{"id":11473,"date":"2019-12-28T18:42:21","date_gmt":"2019-12-28T17:42:21","guid":{"rendered":"http:\/\/geopragma.fr\/?p=11473"},"modified":"2021-09-21T11:10:57","modified_gmt":"2021-09-21T09:10:57","slug":"il-nous-faut-retrouver-la-maitrise-du-temps-long","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/geopragma.fr\/il-nous-faut-retrouver-la-maitrise-du-temps-long\/","title":{"rendered":"Il nous faut retrouver la ma\u00eetrise du temps long"},"content":{"rendered":"\n
Le Billet du lundi du 23\/12\/2019**, Par Jean-Philippe Duranthon*<\/strong><\/p>\n\n\n\n La Belgique est sans gouvernement depuis un an (18 d\u00e9cembre 2018). En Espagne les \u00e9lections l\u00e9gislatives du 10 novembre, les deuxi\u00e8mes de l\u2019ann\u00e9e, n\u2019ont pas encore d\u00e9bouch\u00e9 sur la formation d\u2019un gouvernement. Il en est de m\u00eame en Isra\u00ebl apr\u00e8s les \u00e9lections du 17 septembre, elles aussi les deuxi\u00e8mes de l\u2019ann\u00e9e. En Allemagne, les r\u00e9sultats des \u00e9lections europ\u00e9ennes ont fragilis\u00e9 la \u00ab grande coalition \u00bb, incit\u00e9 une frange du SPD \u00e0 vouloir rompre l\u2019alliance et r\u00e9duit l\u2019influence de la chanceli\u00e8re en Europe. Au Royaume-Uni les parlementaires ont r\u00e9ussi, durant un an, \u00e0 \u00e9carter la mise en \u0153uvre du Brexit alors que celui-ci avait \u00e9t\u00e9 souhait\u00e9, lors du referendum du 23 juin 2016, par le corps \u00e9lectoral et que rien ne laissait supposer qu\u2019il ait chang\u00e9 d\u2019avis, comme les \u00e9lections du 12 d\u00e9cembre l\u2019ont confirm\u00e9. Aux Etats-Unis, les parlementaires d\u00e9mocrates sont parvenus \u00e0 donner un contenu \u00e0 leur volont\u00e9 d\u2019engager une proc\u00e9dure d\u2019impeachment<\/em> \u00e0 l\u2019encontre du Pr\u00e9sident. En Italie, deux partis ont, au m\u00e9pris de leurs d\u00e9clarations pass\u00e9es, contract\u00e9 une alliance parlementaire boiteuse dans le seul but d\u2019emp\u00eacher des \u00e9lections qui, selon tous les sondages, les auraient exclus du pouvoir. En France une partie importante de la population ne fait plus confiance, pour exprimer ses opinions et d\u00e9fendre ses int\u00e9r\u00eats, aux parlementaires qu\u2019elle a \u00e9lus et privil\u00e9gie manifestations et gr\u00e8ves.<\/p>\n\n\n\n Parfois, donc, le processus \u00e9lectoral ne permet pas la formation d\u2019un gouvernement ; parfois les conflits entre institutions perturbent la mise en \u0153uvre des choix \u00e9lectoraux faits ou probables ; parfois les \u00e9lus sont contest\u00e9s ou contourn\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Si ces difficult\u00e9s des gouvernants ne sont pas nouvelles et constituent ce qu\u2019il est de tradition d\u2019appeler \u00ab le jeu d\u00e9mocratique \u00bb, leur concomitance et leur g\u00e9n\u00e9ralisation dans les principales (vraies) d\u00e9mocraties occidentales (hors Europe du Nord) sont troublantes.<\/p>\n\n\n\n Ce qui importe ici, c\u2019est que cette situation signifie un affaiblissement des gouvernants et la n\u00e9cessit\u00e9, pour eux, d\u2019agir \u00e0 courte vue. Pour eux la priorit\u00e9 est aujourd\u2019hui d\u2019affaiblir ou d\u2019\u00e9touffer les germes de contestation interne et de d\u00e9stabiliser ceux qui cherchent \u00e0 les d\u00e9stabiliser. D\u00e8s lors, gouverner ce n\u2019est plus imaginer et organiser l\u2019avenir, c\u2019est se pr\u00e9parer \u00e0 l\u2019\u00e9preuve du lendemain, voire se tirer de l\u2019emb\u00fbche du jour.