Le 27 août 2019, par Patricia Lalonde*

Guerre du Yémen : comment la coalition saoudo-émiratie, en se lézardant, a renforcé la position iranienne au Yémen.

Après une première phase qui aura duré plus de quatre années et fait des milliers de morts, une guerre dans la guerre, où la coalition saoudo-émiratie aux manettes joue un jeu pervers et se fissure, se dessine. En effet, les Emirats Arabes Unis ont décidé de jouer leur propre partition en mettant en œuvre le plan qui était en réalité le leur depuis le début de cette guerre : appuyer les groupes séparatistes du Conseil de Transition du Sud (STC), pour prendre Aden puis Abyane, appeler à l’indépendance du Sud et ramener ainsi le Yémen à la situation des années qui précèdent 1990.

Il est vrai que, constatant la tournure catastrophique de cette guerre, ils ont amorcé un retrait de leurs troupes et entamé un rapprochement tactique avec l’Iran afin de préserver la sécurité des Emirats et de la région. Les nombreux succès militaires d’Ansarullah contre les mercenaires saoudiens et récemment contre le champ pétrolier d’Al Chiba, jusqu’à la destruction d’un drone américain, ont fait prendre conscience aux Emirats de l’absurdité de cette guerre et de l’impasse dans laquelle les Saoudiens les avaient emmenés.  Tout ceci sous le regard stupéfait du gouvernement légal de Abdrabbo Mansour Hadi, réfugié à Ryad, qui accuse maintenant les Emirats de trahison. Plus humiliant encore pour lui, les Saoudiens, pris de court, invitent le Conseil de Transition du Sud à une réunion de négociation à Djeddah. Bref, le gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, après avoir soutenu cette guerre totalement impopulaire, se retrouve floué et marginalisé.

Mais c’est sans compter sur la résistance des Houthis qui, même s’ils ont conforté leur pouvoir dans le Nord,  cherchent à préserver l’unité du pays comme c’était le cas avant le Printemps Arabe pendant les nombreuses années de gouvernance de feu le président Ali Abdallah Saleh.

Lui-même avait repris la guerre contre le gouvernement de Mansour Hadi en 2015 en s’appuyant sur les Houthis pour se ranger in fine du côté de la coalition Saoudo-Emiratie, ce qui lui coûtera la vie. 

Il est donc fort probable que les Houthis cherchent à apporter leur aide aux tribus du Sud qui ne désirent pas l’indépendance, ajoutant ainsi une guerre à la guerre… et une probable guerre civile dévastatrice. Mohamed Abdelsalam, le négociateur de Stockholm, a fait le déplacement à Téhéran récemment pour rencontrer Mohamad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien. Il a été reçu par l’Ayatollah Khamenei et a ainsi sollicité officiellement l’aide iranienne dans cette troisième phase de la guerre.

Cette guerre au Yémen qui devait contrecarrer l’influence iranienne en venant à bout des Houthis, n’a finalement fait que renforcer le rôle de l’Iran dans la région et rebattre les cartes. L’Iran sera donc, directement ou indirectement, partie prenante d’une solution politique au Yémen qui permettra d’assurer la sécurité dans le détroit d’Ormuz, menacée depuis l’arraisonnement de plusieurs pétroliers. Martin Griffith, l’envoyé spécial des Nations Unies qui n’a pas ménagé ses efforts, a refait le voyage à Sanaa pour rencontrer le président des Houthis, Abdel Malek al Houthi et essayé d’empêcher une guerre civile dans le Sud qui ne ferait finalement que le jeu des groupes armés liés à Daesh ou à Al Qaïda, encore très présents. 

C’est dans ce contexte que les forces du Congrès Général Populaire (GPC), le parti de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, pourraient intervenir pour remettre tous les acteurs autour de la table de négociation au nom de  l’unité du Yémen… 

Il semblerait que les proches de l’ancien président assassiné, dont son propre fils, Ali Ahmed, retenu actuellement en résidence surveillée aux Emirats, soient prêts à pardonner aux Houthis et  cherchent à entamer des négociations avec le gouvernement légal du Président Abdrabbo Mansour Hadi et de son Vice-président, Ali Moshen Ahmar, cousin éloigné de l’ancien président.

Le peuple yéménite aura été la victime d’une guerre pour rien, qui aura permis aux vendeurs d’armes de s’enrichir.

Un échec moral, militaire et politique. 

 

*Patricia Lalonde, Vice-présidente de Geopragma

 

Partager cet article :
Geopragma