e9 potentiellement h\u00e9g\u00e9monique de la Chine. La Russie, malgr\u00e9 ses tentatives visant \u00e0 retrouver un peu d\u2019espace g\u00e9ostrat\u00e9gique, est trop faible \u00e9conomiquement et trop isol\u00e9e diplomatiquement pour le faire ; les autres pays asiatiques \u00e9prouvent suffisamment de difficult\u00e9s \u00e0 s\u2019opposer aux empi\u00e8tements r\u00e9gionaux de leur encombrant voisin pour risquer de l\u2019irriter davantage dans des domaines o\u00f9 ils ne sont pas les plus p\u00e9nalis\u00e9s ; les pays du Moyen-Orient ont trop \u00e0 faire avec leurs querelles propres pour se pr\u00e9occuper de celles du vaste monde ; l\u2019Afrique cherche avant tout le d\u00e9collage \u00e9conomique que toutes les puissances lui promettent tour \u00e0 tour depuis des lustres et est pr\u00eate \u00e0 faire confiance au dernier bonimenteur venu : pas de chance, il s\u2019agit de la Chine. <\/p>\n\n\n\n Reste l\u2019Europe. Elle est la seule \u00e0 pouvoir agir, comme c\u2019est de plus en plus souvent le cas dans un monde o\u00f9 les Etats-Unis ont une conception \u00e0 courte vue de l\u2019America First <\/em>et o\u00f9 la Russie ne parvient pas \u00e0 ne plus \u00eatre consid\u00e9r\u00e9e comme l\u2019ennemi naturel et in\u00e9vitable. Si les Europ\u00e9ens ne se saisissent pas de la probl\u00e9matique des organisations internationales, s\u2019ils ne se convainquent pas de la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019intervenir, s\u2019ils ne cherchent pas \u00e0 davantage occuper les postes de direction, alors la longue marche chinoise vers la domination des organismes de gouvernance mondiale se transformera en un v\u00e9ritable bond en avant. Reste \u00e0 savoir si, alors m\u00eame qu\u2019au plan mondial le \u00ab moment historique \u00bb actuel lui est favorable, l\u2019Europe pourra se d\u00e9tourner un instant de la n\u00e9gociation de l\u2019\u00ab european green deal<\/em> \u00bb, de la pr\u00e9paration du plan de relance, des d\u00e9bats sur les m\u00e9rites respectifs des coronabonds,<\/em> de l\u2019\u00ab argent h\u00e9licopt\u00e8re \u00bb et de la dette perp\u00e9tuelle, pour accorder \u00e0 cet entrisme chinois la place qu\u2019il m\u00e9rite dans les agendas diplomatiques. <\/p>\n\n\n\n La France, qui b\u00e9n\u00e9ficie \u00e0 l\u2019ONU d\u2019un positionnement privil\u00e9gi\u00e9, dont l\u2019histoire t\u00e9moigne de son attachement \u00e0 l\u2019autonomie vis-\u00e0-vis des grandes puissances et qui a su conserver des liens importants avec de nombreux Etats, grands ou petits, dans tous les continents, peut et doit jouer un r\u00f4le dans cette prise de conscience. Encore faut-il qu\u2019elle ait elle-m\u00eame la volont\u00e9 d\u2019agir et d\u2019utiliser tous les atouts dont elle dispose. Esp\u00e9rons, par exemple, qu\u2019elle fera valoir aux pays africains qu\u2019envoyer ses soldats se battre contre leurs terroristes puis d\u00e9cider un moratoire sur leurs dettes justifierait que par leurs votes \u00e0 l\u2019OMS ou ailleurs ils manifestent un attachement \u00e0 la France au moins \u00e9gal \u00e0 celui dont ils font preuve au profit de la Chine.<\/p>\n\n\n\n *Jean-Philippe Duranthon, membre du conseil d’administration chez Geopragma <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Billet du lundi 27\/04\/2020 par Jean-Philippe Duranthon* Bien s\u00fbr le verbe du pr\u00e9sident des Etats-Unis est souvent brutal. Bien s\u00fbr taper du poing sur la table est rarement la m\u00e9thode la plus efficace pour faire valoir et pr\u00e9valoir ses points de vue. 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