{"id":12263,"date":"2020-04-20T10:28:14","date_gmt":"2020-04-20T08:28:14","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=12263"},"modified":"2021-09-20T17:14:36","modified_gmt":"2021-09-20T15:14:36","slug":"comment-jai-appris-a-aimer-le-virus","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/comment-jai-appris-a-aimer-le-virus\/","title":{"rendered":"Comment j\u2019ai appris \u00e0 aimer le virus"},"content":{"rendered":"\n
Billet du lundi 20\/04\/2020 par G\u00e9rard Chesnel*<\/p>\n\n\n\n
Il y a quelque 55 ans, Stanley Kubrick et le Docteur Folamour nous avaient appris \u00e0 \u00ab aimer la bombe \u00bb. Pourraient-ils aujourd\u2019hui nous faire aimer le virus ? <\/p>\n\n\n\n
Entendons-nous bien. Il ne s\u2019agit pas d\u2019ignorer la douleur de ceux qui ont perdu des \u00eatres chers ni la souffrance des milliers de malades qui, \u00e0 cette heure, luttent avec courage. Il s\u2019agit de tenter d\u2019\u00e9chapper \u00e0 la d\u00e9pression ou \u00e0 la morosit\u00e9 que la dur\u00e9e de la menace et l\u2019extension du confinement peuvent engendrer, et, pour cela, de positiver et de voir comment tirer le meilleur parti de cette catastrophe plan\u00e9taire.<\/p>\n\n\n\n
Nos strat\u00e8ges ont d\u00e9j\u00e0, j\u2019en suis s\u00fbr, pris la mesure \u00ab en temps r\u00e9el \u00bb de ce que pourrait \u00eatre une guerre bact\u00e9riologique, des cons\u00e9quences de la paralysie qu\u2019elle entra\u00eenerait dans tous les domaines n\u00e9cessaires \u00e0 notre d\u00e9fense. Cette r\u00e9p\u00e9tition g\u00e9n\u00e9rale est d\u00e9j\u00e0 un b\u00e9n\u00e9fice que nous pouvons enregistrer. <\/p>\n\n\n\n
Autre avantage : la plan\u00e8te recommence \u00e0 respirer. Et la r\u00e9cup\u00e9ration a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s rapide. Les dauphins ont tout de suite r\u00e9apparu \u00e0 Venise et les rorquals \u00e0 Marseille. On voit de nouveau les Collines Parfum\u00e9es depuis P\u00e9kin (peut-\u00eatre m\u00eame ont-elles retrouv\u00e9 leurs parfums) et l\u2019Himalaya depuis Katmandou. Un coronavirus qui facilite la respiration, ce n\u2019est pas banal. <\/p>\n\n\n\n
Mais l\u2019essentiel est ailleurs. Il est dans la capacit\u00e9 de l\u2019\u00eatre humain \u00e0 r\u00e9sister longuement \u00e0 l\u2019isolement et dans les transformations in\u00e9vitables que cela entra\u00eene. Nous sommes en fait capables de supporter bien plus que nous ne pourrions le croire. Il y a certes les isolements volontaires, ceux que s\u2019imposent les ermites du mont Athos ou les asc\u00e8tes indiens, ou, dans leur forme extr\u00eame, ceux des moines stylites, qui passaient leur vie au sommet d\u2019une colonne. Plus difficiles \u00e0 supporter sont les isolements impos\u00e9s : celui des prisonniers, celui des familles juives qui, comme celle d\u2019Anne Franck, restaient enferm\u00e9es de longs mois voire des ann\u00e9es dans un simple cagibi, et celui qu\u2019on nous impose aujourd\u2019hui. <\/p>\n\n\n\n
Certes il y a des \u00e9chappatoires, des fen\u00eatres sur l\u2019ext\u00e9rieur : les r\u00e9seaux sociaux, la radio et la t\u00e9l\u00e9vision et les quelques contacts que nous pouvons avoir en faisant nos courses. Mais il y a aussi de longues heures o\u00f9, seuls avec nous-m\u00eames, nous avons l\u2019occasion rare de r\u00e9fl\u00e9chir. Et de le faire de mani\u00e8re profonde, alors que la mort r\u00f4de autour de nous, qu\u2019elle frappe au hasard tel ou tel ami, et qu\u2019elle peut nous atteindre \u00e0 tout moment. Nous ne savons ni le jour ni l\u2019heure et cette r\u00e9alit\u00e9 de toujours est plus sensible que jamais aujourd\u2019hui. Profitons-en pour d\u00e9dramatiser cette perspective in\u00e9luctable. <\/p>\n\n\n\n
