Chronique du Figaro du mardi 21 avril 2020 par Renaud Girard*<\/p>\n\n\n\n
Malgr\u00e9 sa faible l\u00e9talit\u00e9, le Covid-19 nous pose toujours un probl\u00e8me grave : cette pathologie respiratoire est tr\u00e8s contagieuse ; elle cr\u00e9e, dans 5% des cas, des suffocations, qui peuvent entra\u00eener une saturation des services hospitaliers de soins intensifs et de r\u00e9animation. En attendant le vaccin, nous devrons donc conserver nos \u00ab gestes barri\u00e8res \u00bb, voire porter des masques dans les lieux clos.<\/p>\n\n\n\n
Mais \u00e0 la menace de voir notre syst\u00e8me hospitalier d\u00e9bord\u00e9, vient s\u2019ajouter un autre risque : celui d\u2019une nouvelle barbarie dans la mani\u00e8re dont nous regardons nos anciens. Nous n\u2019utilisons plus le beau mot de vieillards, en raison de notre addiction linguistique aux euph\u00e9mismes. <\/p>\n\n\n\n
Dans un \u00e9ditorial du Figaro du 25 ao\u00fbt 2003, intitul\u00e9 Barbarie fran\u00e7aise et \u00e9crit pendant la canicule estivale qui tua 15 000 personnes en deux semaines, j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 point\u00e9 du doigt la d\u00e9rive d\u2019une soci\u00e9t\u00e9 individualiste et \u00e9go\u00efste, o\u00f9 de nombreuses familles avaient abandonn\u00e9 leurs parents dans la solitude, tant la priorit\u00e9 \u00e9tait pour elles de profiter sans contrainte des plages et des bo\u00eetes de nuit. Or certaines sc\u00e8nes que nous voyons aujourd\u2019hui rel\u00e8vent de la m\u00eame barbarie. <\/p>\n\n\n\n
Le 12 avril, la t\u00e9l\u00e9vision belge RTL Info diffusait un effrayant reportage sur l\u2019EHPAD du Jardin des Plantes, dans le 5\u00e8me arrondissement de Paris. On y voyait des personnes \u00e2g\u00e9es s\u00e9questr\u00e9es dans leur chambre, abandonn\u00e9es et priv\u00e9es des soins les plus \u00e9l\u00e9mentaires. Dans les maisons de retraite, o\u00f9 les visites des familles sont interdites, la duret\u00e9 du confinement risque de provoquer davantage de morts (du fait du manque de soins et de contacts sociaux) que le Covid-19. La civilisation occidentale individualiste a tort de se croire moralement sup\u00e9rieure aux civilisations africaines et orientales, o\u00f9 il ne viendrait \u00e0 l\u2019id\u00e9e de personne d\u2019abandonner ses parents \u00e2g\u00e9s \u00e0 la solitude. <\/p>\n\n\n\n
Chez nous, les r\u00e8gles de confinement ont pendant plusieurs semaines interdit \u00e0 des milliers de Fran\u00e7ais de se rendre \u00e0 des enterrements ou au chevet de leurs proches mourants, qui ont rendu leur dernier soupir dans la plus affreuse solitude. Dans son roman L\u2019Etranger, Albert Camus montrait que l\u2019homme qui ne pleure pas \u00e0 l\u2019enterrement de sa m\u00e8re se rend suspect \u00e0 toute la collectivit\u00e9. Dans notre nouvelle soci\u00e9t\u00e9, \u00e9go\u00efste et obs\u00e9d\u00e9e par son \u00ab principe \u00bb de pr\u00e9caution, l\u2019inversion des valeurs est telle que le suspect est d\u00e9sormais celui qui accomplit les plus anciens rites humains : assister les mourants ; veiller, puis enterrer les morts. Le sort de l\u2019Antigone de Sophocle, condamn\u00e9e pour avoir enterr\u00e9 son fr\u00e8re, ne nous para\u00eet plus si \u00e9tranger. <\/p>\n\n\n\n
Fort heureusement, Emmanuel Macron a pris conscience de ce probl\u00e8me. Il a d\u00e9cid\u00e9 d\u2019autoriser les visites aux patients en fin de vie et m\u00eame les visites en EPHAD, sous certaines conditions. De m\u00eame, en annon\u00e7ant la fin du confinement le 11 mai, le Pr\u00e9sident de la R\u00e9publique a pris une d\u00e9cision courageuse, allant \u00e0 l\u2019encontre de l\u2019avis de l\u2019INSERM et du Comit\u00e9 scientifique, qui souhaitaient un confinement prolong\u00e9 sans prendre en compte ses risques \u00e9conomiques, sociaux et psychologiques. Comme l\u2019\u00e9crit l\u2019historien Marc Bloch dans son livre L\u2019Etrange d\u00e9faite, o\u00f9 il analyse les causes du d\u00e9sastre fran\u00e7ais de 1940, le chef est pleinement le chef lorsqu\u2019il refuse \u00ab de capituler devant les techniciens. \u00bb Macron a eu raison de refuser d\u2019interdire de sortie les personnes \u00e2g\u00e9es. N\u2019infantilisons pas les citoyens fran\u00e7ais. Ils sont tout \u00e0 fait capables de s\u2019imposer un auto-confinement, lorsque n\u00e9cessaire. Il peut y avoir de la barbarie dans le syst\u00e9matisme d\u2019une administration. <\/p>\n\n\n\n
Emmanuel Macron devra aussi surmonter bien des \u00e9go\u00efsmes, soutenus parfois par certains syndicats, s\u2019il veut remettre au travail une population fran\u00e7aise d\u00e9sormais drogu\u00e9e au confinement. Pourquoi tant de bureaux de La Poste sont-ils ferm\u00e9s ? Qu\u2019ils r\u00e9duisent leurs horaires est compr\u00e9hensible, mais leur fermeture pure et simple ne correspond nullement \u00e0 ce qu\u2019on est en droit d\u2019attendre d\u2019un service public. L\u00e0 encore, on retrouve Marc Bloch qui raconte avoir vu des femmes ne pas pouvoir rentrer chez elles en mai 1940, car \u00abde peur d\u2019infliger quelques heures d\u2019un travail suppl\u00e9mentaire \u00e0 leurs employ\u00e9s, les gares avaient pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 fermer. \u00bb Chez Amazon, des employ\u00e9s ont obtenu de la justice que les entrep\u00f4ts soient ferm\u00e9s jusqu\u2019au 22 avril au motif d\u2019une \u00ab mise en danger de la vie d\u2019autrui \u00bb, sans m\u00eame se soucier des PME et des logisticiens qui risquaient de faire faillite. Certains enseignants se mobilisent pour exiger que la reprise des classes n\u2019ait lieu qu\u2019en septembre. Faut-il rappeler qu\u2019en 1944, malgr\u00e9 les combats et les bombes, les examens du baccalaur\u00e9at ont quand m\u00eame eu lieu en Normandie ? Heureusement pour les malades, les soignants n\u2019ont pas eux aussi invoqu\u00e9 leur \u00ab droit \u00bb au confinement !<\/p>\n\n\n\n
*Renaud Girard, membre du Conseil d\u2019orientation strat\u00e9gique de Geopragma <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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