<\/p>\n\n\n\n Ce raccourcissement de l\u2019horizon de l\u2019action publique, cette perte de la dimension temporelle, sont lourds de cons\u00e9quences pour l\u2019action g\u00e9opolitique. Celle-ci, en effet, ne peut \u00eatre men\u00e9e \u00e0 bien que si les gouvernants sont cr\u00e9dibles et ont les moyens de leurs discours, et surtout si leur action s\u2019inscrit dans la dur\u00e9e : les orientations diplomatiques peuvent peut-\u00eatre changer avec les majorit\u00e9s \u00e9lectorales mais l\u2019influence d\u2019un pays, son poids g\u00e9opolitique et ses atouts ne s\u2019organisent pas aussi vite qu\u2019une alliance \u00e9lectorale ou qu\u2019une manifestation de rue.<\/p>\n\n\n\n Cette incapacit\u00e9 des d\u00e9mocraties \u00e9lectorales \u00e0 agir dans la continuit\u00e9 temporelle, que l\u2019actualit\u00e9 met en lumi\u00e8re, est d\u2019autant plus frappante que d\u2019autres pays – qui ont choisi d\u2019autres modes de s\u00e9lection de leurs gouvernants – y \u00e9chappent : pour ne citer qu\u2019eux, Vladimir Poutine est \u00e0 la t\u00eate de la Russie depuis vingt ans et Xi Jinping de la Chine depuis sept ans, et dans les deux cas tout laisse pr\u00e9voir que leur \u00ab mandat \u00bb est loin d\u2019\u00eatre achev\u00e9. Eux ont la possibilit\u00e9 d\u2019inscrire leur politique dans la dur\u00e9e, de prendre des orientations qui n\u00e9cessitent du temps pour produire leurs effets, de privil\u00e9gier le temps long et non l\u2019imm\u00e9diat. <\/p>\n\n\n\n Dans la philosophie institutionnelle occidentale, l\u2019\u00e9lection a pour vertu de permettre, d\u2019une part \u00e0 chaque individu d\u2019agir sur son destin, d\u2019autre part \u00e0 chaque gouvernant de disposer de la puissance que conf\u00e8re l\u2019appui populaire. Il en r\u00e9sulte que, th\u00e9oriquement, le d\u00e9bat entre gouvernements autoritaires et d\u00e9mocraties \u00e9lectorales oppose la force, souvent brutale, \u00e0 la l\u00e9gitimit\u00e9, inspir\u00e9e par la Raison.<\/p>\n\n\n\n Ne risque-t-on pas qu\u2019il oppose bient\u00f4t la force \u00e0 la faiblesse ? Comment l\u2019\u00e9viter ?<\/p>\n\n\n\n L\u2019id\u00e9al, bien s\u00fbr, serait que le monde entier adopte les m\u00eames principes de gouvernement que les n\u00f4tres. C\u2019\u00e9tait, apr\u00e8s la chute du mur de Berlin, la certitude de Francis Fukuyama lorsqu\u2019il \u00e9crivit The End of History and the Last Man<\/em> en 1992 ou, en raison des nouveaux liens que cr\u00e9ent, nonobstant les fronti\u00e8res, les technologies digitales, la conviction de Thomas Friedman, exprim\u00e9e en 2005 dans The World Is Flat : A Brief History Of The Twenty-first Century<\/em>. Mais l\u2019\u00eatre humain n\u2019est pas une entit\u00e9 abstraite, il est charg\u00e9 de culture et d\u2019histoire. Le syst\u00e8me politique occidental est l\u2019h\u00e9ritier de la philosophie grecque, qui s\u2019est interrog\u00e9e sur la place de l\u2019homme dans la soci\u00e9t\u00e9, de la pens\u00e9e chr\u00e9tienne, qui a promu le concept de valeurs<\/em> d\u00e9passant les int\u00e9r\u00eats mat\u00e9riels individuels et collectifs, et des philosophes des Lumi\u00e8res, qui ont la\u00efcis\u00e9 ces valeurs. Est-il raisonnable d\u2019imaginer que les populations des pays, voire des continents, dont l\u2019histoire, la culture et les valeurs sont autres, abandonneront collectivement leurs syst\u00e8mes de pens\u00e9e pour adopter le n\u00f4tre (qui, bien s\u00fbr, continuera d\u2019\u00e9voluer) ? A supposer qu\u2019on confonde r\u00e9alisme et optimisme, une telle conversion aux valeurs occidentales prendrait du temps, davantage encore que n\u2019en prennent les \u00e9volutions g\u00e9opolitiques.