Ces probl\u00e8mes eschatologiques sont le domaine privil\u00e9gi\u00e9 des religions, soit qu\u2019elles promettent une vie apr\u00e8s la mort, comme le Christianisme ou l\u2019Islam, soit qu\u2019elles pr\u00e9conisent, comme le Bouddhisme, l\u2019an\u00e9antissement d\u00e9finitif, c\u2019est-\u00e0-dire la fin de toute douleur, physique ou morale. Pour ceux qui ne b\u00e9n\u00e9ficient pas, faute d\u2019y croire, des secours de la religion, certaines philosophies peuvent aider \u00e0 y voir plus clair. Ainsi, du temps de la Gr\u00e8ce antique, les Epicuriens faisaient remarquer que le mort ne saurait pas qu\u2019il l\u2019est, puisqu\u2019il n\u2019existerait plus. CQFD. Toute la douleur reposerait donc sur ses proches mais il serait, lui, d\u00e9barrass\u00e9 de tout souci. <\/p>\n\n\n\n
Quoi qu\u2019il en soit, cette p\u00e9riode de r\u00e9flexion nous rappelle que la mort fait partie int\u00e9grante de la vie et qu\u2019il faut la prendre comme telle et s\u2019habituer \u00e0 cette id\u00e9e, si ce n\u2019est pas d\u00e9j\u00e0 le cas. <\/p>\n\n\n\n
Revenons-en, de fa\u00e7on plus prosa\u00efque, \u00e0 nos pr\u00e9occupations habituelles comme, par exemple, la D\u00e9fense Nationale. Les militaires, quant \u00e0 eux, sont form\u00e9s \u00e0 donner ou \u00e0 recevoir la mort. En s\u2019engageant dans la noble carri\u00e8re des armes, ils font \u00e0 l\u2019avance le sacrifice de leur vie. Ils ne reculeront pas face \u00e0 cette \u00e9ventualit\u00e9. Mais, ancien de l\u2019IHEDN, j\u2019ai bien compris que la d\u00e9fense d\u2019un pays repose \u00e9galement sur la population civile, sa d\u00e9termination et son courage. Rappelons \u00e0 ce sujet l\u2019attitude exemplaire des Anglais en 1940. C\u2019est pourquoi il me para\u00eet important de former \u00e9galement les civils \u00e0 l\u2019id\u00e9e du sacrifice, et par cons\u00e9quent de la mort. La troisi\u00e8me et la quatri\u00e8me r\u00e9publique s\u2019\u00e9taient enti\u00e8rement d\u00e9fauss\u00e9es sur les cours d\u2019instruction religieuse, dispens\u00e9s le jeudi. Aujourd\u2019hui, il n\u2019y a plus de jeudis ; il n\u2019y a plus que des mercredis apr\u00e8s-midi, qui ont oubli\u00e9 la destination initiale des jeudis. Or il me semble plus important que jamais de rappeler les fondamentaux aux plus jeunes. Sous quelle forme ? Cela reste \u00e0 voir. Les r\u00e9gimes autoritaires, comme la Chine ou la Cor\u00e9e du Nord, ont leurs organisations de jeunesse, qu\u2019on ne peut pas leur envier. Chez nous, il reste bien le scoutisme, la\u00efc ou religieux, mais il est loin de couvrir le spectre des besoins. Peut-\u00eatre faudrait-il former nos enseignants \u00e0 parler eux aussi de sujets souvent consid\u00e9r\u00e9s comme tabous, sans attendre les classes terminales. En tout \u00e9tat de cause, il est important de ne pas laisser aux jeux vid\u00e9os ou \u00e0 certains films le monopole de l\u2019image de la mort qui, dans leur cas, ne peut \u00eatre que violente et souvent amorale.<\/p>\n\n\n\n
Voil\u00e0 quelques pauvres r\u00e9flexions favoris\u00e9es par mon isolement. Somme toute, c\u2019est une situation int\u00e9ressante et je vais me laisser aller \u00e0 aimer ce virus, m\u00eame si lui ne nous aime pas.<\/p>\n\n\n\n
*G\u00e9rard Chesnel, tr\u00e9sorier de Geopragma <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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