Membre fondateur de Geopragma et journaliste au Figaro, Alexis Feertchak a publié dans le journal iPhilo un article sur le journalisme et les fakenews. La recherche de l’objectivité est un piège si l’on simplifie à outrance le réel, par nature complexe. Au contraire, ne faut-il pas donner toute sa place à l’incertitude, garante d’un meilleur pluralisme ?

« Journaliste dans l’un de nos quotidiens nationaux, je préparais il y a quelques jours un article sur le référendum d’initiative citoyenne et, plus particulièrement, sur une question assez pointue, celle du rôle que pourrait jouer le Conseil constitutionnel si ce dispositif venait à voir le jour.

A l’aide des maigres souvenirs de mes cours de droit constitutionnel, je m’attelais à la lecture d’articles juridiques, mais rien n’y faisait : je ne parvenais pas à comprendre un point technique – le contrôle de constitutionnalité du référendum d’initiative partagée, petit frère du RIC introduit en 2008 – qui, pourtant, était au cœur de mon sujet. J’appelais un éminent professeur de droit, mais celui-ci m’avoua avoir lui-même quelques doutes et me conseilla de demander son avis à un haut magistrat, fin connaisseur du dossier. Celui-ci m’expliqua que ces doutes étaient parfaitement fondés puisque, cette forme de référendum n’ayant jamais été appliquée, il n’était pas possible de savoir de quelle façon le Conseil constitutionnel interpréterait, le jour venu, les dispositions en question. J’étais passé en quelques minutes d’une incertitude subjective à une incertitude objective, ce qui était nettement plus rassurant. Il me suffisait dans mon article de conjuguer les verbes au conditionnel et d’expliquer à mon lecteur que, non, on ne savait pas tout.

Le conditionnel, cet absent

Et pourtant, faites l’exercice, vous verrez : le conditionnel est fort rare dans les médias. La reconnaissance d’une forme d’incertitude l’est tout autant. Une information, il faut que ce soit du béton ! De l’indicatif, vous dis-je, de l’indicatif. Cette tendance va s’accélérant au fur et à mesure que se développent les désormais célèbres «fake news» – ou tout simplement «fausses nouvelles» en français. Devant cette menace grandissante, pullulent aujourd’hui dans la sphère médiatique des «décrypteurs» chargés contre vents et marées de rétablir la vérité. Les anglo-saxons parlent à cet égard de «fact-checking». Fact : fait. Albert a mangé une pomme. C’est un fait simple. Le vérifier n’est guère compliqué. Mais prenons un autre proposition qui est aussi un fait en ce sens qu’elle est entonnée partout et a donc une influence sur le réel : «Si un Brexit dur sans accord passe, l’économie britannique s’effondrera». Courage pour le «fact-checkeur» chargé de déterminer le vrai du faux… Il faudrait en réalité que celui-ci commence en préambule par exprimer la propre incertitude voire les profonds dissensus des acteurs de la science économique en la matière, ce qui cadre mal avec l’esprit même du «fact-checking», qui veut des réponses. A l’inverse, la répétition de ce qui n’est dès lors qu’une doxa – «un Brexit sans accord sera une catastrophe» – alimentera la colère de ceux qui pensent cette proposition invalide. Parmi ces derniers, si certains pourront défendre des raisonnements censés – «pour le Royaume-Uni, les perspectives de croissance ne se trouvent pas en zone euro, mais davantage en Asie ; une indépendance commerciale retrouvée est donc une bonne chose» -, d’autres, certains d’être seuls contre tous dans la manifestation de la vérité, tomberont mécaniquement dans l’univers des «fake news».

Pour passer mes journées au téléphone avec des chercheurs – en ce qui me concerne sur des sujets le plus souvent géopolitiques – je me rends compte à quel point les certitudes sont rares face à l’actualité, le conditionnel et les adverbes de modération étant presque toujours de rigueur. Et souvent, cette incertitude fondamentale, omniprésente lors de la préparation de l’article, disparaît lors de sa rédaction. Prenons un exemple passé paradigmatique : l’élection de Donald Trump. Je me souviens des sondeurs sérieux qui répétaient à raison que les études d’opinion se situaient dans la marge d’erreur et que leur prévisibilité était encore grevée par le système complexe de l’élection présidentielle américaine. Mais rien n’y a fait : le soir de l’élection, à minuit, la plupart des chaînes de télévision annonçaient la victoire d’Hillary Clinton. La raison aurait voulu, non pas d’annoncer la victoire de Trump, mais de dire humblement : «nous ne savons pas». Ne faut-il pas parler d’une forme de «fake news» collective (…) ?

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