<\/p>\n\n\n\n L\u2019autre voie de progr\u00e8s serait de chercher \u00e0 refonder au niveau europ\u00e9en la l\u00e9gitimit\u00e9 \u00e9lectorale occidentale. On pourrait distinguer la gestion du temps court, qui serait confi\u00e9e aux gouvernants nationaux, et celle du temps long, qui serait trait\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9chelle europ\u00e9enne qui peut sembler davantage en prise sur les grandes \u00e9volutions mondiales. Mais cette r\u00e9partition des r\u00f4les est bien illusoire, car la gestion du temps long a besoin de s\u2019ancrer p\u00e9riodiquement dans le r\u00e9el. Surtout, les nouvelles instances europ\u00e9ennes sont au moins aussi fragiles que les institutions nationales : la Commission n\u2019a pu \u00eatre constitu\u00e9e que dans la douleur, le Parlement, d\u00e9sormais partag\u00e9 entre quatre forces politiques, aura du mal \u00e0 former des majorit\u00e9s stables et le Conseil ne peut que constater la pluralit\u00e9 des conceptions partag\u00e9es par ses tr\u00e8s nombreux membres. Tant que l\u2019Europe n\u2019aura pas de v\u00e9ritable leadership<\/em> et devra composer avec des proc\u00e9dures bureaucratiques, il est peu probable que ses dirigeants soient en mesure de \u00ab voir loin \u00bb.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est donc n\u00e9cessairement au sein des Etats qu’il faut chercher aujourd\u2019hui une solution permettant de relever le d\u00e9fi que pose le rapport de forces entre les d\u00e9mocraties \u00e9lectorales et les Etats autoritaires. Il est indispensable que les premi\u00e8res retrouvent la ma\u00eetrise du temps long, sortent de la dictature de l\u2019imm\u00e9diatet\u00e9. Le sujet, \u00e0 l\u2019\u00e9vidence, d\u00e9passe la seule probl\u00e9matique g\u00e9opolitique. Raison de plus pour que le d\u00e9bat soit lanc\u00e9 et pour que ses diff\u00e9rents volets \u2013 institutionnels, \u00e9conomiques, technologiques, diplomatiques, culturels \u2013 soient identifi\u00e9s et discut\u00e9s. Cela suppose des analyses \u00e9voquant sans fard ni tabous les r\u00e9alit\u00e9s pr\u00e9sentes et futures, auxquelles les think tanks<\/em>, tel Geopragma, peuvent contribuer. Cela passe par l\u2019\u00e9laboration de sc\u00e9narios concr\u00e9tisant les cons\u00e9quences des diff\u00e9rents choix possibles. Cela n\u00e9cessite aussi que d\u2019aucuns, apr\u00e8s avoir obtenu qu\u2019on se soucie au moins autant des fins de mois que de la fin du monde, admettent que les fins de mois de demain doivent \u00eatre pr\u00e9par\u00e9es d\u00e8s aujourd\u2019hui.<\/p>\n\n\n\n <\/p>\n\n\n\n *Jean-Philippe Duranthon, membre fondateur de Geopragma <\/strong><\/p>\n\n\n\n **Ce Billet devait \u00eatre publi\u00e9 le 23 d\u00e9cembre 2019. Le site ayant \u00e9t\u00e9 en maintenance, il n’a pu l’\u00eatre que le 28 d\u00e9cembre 2019. Nous vous adressons nos excuses pour ce d\u00e9sagr\u00e9ment. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Le Billet du lundi du 23\/12\/2019**, Par Jean-Philippe Duranthon* La Belgique est sans gouvernement depuis un an (18 d\u00e9cembre 2018). En Espagne les \u00e9lections l\u00e9gislatives du 10 novembre, les deuxi\u00e8mes de l\u2019ann\u00e9e, n\u2019ont pas encore d\u00e9bouch\u00e9 sur la formation d\u2019un gouvernement. 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